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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE

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plus décisif contre toutes ces interprétations, ce sont les déclarations répétées du Sauveur sur la nécessité de manger sa chair. J. Réville reconnaît la difliculté : « Le célèbre morceau (le c. vi) renferme en apparence une conlradiclion si formidable entre les déclarations spiri-tu, (listes des versets 29, 36, 40, 47 (le salut par la foi), 35 (la vie promise à celui qui vient vers Jésus, non à celui qui mange le pain), 63 (l’esprit seul donnant la vie) et les déclarations matérialistes des versets 51 à 58 (il faut manger la chair et boire le sang du Christ pour avoir la vie éternelle), qu’il a été invoqué avec autant d’acharnement par les partisans du spiritualisme et par ceux du réalisme eucharistique, ’i Op. cit., p. 62-Goguel, op. cit., p. 206, imagine qu’il y a dans les paroles de Jésus, à côté de « formules matérialistes » qui ne sont pas nées spontanément dans la pensée de l’écrivain, mais lui sont imposées par le milieu, « des explications spiritualistes » tentées par l’idéaliste qui a rédigé le quatrième Évangile. Il ne pouvait pas admettre des formules si matérialistes sans essayer de les interpréter. » Op. cit., p. 207.

Si ou entend à la manière de ces critiques leꝟ. 63, en réalité on admet non seulement une contradiction apparente, non seulement une juxtaposition de formules et d’essais d’explication, mais à quelques mots de distance, dans le même discours, sur les lèvres d’un Être qui est représenté comme le Logos incarné, messager de toute vérité, l’affirmation : il faut manger ma chair, et la négation : ma chair ne sert de rien ; on interprète à l’aide d’uneseule phrase dont tous lesexégètes avouent l’obscurité sept aiïirmations identiques, très claires et incapables de recevoir un sens spirituel, 51, 53, 54, 55, 56, 57, 58. Il faut se souvenir enfin que les explications de J. Réville et de Goguel présupposent des théories fort discutables sur l’origine et le caractère du quatrième Évangile, qu’il n’est facile ni de se représenter ce qu’est une incarnation du Logos dans du pain et du vin qui restent du pain et du viii, mais font office de chair, ni de voir dans la chair et le sang une allégori’i de l’esprit ; qu’enfin ces formules ressemblent beaucoup plus à des essais de théologie symboliste co itemporaine qu’à la terminologie eucharistique de l’Écriture ou des premiers Pères.

Il n’est pas nécessaire de recourir à ces interprétations fantaisistes. Wiseman, op. cit., col. 1229, observe que le mot chair désigna souvent dans l’Écriture les sentiments de la nature humaine, et l’esprit, la grâce, le secours divin. Et il paraphrase ainsi le >.63 : l’intelligence humaine, seule, est incapable de croire à ma parole. Monenseignementest divin et exige l’esprit, c’est-à-dire le secours du Père, la foi. Sans doute, les textes sur lesquels Wiseman s’appuie pour justifier son explication des mots chair et esprit sont assez nombreux. Beaucoup, il est vrai, ne sont pas empiuntés à saint Jean. Le quatrième Évangile connaît pourtant cette signification. Jésus dira : « Vous ne savez d’où je viens ni où je vais, vous jugez selon la chair, » viii, 14, 15. L’opposition paulinienne entre la chair de l’homme naturel et l’esprit de l’homme régénéré n’est pas totalement inconnue de saint Jean. Cette explication n’est donc pas irrecevable.

Celle deBatifïol, loc. cit., p. 102-103, s’en rapproche. Jésus dirait : « Vous ne me comprenez pas, parce que vous raisonnez en hommes charnels sur des paroles qui sont esprit et vie. » Seulement, on se souvient que, pour lui, l’eucharistie n’est plus le sujet de l’entretien. Les disciples sont choqués parce que Jésus a affirmé son origine céleste. Il leur répond en annonçant qu’il retournera au ciel. Et il ajoute : « C’est l’esprit qui vivifie et cet esprit vous manque : vous êtes charnels comme les Juifs, vous ne pouvez donc comprendre mes paroles : la chair ne sert de rien, les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » Procédé très élégant et sans

réplique pour écarter toute objection contre la concep-on catholique de l’eucharistie. Elle n’est pas en danger, puisqu’il n’est plus question du sacrement.

Certains exégètes estiment que ces explications ne se lient pas assez au contexte ; ils remarquent qu’il est difficile d’entendre en ce verset par le mot c71air la nature de l’homme, son esprit laissé à lui-même, quand dans le même chapitre, à plusieurs reprises, le même terme a désigné le corps et le sang de Jésus. Observation d’autant plus forte qu’en ce discours, pour distinguer ce dont l’individu est capable et ce qui est au-dessus de ses forces, une autre métaphore est employée : Jésus parle de ceux qui sont attirés à lui et de ceux qui ne sont pas attirés par le Père, vi, 37, 39, 44, 45. Ces interprètes croient donc qu’ici, comme plus haut, il est question de la chair du Christ. Jésus répond à cette objection : « Vous êtes choqués parce que vous croyez que je vous invite à nourrir votre corps de ma chair mangée matériellement. » Il pose d’abord un principe qui est évident pour ses auditeurs eux-mêmes : La chair, ce qu’on voit dans l’homme, n’est pas principe de vie, surtout de vie spirituelle, éternelle ; c’est l’esprit caché dans cette chair qui seul peut donner la vie. Cette constatation faite, Jésus conclut : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » Ces paroles — il y aurait ici un hébraïsme dont on trouve beaucoup d’exemples — c’est-à-dire « les choses dites » , les objets dont je vous ai entretenus, la nourriture et le breuvage promis sont non la chair en tant que chair, mais l’esprit dont elle est le véhicule, la divinité qui est en elle ; cette nourriture et ce breuvage sont des réalités spirituelles et vivifiantes. L’avenir dira seulement aux fidèles comment il y aura manducation spirituelle d’une réalité physique et concrète. Mais déjà la parole de Jésus avertit les disciples qu’ils se trompent en s’imaginant que le Sauveur promet sa chair comme aliment naturel destiné à être consommé matériellement pour nourrir leur corps. Jésus ne retire rien de ce qu’il a dit, il n’enseigne pas qu’il ne faut pas manger sa chair ; mais il annonce que, d’une certaine manière sur laquelle il ne s’explique pas encore avec précision, cette communion à son corps réel sera spirituelle ; la véritable nourriture reçue dans la participation réelle à son propre corps sera esprit et vie. Calmes, op. cit., p. 261.

Cette exégèse relie le verset à ce qui leprécède, laisse au mot chair la signification qu’il a eue dans tout le discours, apporte une idée neuve, une dernière explication qui s’harmonise avec le thème généralde l’Évan^ gile : le Verbe s’est fait chair pour donner la vie.

Après avoir prononcé ces paroles dont l’interprétation a été si vivement discutée, Jésus ajoute : « Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Et l’évangéliste fait alors cette remarque : « Car Jésus savait dès le principe quels étaient ceux qui ne croyaient pas et quel était celui qui le trahirait, » 64. Pourquoi cette allusion à Judas que rien, semble-t-il, ne prépare ? De nombreux essais d’explications ont été tentés. La meilleure hypothèse ne serait-elle pas celle-ci : le discours sur le pain de vie correspond au récit de la cène où est prédite la défection du traître ? Et s’il en est ainsi, nous serions en face d’une nouvelle preuve de la valeur de l’interprétation qui montre ici l’eucharistie.

Un dernier trait la confirme : « Dès ce moment, beaucoup de disciples se retirèrent et n’allèrent plus avec lui, » 66. Jésus aurait-il laissé beaucoup de ses premiers fidèles s’écarter lorsque deux motsd’explication auraient suffi à les retenir, s’il avait parlé de la foi ou de sa doctrine ? Ils abandonnent Jésus, prétendent certains allégorisants, parce qu’il leur est impossible de croire à un Messie souffrant. Cette explication n’est pas satisfaisante. D’abord, on peut se demander si l’idée des humiliations, des douleurs et de la mort du serviteur de Jahvé était perdue de vue par les contempo-