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ETERNITE


pas été éternel. L’exemple apporté par Cajetan nous fait mieux saisir cette nécessité. Supposons une sphère tournant sur elle-même et se mouvant depuis toujours. On ne peut pas assigner en elle un point où le mouvement aurait commencé, puisque, par hypothèse, il n’aurait pas commencé ; mais il y a possibilité de trouver en elle ce point de début, à supposer que son mouvement ait commencé. Voilà l’assignation virtuelle du commencement : de même pour la fin. Donc il est juste de dire que la notion de temps renferme une idée de commencement et de fin.

2 » L’éternité, comme le temps, est une durée. Mais il est évident que les sens du mot « durée » sont purement analogues. L’élément semblable, c’est l’idée de mesure. Pour arriver à concevoir ce qui, dans cette idée de mesure, appartient en propre à l’éternité, il faut procéder par l’élimination des cléments parliculiers au temps. Ainsi, nous nous formerons un concept, au moins négatif, de l’éternité.

1. L’éternité est une durée sans commencement ni fin, non seulement en fait, mais même quant à la simple possibilité. Aucune assignation virtuelle d’un commencement ou d’une fin n’est jîossible dans l’éternité. C’est cette idée qu’exprime le terme scolastique, intcrniinubililas, impossibilité d’assigner un terme quelconque.

2. Exclusion de toute mutation ou succession, non seulement réelles, mais encore simplement possibles. On pourrait, en effet, imaginer un esprit pur, créé de toute éternité, fixé dans le même acte d’intelligence et de volonté depuis toujours, et n’apportant aucune modification à cet acte. Cet esprit pur n’aurait cependant pas encore l’éternité en jiartage, car il lui serait toujours possible de réaliser d’autres actes, et, d’ailleurs, l’assignation virluelle de son commencement comme de sa fin serait toujours là pourindiquercjue la mesure de son existence n’est pas l’éternité : Dieu aurait pu ne pas le créer, connue il pourrait, à un instant donné, le faire rentrer dans le néant. L’exclusion de toute mutation, même simplement jwssible, c’est le deuxième élément de l’éternité, intninsinulabililas.

On connaît la définition classique de Hoéce :.Eterniias est intffmin<ibilis vitæ loto simul et ixT/cctaposscssio. De coiisolulionr, I. V, pros. fi. Le terme imsscssio est employé pour indiquer la permanence, la stabilité de l’éternité ; tota siimil et j>rrf(ct(i excluent l’idée d’une durée créée et formée d’instants imparfaits se succédant les uns aux autres ; l’éternité est vie et pas seulement existence : c’est la vie agissant, possédant, <lans un présent toujours i(lentique, toutes les perfections ; c’est la vie sans terme, intenninabilis, sans coMimencement ni fin, menusimplement possibles ; elle est toia simul. Cf. Gonet, Clijpens Iheologiæ Ihoniistirre, .T., dis]). IV, a. 7, § L

Les anciens philosophes avaient déjà compris ainsi la notion d’éternité proprement dite, l’ctau, Theol. ilugm. De Dm, I. III, c. iv, cite expressément les témoignages de plusieurs d’entre eux. Les l’ères de ri’^glisc et les théologiens de toute époque et de toute école sont également unanimes sur ce point. Nous parlerons tout à l’heure de certaines expressions, propres à quelques-uns, el relatives aux personnes de la sainte Trinité.

.’3" Avant d’envisager les rapports de l’éternité au temps, il convient d’expliquer aussi brièvement que possible la notion d’uviim ou éternité participée, dont nous aurons à faire tout à l’heure les applications théologiques. Le mot latin wviim correspond, en grec, au mot a’.uii, dont il n’est, d’ailleurs, que la reproduction littérale..Mais tandis que la tradition patrislique n’a pas conféré au terme aliôv une signification très précise, et qu’on le trouve employé pour

désigner toutes les durées, depuis celle de l’éternité jusqu’à la durée du temps (avec une idée de longueur), l’usage de l’École lui a donné un sens très déterminé. Il ne s’applique qu’à la durée qui participe à la fois de l’éternité et du temps. C’est dans ce sens que nous l’employons dès maintenant.

Un esprit pur, im ange, par exemple, réalise d’un seul coup la perfection d’essence et d’existence que son être comporte. Aussi, c’est l’immutabilité complète dans ses éléments essentiels. Sa permanence dans l’être sera donc analogue à celle de Dieu..Je dis simplement analogue, car, en nous reportant à la supposition faite plus haut, il serait toujours possible à Dieu d’annihiler cet esprit pur et de lui imposer ainsi réellement une fin ; néanmoins, il faut reconnaître que r’imnuitabilité absolue est, en fait, le partage de sa nature. Mais, quant à ses opérations, l’esprit pur n’est plus immuable : une pensée peut faire place à une autre pensée, unevolition succéder à une volition antérieure, il peut y avoir application de son énergie en tel lieu, puis en tel autre. Donc, succession réelle qui, sans être nécessairement continue, afi’ecte les actes de cet esprit, sans affecter sa nature elle-même. L’avant et l’après accidentels se trouvent joints à l’immutabilité essentielle.

Tandis que l’idée de temps comporte une succession d’actes avec relation de continuité entre eux, et cela dans un sujet affecté en son essence par cette succession, l’idée d’a’vuin ne comporte qu’une succession accessoire d’actes, sans continuité nécessaire entre eux, simplement juxtaposée à l’immutabilité parfaite de la nature, source de ces opérations. Tel est i’wvuin, qui, en soi, n’a pas d’avant et d’après, mais auquel cet avant et cet après peuvent s’adjoindre, en vertu des actes posés par des êtres mesurés par Va^vuni. Conception dilTicile à saisir, quoique logique ; plus difficile à saisir que celle de l’éternité : l’éternité, c’est l’immobilité complète, sans adjonction possible de succession ; Vivvuin représente une immoljilité essentielle, jointe à une mobilité accidentelle. Notre imagination est complètement déroutée. C.f. Siim. tlu’oL, I » , q. x, a..5.

4° Il convient maintenant d’établir brièvement les rapports de l’éternité (t de Vccrum au temps.

. proprement parler, il n’y a aucun rapport possible entre l’éternité et le tenqis, si ce n’est que le temiis est la mesure de certains êtres incapables d’être mesures par l’éternité. Néanmoins, comme il existe des rapports entre Dieu et ses créatures, il faut se demander comment l’éternité est une mesure par rajiport au temps. Saint Thomas aborde cette question à projios de la science des futurs contingents en Dieu. Sum. Iheol., I", q. xiv, a. 13. L’éternité, dit-il en substance, est un présent toujours identiciue à lui-même : en elle, nulle succession, pas d’avant ni d’après ; elle correspond donc actuellement à tous les moments du temps et à chacun d’entre eux. Le rapport de succession qui lie dans le temps les événements passés et futurs existe ainsi en Dieu dans le même acte qui englobe tout : en Dieu, ni passé, ni futur, tout est simullaïuiuent présent, parce que Dieu, c’est l’éternité même. C’est ainsi que les théologiens expliquent la connaissance que Dieu a des futurs contingents en eux niêmes, et non pas seulement en leurs causes. Voir Sc.iKNcr. de DiKi". L’exemple classique est celui du jioinl fixe au centre d’une sphère))arfaitement ronde : tous les l)oints de la surface sphèri<iue, quel <|ue soit leurrapjiort entre eux, se trouvent, jiar rapiiort au centre, dans la même situation. La conqiaraison iièclie sans doute par plus d’un côté, mais elle est suffisante pour faireentrevoir la relation de l’éternité au temps. L’éternité coexiste donc au temps, en l’excédant à l’infini ; le temps coexiste à l’éternité, mais sans l’égaler.