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blables conditions, serait profondément immorale. Aussi bien la société civile, qui, nous l’avons dit, doit son origine à l’évolution d’une loi naturelle dont le principe créateur et directeur est Dieu lui-même, ne peut-elle se retourner contre la loi naturelle et contre Dieu ; autrement, le lien juridique qui unit ses membres devrait être plutôt ajjpclé un lien d’iniquité. D’où il suit que la société civile est obligée de se mettre négativement au service de la fin dernière, c’est-à-dire du bonheur éternel et de l’ordre spirituel qui y conduit, en tant qu’elle ne doit rien faire qui s’oppose à cette fin et à l’ordre de choses qui s’y rapporte. Mais il est faux également qu’il suffise que la société civile ne contredise en rien la fin dernière et qu’elle puisse ainsi en faire totalement abstraction, sans qu’elle ait à tenir aucun compte de l’ordre spirituel qui y conduit. En effet, le but de la société civile n’est pas de procurer aux hommes, ses membres, n’importe quelle félicité temporelle, mais seulement celle qui leur est convenable et qui leur est propre. Car, dit saint Thomas, Opusc. de rege et regno, 1. I, c. xiv, gouverner n’est pas autre chose que conduire vers sa fin ce qui est gouverné : Gubernare est id quod giibernatur convenicnler ad debitum finem perducere ; en sorte que, si quelque chose est, en dehors d’elle-même, ordonnée vers une fin, il appartient à celui qui la gouverne, non seulement de pourvoir à sa conservation, mais encore de la diriger effectivement vers cette fin : Si igiiur aliquid ad f’inem extra se ordinetur, ut navis ad portum, ad gubernatoris officium pcrtincbil non solum ut rem in se conservet illœsam, sed quod ulterius ad finem perducat. Or, il existe pour l’homme un bien suprême, étranger à sa nature mortelle, vers lequel il est orienté comme vers sa fin dernière : c’est la béatitude éternelle : Serf est quoddam bonuni eiiraneum homini, quamdiu mortaliter vivil, scilicct ultima béatitude, quse in fniitione Dei expectatur post mortem ; et à la possession de ce bien, l’homme tend précisément en menant une vie vertueuse, c’est-à-dire ime vie digne d’un être raisonnable et libre : Si enim propter solum vivere Iwmines convenirent, animalia et seri’i ^ssent pars aliqua eongregaiionis civilis. Si vero propter acquirendas divitias, omnes simul negotiantes ad unam civilatem pertinerent ; sicut videmus eos solos sub una multitudine computari qui sub eisdeni legibus et codem rcgimine diriguntur ad bene vivendum. Mais la fin de la multitude doit être en rapport avec la fin de chaque homme pris individuellement : Idem autem oportct esse judicium de fine tolius multitudinis, et unius. D’où il faut conclure que la fin dernière de tous les associés n’est pas seulement de vivre selon la vertu, mais par une vie vertueuse, de parvenir à la béatitude : Non est ergo ullimus finis multitudinis eongregatse vivere secundum virtutem, sed per virtuosam vitam pervenire ad fruitionem divinam ; de manière que la mission de l’État est de procurer à ses membres un bonheur qui soit lui-même en harmonie avec le bonheur du ciel, et d’empêcher, autant que possible, tout ce qui peut lui être contraire : Quia igiiur vitæ qua in præscnti bene vivimus finis est beatitudo cœlestis, ad régis offieium perlinel ea ralione vitam multitudinis bonam procurare secundum quod eongruil ad cœlestem beatiludinem consequendam ; ut scilicel ea præeipiat quse ad cœlestem beatiludinem ducunt, et eorum contraria, secundum quod fueril possibile, interdicat. S. Thomas, ibid., c. xv. Pour tout résumer en quelques mots, « il ne peut exister aucun bien, même purement matériel et temporel, qui n’ait quelque relation avec le Bien suprême ; il n’est aucune perfection, même simplement comprise dans l’ordre extérieur de la vie présente, qui ne soit de quelque façon un acheminement vers Dieu, perfection infinie. Il est donc nécessaire que l’État, dont la mission est de

réaliser le bonheur et la perfection tempoi’els de ses membres, ne fasse point abstraction de Dieu, mais, au contraire, s’oriente vers lui comme vers sa fin dernière. » E. Valton, Droit social, p..57 sq.

Cependant il est juste d’observer que la félicité éternelle, fin dernière de l’homme, n’est point causée par le bonheur temporel, fin immédiate de la société civile, et que la félicité temporelle n’est pas un moyen nécessaire et proportionné vis-à-vis du bonheur éternel ; aussi bien, si celle-là doit être autant que possible rattachée à celle-ci, il ne faudrait pas exagérer l’importance de ce lien ; car ce rapport entre les deux fins ne peut être, en somme, qu’indirect et éloigné. Cf. Cavagnis, op. cit., p. 261. Nous dirons plus tard, d’une manière plus précise, quelle est l’étendue du devoir de l’État envers Dieu et la religion. Voir plus loin.

Propriétés.

L’État est une société naturelle,

nécessaire, juridique et parfaite.

1. L’État est une société naturelle. Telle est la conclusion des principes que nous avons exposés touchant l’origine de l’État. La société civile, nous l’avons vii, est l’œuvre des lois de la nature et elle est le dernier acte de l’évolution graduelle de la sociabilité de l’homme. C’est pour obéir à un besoin naturel d’assistance et de secours mutuels que les familles, et plus tard les cités primitives, se sont groupées de manière à constituer ce grand corps social qu’on appelle l’État ; et c’est en dehors de tout accord volontaire et de tout pacte libre, dont l’hypothèse, on le dira bientôt à propos de l’origine du pouvoir politique, est aussi chimérique qu’inutile, que les hommes, guidés par leur instinct naturel, deviennent membres de la société civile, sans laquelle ils ne sauraient atteindre leur perfectionnement convenable dans l’ordre extérieur et temporel. Cf. E. Valton, Droit social, p. 58 2. L’État est une société nécessaire. La nature qui préside à la formation de l’État en fait aussi une société nécessaire et obligatoire pour tous les hommes : nous ne voulons pas dire pour tel ou tel individu pris en particulier, mais pour le genre humain et pour les familles considérées dans leur ensemble.

La première raison de cette nécessité de la société civile est fondée sur la conservation et le perfectionnement de la vie physique. Car, pour que la vie physique de l’homme puisse se conserver et évoluer normalement, de combien d’ennemis naturels : intempérie des saisons, insalubrité des climats, maladies, etc., n’a-t-elle pas besoin d’être défendue ? Combien nombreuses également ne sont pas ses exigences : nourriture, vêtements, habitations, etc. ? Or, toutes ces choses ne sauraient être convenablement réalisées sans le secours de l’art et des sciences phj’siques, chimiques et mathématiques ; et, d’autre part, les sciences et les arts ne sauraient exister sans l’organisation et le concours de la société civile, chargée de procurer à ses membres tous les avantages [matériels et de les conduire au bonheur temporel. D’où il suit que la société civile ou l’État, est naturellement nécessaire et obligatoire : puisque, d’un côté, la conservation et le perfectionnement de la vie physique de l’homme sont rendus obligatoires par la loi naturelle, et que, d’un autre côté, la société civile s’y rapporte comme un moyen indispensable. Ajoutons aussi que la loi naturelle réclame, comme un de ses droits les plus sacrés, la conservation et la propagation de l’espèce humaine, d’après ce précepte de la Genèse : « Midtipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la à votre puissance. » Or, cette multiplication de l’espèce humaine ne pourrait être obtenue qu’avec de grandes difficultés et d’une manière très limitée, sans le secours de la société civile, qui facilite, au contraire, par ses divers éléments de protection