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ESSENCE


d’intérêt pour le théologien si elles ne comportaient des conséquences dans l’exposé rationnel de nos dogmes. Ces conséquences ne sont pas sans importance. On a vu plus haut comment la distinction réelle de l’essence et de l’existence rendait philosophiquement compte de la différence du lini et de l’infini, et à quelles difficultés se heurtait l’opinion opposée. Voici, avant d’envisager les conséquences dans l’exposé des dogmes de l’incarnation et de la trinité, trois autres conséquences d’ordre secondaire, mais, néanmoins, suffisamment graves pour devoir attirer l’attention du théologien.

l°Le concile de Vienne, voir Denzinger-Bannwart, n. 481, nous oblige à admettre que l’âme intellective est essentiellement la forme du corps. L’exposé philosophique de ce dogme ne soufïre aucune difficulté dans l’opinion de la distinction réelle de l’essence et de l’existence. L’âme, bien qu’ayant son existence propre, la communique au corps dont elle devient immédiatement la forme, et vis-à-vis duquel elle se trouve ainsi en relation transcendantale d’acte à puissance. Si la matière a son existence propre, comme l’affirme Suarez, indépendamment de la forme, comment l’existence, complète par hypothèse, de la forme pourrat-elle s’unir à l’existence de la matière et former Vunum per se que suppose la définition conciliaire ?

2° Dans le dogme de l’eucharistie, la personne tout entière de Jésus-Christ se trouve, par voie de concomitance, sous les espèces consacrées. Dans le sj’stème thomiste, l’existence divine soutient et la nature divine, avec laquelle elle s’identifie, et la nature humaine, qui se trouve, d’une façon surnaturelle, actualisée par cette existence divine. Dès que le corps du Christ se trouve sacramentellement présent, l’unité d’existence fait que, par voie de concomitance naturelle, toute la personne du Christ est aussi présente. Dans l’hypothèse de Suarez, l’existence humaine est distincte de l’existence divine : la concomitance naturelle ne peut plus exister ; il faut recourir à un pacte librement voulu par Dieu. De eucharistia, disp. XLVIII, sect. II.

3° Dans l’explication du concours divin, selon l’hypothèse thomiste, l’acte et la puissance se complètent pour former non seulement toute essence, mais tout principe d’action. Celui-ci ne peut agir qu’autant qu’il est en acte : omne arjens in quantum est in actu agit et il reste un, quoique composé d’acte et de puissance, parce que puissance et acte se complètent et demeurent dans un état de subordination. Dieu peut mettre en acte la volonté : la volition sera toujours un a^cte vital.

Cette explication est impossible dans l’hypothèse où se place Suarez, parce que toute motion serait conçue comme une entité distincte dans sa réalité de la puissance qu’elle accompagne. Ce serait une qualité morte. Il n’y a plus possibilité d’union des principes, il ne peut y avoir que juxtaposition ou mieux coordination. Logiquement, les thomistes aboutissent à la théorie de la prémotion divine, agissant efflcicnter dans la volonté humaine ; instinctivement, tous les négateurs de la distinction réelle doivent parler du concours simultané de Dieu. De là, divergence totale de vues, dans le traité de la grâce et dans la manière de comprendre l’inspiration.

IV. DOGMES [)E L’iyCAnXATIoy ET DE LA TRINirÉ.

— Ia-IIæncarnation. — Dans l’hypothèse thomiste, l’exposé de la distinction des natures en Jésus-Christ et de l’unité de personne devient d’une clarté merveilleuse. Jésus-Christ n’a pas la personne humaine, parce qu’il n’a pas l’existence naturellement proportionnée à l’essence d’homme, et que cette existence est, pour ainsi dire, suppléée par l’existence même de la personne divine qui assume la

nature humaine ; mais il a toute l’essence humaine, parce qu’il possède un corps individué, informé d’une âme individuée par rapport à ce corps. L’explication est si claire que le P. Billot n’hésite pas à déclarer qu’à défaut de preuves rationnelles apodictiques, cette simplicité et cette facilité d’exposition du dogme catholique prouveraient sufiisamment la distinction réelle de l’essence et de l’existence. De Verbo incarnato, Rome, 1895, p. 63. Le P. Terrien, op. cit., p. 181, n’a pas de peine à démontrer que, seule, la théorie thomiste concorde avec la tradition des Pères.

Dans l’hypothèse suarézienne, nous nous trouvons en face de deux natures individuées et possédant leur existence propre. Pourquoi ces deux natures ne sont-elles pas deux personnes ? La réponse à cette question est si peu facile à donner qu’elle provoque chez les partisans de l’identité de l’essence et de l’existence un double courant d’explications. Les uns, avec Suarez, vont chercher dans un mode substantiel, distinct de l’essence, et qu’ils appellent la subsistance, disp. XXXIV, sect. iv, n. 23, la raison] dernière de la personnalité. La subsistance manque à la nature humaine, et, par là, elle n’est point personne. Outre que cette explication semble iDien amenée pour les besoins de la cause, elle laisse intacte la difficulté de l’unité parfaite de l’Homme-Dieu, les deux natures demeurant avec leur existence propre, complètes et terminées chacune dans leur espèce. Les autres, i avec le jésuite Tiphaine, De hypostasi’.et persona, ! c. XXXVI, n. 6, renouvellent la thèse de Scot, In IV Sent., 1. III, dist. I ; la nature humaine en Jésus : Christ n’est pas une personne, parce qu’elle n’est pas indépendante, parce qu’elle ne forme pas une personne i en soi, étant unie à la nature divine. C’est une affirj mation dont certains peuvent, à la rigueur, se con-I tenter : des théologiens de valeur comme Franzelin, ! De Verbo incarnato, thés, xxix, l’ont adoptée ; est-ce

bien une explication ?

j 2° Trinité. — Les conséquences sont ici moins immédiates. Elles sont réelles cependant, et plus graves peut-être au point de vue apologétique.

On connaît l’objection tirée du principe d’identité : deux choses identiques à une troisième sont identiques entre elles. Or, les personnes divines sont identiques à l’essence ; donc.

Saint Thomas, Sum. theol., P, q. xxviii, a. 3, ad 1°™, fait remarquer que l’identité des personnes et de l’essence est purement matérielle en Dieu, le concept de la relation, laquelle constitue la personne, étant totalement différent du concept de sa réalité.

Partant de ce principe, il montre, toc. cit., que, logiquement, l’objection ne peut conclure. Auriol, cité par Capréolus, In IV Sent., 1. I, dist. II, q. iii, transporta l’objection du terrain logique sur le terrain ontologique. Capréolus, loc. cit., l’a réfuté amplement. Voir^Pègues, Commentaire littéral de la Somme théologique, Toulouse, 1908, t. ii, p. 106 sq. Il est inutile de nous attarder davantage à ces réfutations, qui n’ont qu’un rapport lointain avec la question de l’essence et de l’existence.

Mais, pour la théorie de Suarez, il n’en est plus de même. Suarez, avons-nous vii, pour nier la distinction réelle de l’essence et de l’existence, part de ce principe que « toute chose ne peut être constituée formellement dans sa raison d’être réel et actuel par une chose distincte d’elle-même. » L’essence actualisée est son existence. En vertu de ce principe, le concept de la relation divine ne distinguera plus la relation, qui, comme telle, constitue la personne, de sa réalité, qui est la réalité même de l’essence divine. L’identité entre personne et essence deviendra une identité formelle, et Suarez ne sera plus en droit, dans une pareille hypothèse, de répondre avec saint Tho-