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ESSENCE

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christiana, t. ii, p. 170, faire exception à la règle, sinon dans l’exposé de sa doctrine, du moins dans les concessions consenties aux adversaires.

L’opinion opposée, celle des tenants de la simple distinction de raison, formulée déjà au xiiie siècle, voir les références. Dieu, t. iv, col. 890, a toujours eu des représentants dont les noms font autorité dans la science théologique. Duns Scot, voir t. iv, col. 1890, en est un des premiers défenseurs ; cf. S. Belmond, Essenza ed existenza sec. Duns Scot, dans Rivista di fltosofia neo-scolaslica, 1910, n. 3 ; mais il était réservé à Suarez de la débarrasser des subtilités scotistes et de lui donner sa forme définitive, telle qu’on l’a rapportée plus haut. Le nom et l’autorité de Suarez n’ont pas ctésans faire impressionsur beaucoup de théologiens de la Compagnie de Jésus. Il serait injuste cependant de dire que l’opinion de Suarez soit universellement adoptée dans l’illustre Compagnie : Fonseca, Melaph., 1. IV, c. v, q. 4 ; les théologiens de Coimbre, Physic, 1. I, c. ix, q. vi, a. 2 ; Pallavicini, De Deo, c. m ; Sylvestre Maurus, QucTsI. phil., t. ir, q. VI, et de nos jours, le P. Liberatore, Metaph. gen., c. i, a. 3 ; le P. de San, CosmoL, c. vi ; le P. Terrien, De iinione hyposlatica ; le P. Mathiusi, Rii’istadi filosofia neo-scolastica, avril 1911 ; et les professeurs actuels du Collège romain, en particulier, le P. Billot, De Verbo incarnaio, c. ii, q. ii, § 1 ; le P. de Maria, op. cit., tr. II, q. i, a. 4 ; le P. Renier, op. cit., Metaph. gen., q. i, § 3, ont soutenu ou soutiennent encore la distinction réelle de l’essence et de l’existence dans les êtres créés.

Sans rechercher où se trouve la vérité, nous devons ici nous occuper, au point de vue théologique, des conséquences que l’une et l’autre attitude entraînent dans l’exposé rationnel des dogmes.

/II. roysii’juiJsrEfi n.4.vs l’i-dii-ke des.si’ST’A'.vffs TniioLOGiQiiis. — Certains théologiens, le P. Lcpidi entre autres, op. cit., pensent qu’on ne doit pas attacher une grande importance à la distinction réelle de l’essence et de l’existence dans les êtres créés. Il est permis d’avoir un sentiment opposé. Silvestre INIaurus, loc. cit., a exprimé, semble-t-il, la vérité en aflirmant que cette distinction est tellement capitale dans la théologie thomiste qu’elle sert de base à toute la doctrine de l’infinité et des perfections divines, d’une part, de la limitation et des imperfections des créaturcs, d’autre part.

Si l’on admet la théorie de l’acte et de la puissance, l’acte spécifiant la puissance, la puissance limitant l’acte, on conçoit que Dieu soit l’être infini, parce qu’acte pur : il n’est, en effet, limité par aucune puissance. Mais les esprits créés sont actes purs, eux aussi : si leur existence n’est pas reçue dans leur essence, comme un acte dans sa puissance, il n’y a pas, philosophiquement parlant, de limitation à leur assigner. Tel est le raisonnement de saint Thomas lui-même, De ente et esscntia, c. v : « Si l’on suppose une chose qui soit son existence, cette existence ne pourra recevoir aucune addition différentielle du côté de la forme, parce qu’elle ne serait plus seulement l’existence, mais l’existence et, en plus, une forme quelconque ; moins encore pourra-t-elle recevoir aucune addition du côté de la matière, parce rpi’alors elle ne serait plus une existence subsistante, mais matérielle : d’où il résulte que 1 ; ^ chose qui est son existence ne peut être qu’une… Il faut donc, dans tout être autre (que Dieu], qu’autre chose soit l’existence, autre chose l’essence ; cl c’est pourquoi, dans les intelligences séparées, l’cxlslence est différente de la forme ; aussi l’on dit cfue cette intelligence est une forme et une existence. » VoilA le point précis où apparaît, aussi claire que possible, l’importance extrême de la disthiction réelle de l’essence et de l’existence. Sans elle, pas de

raison plausible pour différencier l’être fini de l’être infini : fini comme infini sont actes purs, au moins lorsqu’il s’agit des créatures spirituelles. Si l’on veut afiirmer que l’être fini est tel parce que créé, et par là contingent et dépendant, sans admettre la distinction réelle, on fait tout simplement ou une tautologie ou une pétition de principe. Voir del Prado, La vérité fondamentale de la philosophie chrétienne, dans la Revue thomiste, 1910.

Nous irons plus loin encore. Ce point de vue général se complète d’autres conséquences que ne peuvent éviter les partisans de l’identité de l’essence et de l’existence dans les êtres créés. Les thomistes soutiennent, d’une manière constante, leur conception de l’acte et de la puissance dans la thèse de l’hylémorphisme comme explication métaphysique des essences corporelles : matière et forme sont transcendentalement ! ordonnées l’une à l’autre, pour composer la substance i des corps. Mais matière et forme sont des réalités, et, qui plus est, des réalités distinctes. En vertu du principe énoncé plus haut, Suarez et ses partisans sont obligés d’admettre que « la matière première a en soi et par soi une réalité, c’est-à-dire une actualité d’cvislencc distincte de l’existence de la forme, quoiqu’elle ne l’ait qu’en dépendance de la forme. » Disp. XIII, sect. IV, n. 13. Cette interprétation rappelle la théorie de Scot, In IV Sent., 1. III, dist. VI, q. i ; le docteur subtil distingue dans toute essence un acte double, l’un formel, l’autre qu’il appelle entitatif, et il enseigne que la matière a par elle-même cet acte entitatif, mais non pas l’acte formel. Et Suarez, disp. XIII, sect. V, n. 2, adoptant cette manière de voir, I ajoute : « S’il est juste, au point de vue physique, I d’appeler la matière une pure puissance, au point de vue métaphysique on doit dire qu’elle est composée d’un acte et d’une puissance proportionnés entre eu.v : melaphysice concedi débet maleriam componi ex actn el potentia sibi proportionatis, id est ex… essenlia et exislentia. » Mais alors, on est acculé à une contradiction : cet acte et cette puissance sont-ils réellement distincts l’un de l’autre ? Si non, comment dire qu’une puissance est en même temps acte, et pourquoi, en vertu du même principe, n’identifiera-t-on pas la matière et la forme ? Si oui, la question de la réalité de la puissance se trouve posée à nouveau, et la solution reculée à l’infini. Où s’arrêter ?

Mais, de plus, la forme est réellement distincte de la matière ; il faudra donc, eu égard à l’identité de l’essence et de l’existence, distinguer réellement une existence de la forme et une existence de la matière. Suarez ne reculera pas devant une conséquence aussi logique : « L’existence est composée comme l’essence. Aussi, sans aucune contradiction ni répugnance, Dieu peut conserver la forme sans la matière, el la matière sans la forme. » Disp. XV, sect. ix, n. 5. En ce cas, s’il y a deux existences dans l’ordre de l’essence, comment sauvegardera -t -on l’unité substantielle ? La question se pose surtout à propos du corps humain informé par une âme spirituelle qui jouit de son existence propre. Sans doute, Suarez, Metaph., tr. III, 1. I, c. xii, n. 18, répondra que mater i IV dicitur (anima) darc esse, qualenus in suo esse ron.scrvat, et ((u’il sullit, pour garder l’union substantielle, ut sinl aptx ad constilucnduni unum, possintque recte conveni ad cumdem fmem. Loc. cit., n. 19. Mais il est facile de constater que ces explications ne résolvent pas complètement la difficulté, laquelle n’existe plus dans la théorie thomiste de l’existence distincte et informant de son acte unique et essentiellement simple toutes les parties essentielles de l’être. Cf. S. Thomas, In lih. Boel. de hebdomad., lecl. II.

Ces spéculations philosophiques n’auraient guère