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ESPRIT-SAINT

violentes querelles avec Rufin. D’ailleurs, le texte auquel il fait allusion nous a été conservé dans l’original grec par Justinien, qui, lui aussi, attribue à Origène les mêmes erreurs. Liber adversus Origenem, P. G., t. lxxxvi, col. 981.

Quelle est la valeur de ces accusations si graves et devons-nous y prêter foi ? La réponse n’est pas aisée, puisque le dernier mot sur l’orthodoxie d’Origène n’a pas encore été dit. Il faut noter cependant que des Pères, dont la doctrine trinitaire est au-dessus de tout soupçon, jugent avec une grande bienveillance le prétendu précurseur d’Arius. Saint Athanase s’appuie sur l’autorité d’Origène pour combattre les ariens, De decretis Nicænæ synodi, xxvi, P. G., t. xxv, col. 465, et le P. Petau, malgré ses antipathies pour Origène, est forcé d’avouer que l’autorité du saint docteur est ici d’un grand poids, I. I, c. iv, 6, p. 304. Saint Basile cite Origène parmi les théologiens qui, bien qu’ils n’exposent pas toujours la saine doctrine, toutefois, suivant les données de la tradition, ont pieusement disserté du Saint-Esprit, τὰς εὐσεθεῖς φωνάς ἀφῆκε περὶ τοῦ Πνεύματος. Liber de Spiritu Sancto, c. xxix, 73, P. G., t. xxxii, col. 264. Le témoignage de Photius, dont on est unanime à reconnaître la prodigieuse érudition, est encore plus décisif : « Origène n’a point erré sur la sainte Trinité ; mais en voulant combattre l’hérésie de Sabellius, qui alors faisait beaucoup de mal, et défendre la trinité des personnes, leur distinction manifeste et multiple, il a dépassé la juste mesure. » Bibtiotheca, cod. 117, P. G., t. ciii, col. 395.

Quoi qu’il en soit de ces avis contradictoires, pour ce qui concerne la doctrine du Saint-Esprit, nous croyons qu’Origène l’a exposée avec beaucoup de clarté, et qu’en l’exposant, il a été fidèle à la vraie tradition de l’Église, qui affirme la consubstantialité divine et la personnalité distincte du Saint-Esprit. Mais pour bien saisir sa véritable pensée, pour montrer que, même dans ses expressions les plus audacieuses et les plus dures, il n’a pas d’attaches aux hérésies antitrinitaires et qu’il a sauvegardé la nature divine du Saint-Esprit, il faut interpréter sa doctrine à la lumière des principes qu’il s’est posé à lui-même dans ses recherches théologiques.

Origène soutient la nécessité de s’en tenir à la prédication ecclésiastique, servetur ecclesiastica prædicatio, transmise par les apôtres suivant l’ordre de succession, et telle qu’elle est demeurée jusqu’à nos jours dans les Églises. Il ne faut admettre comme vrai que ce qui ne s’éloigne en rien de la tradition écclésiastique ou apostolique. De principiis, præf., 2, P. G ;., t.xi, col. 116. Il y a donc des points immuables, intangibles dans la doctrine du christianisme, des vérités que les apôtres ont énoncées clairement, parce qu’ils les ont jugées nécessaires pour tous, même pour les pigriores erga inquisitionem divinæ scientiæ. Ibid., 3, col. 116. Cependant, sur d’autres points, ils ont bien dit ce qui est, mais en passant sous silence le comment et le pourquoi, sans doute afin de fournir à ceux qui viendraient après eux l’occasion d’exercer leur esprit. Ibid., 3, col. 116, 117. Origène établit donc une distinction bien marquée entre l’objet nécessaire de la croyance, l’élément révélé et traditionnel de la foi, et les questions secondaires, l’élément spéculatif et individuel abandonné au libre travail de la pensée humaine. Cette distinction, il nous en avertit, il l’applique à la théologie du Saint-Esprit.

La prédication apostolique enseigne que le Saint-Esprit est associé au Père et au Fils dans l’égalité de nature et dans le droit à la même adoration : honore ac dignitate Patri ac Filio sociatum tradiderunt. Ibid., 4, col. 117. Nous avons ici la profession explicite de la divinité et de la personnalité du Saint-Esprit, et cette profession est, comme Origène la qualifie, l'élément et la base de la théologie trinitaire. La prédication apostolique affirme aussi que le Saint-Esprit est un ; qu’il se révèle, sans se dédoubler, dans l’Ancien et le Nouveau Testament ; qu’il a été la source de l’inspiration prophétique pour tous les justes, pour les prophètes de la loi mosa’ique, aussi bien que pour les apôtres. Ibid., col. 118.

Mais à côté de cet élément traditionnel, il y a, toujours d’après Origène, un ensemble de doctrines qu’on peut tirer des vérités de la prédication apostolique par voie de conséquence. Les apôtres, en effet, n’ont pas déclaré si le Saint-Esprit est engendré ou non (factus an infectus, d’après saint Jérôme), c’est-à-dire s’il procède du Père par voie de génération, comme le Verbe. En ce qui concerne ces questions, il faut approfondir par une recherche savante et perspicace les textes de l’Écriture sainte, et demander à la raison éclairée par la foi la solution des difficultés qu’elles soulèvent.

D’un côté donc, Origène, en traitant du Saint-Esprit, exprime la foi de l’Église reçue par le moyen de la tradition ; de l’autre, il fait part à ses lecteurs des fruits de ses méditations philosophiques sur le mystère de la Trinité, des théories, où l’on ne saurait voir l’enseignement officiel de l’Église, mais ses conclusions personnelles. Dans le premier cas, il est réellement un témoin de la tradition : sa doctrine est irréprochable ; ses idées, formulées avec précision, échappent aux traits de la critique. Dans le second cas, il est un docteur particulier, qui parfois se laisse aller à la dérive dans son exégèse allégorique, ou dans son dilettantisme philosophique, et, par inadvertance ou par l’emploi d’expressions obscures et dangereuses, donne prise aux accusations de ses adversaires.

Saint Athanase et saint Basile mettent en évidence ce double rôle d’Origène dans sa carrière littéraire. Le premier en appelle à son témoignage, seulement lorsqu’il affirme et définit avec confiance, c’est-à-dire lorsqu’il propose la doctrine contenue dans la prédication de l’Église. Le second déclare qu’Origène professe la saine doctrine de l’Église sur le Saint-Esprit, toutes les fois qu’il s’en tient avec respect et fidélité à la tradition : reveritus consuetidinis robur.

Ces remarques posées, il est utile tout d’abord d’analyser les textes où Origène parle suivant les données de la tradition. Il pense que la subsistance du Saint-Esprit en Dieu est une vérité que nous aurions toujours ignorée, si la révélation d’en-haut ne nous l’avait enseignée. Les philosophes, les savants n’ont pas soupçonné, dans l’être divin, un troisième terme, le Saint-Esprit, distinct du Père et du Logos. La connaissance du Saint-Esprit, soutient Origène, nous est venue par la loi, les prophètes et la révélation chrétienne. De principiis, I, iii, 1, col. 147. Origène n’ignorait pas sans doute que la philosophie grecque avait eu l’intuition lointaine de la Trinité, et, partant, de l’Esprit de Dieu. Mais cette vague connaissance n’était pas, à son avis, le produit du travail spéculatif de la pensée humaine. La théorie du logos chez Platon et ses disciples était plus un larcin qu’un emprunt fait à la révélation mosaïque, où l’école platonicienne avait puisé sa connaissance rudimentaire de la Trinité. L’école platonicienne comptait dans ses rangs les fures Hebrærorum (l’épithète est de Clément d’Alexandrie) qui, dans les Livres saints, ravissaient les données les plus élevées de leur théodicée et de leur éthique.

Le témoignage de l’Écriture sainte sur le Saint-Esprit est multiple et varié. De principiis, I, iii, 2, col. 147. L’Ancien Testament ne le passe pas sous silence ; dans le Nouveau, il est souvent question de lui, et puisque le Saint-Esprit est l’auteur des livres inspirés, ibid., præf., 8 ; I, iii, 1, col. 119, 120, 146, il y a lieu de dire qu’il révèle lui-même au monde sa