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ESPEFIANCE

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graciés de la nature, les plus criminels, dans les damnés qui ne cessent pas de s’aimer. — De ces principes Coninck tire les conséquences suivantes. Quand, par un amour désintéressé, je souhaite un bien à un ami, le motif de mon acte, c"est la bonne qualité, la perfection que j’ai constatée en lui et qui est le fondement de cette amitié ; la preuve, c’est que je ne fais pas le même souhait pour d’autres, quoique je sache que ce bien leur serait tout aussi utile qu’à cet ami, ou même davantage ; et de même, le motif de mon amour désintéressé pour Dieu, ce sont les perfections divines, ce qu’on appelle la bonté absolue de Dieu. Quand je me désire un bien à moi-même, il n’y a pas d’autre perfection contemplée et aimée que celle de ce bien : c’est donc elle qui donne à l’acte son motif spécifique, et qui en détermine la valeur morale, suivant que ce bien est d’une bonté réelle ou apparente, qu’il est permis ou défendu, qu’il est suprême ou qu’il ne l’est pas ; quand je veux pour moi-même Dieu, souverain bien, il n’y a pas d’autre perfection contemplée et aimée que celle de Dieu, et le motif unique qui spécifie l’acte, c’est la bonté relative de Dieu, par laquelle il est ma béatitude et ma fin. Ainsi, pour des raisons différentes, la perfection divine se trouve être l’unique et immédiat motif des deux amours, de celui d’espérance comme de celui de charité, les deux vertus sont vraiment théologales ; et dans les deux nous nous subordonnons à la perfection divine, et nous l’apprécions par-dessus tout, quoique plus parfaitement dans la charité. Sur l’appréciation souveraine de Dieu dans les deux vertus, voir col. 624. Cette appréciation souveraine du finis qui n’a pas à souffrir de ce que, dans l’amour d’espérance, ma propre personne est l’unique finis ciii, ou de ce que cette sorte d’amour m’est plus facile que l’autre, plus fréquent, plus intense : ces avantages de l’amour intéressé ne tiennent pas à une haute idée que je me fais de mon excellence, mais à l’union plus étroite que j’ai avec moi-même. Unicuiqnc ad seipsum est iinitos, qitee est poiior unione ad aliiim, dit saint Thomas. Sum. theol., II » 11^, q. xxv, a. 4.

A peine cette belle théorie de Coninck eut-elle paru, qu’elle fut approuvée par Lugo et Ripalda, qui tous deux prétendirent l’avoir déjà enseignée. Lugo, De pœnitenlia, dist. III, n. 38 sq., Venise, 1718, p. 18 ; Ripalda, De virtutibus, dist. XXIII, sect. viii. Opéra, Paris, 1873, t. viii, p. 113. Elle fut suivie par Haunold, loc. cit., p. 426 ; Pallavicini, etc.

Fin du XVIIe siècle : le quiétisme de Molinos et le semiquiétisme de Fénelon.

Nous avons vu le jansénisme rejeter absolument l’amour de convoitise pour Dieu, propre à l’espérance, et exiger de tous les fidèles dans tous leurs actes l’amour désintéressé de la charité. Le quiétisme ne va pas si loin : c’est seulement aux âmes plus parfaites qu’il impose un continuel exercice du pur amour, c’est seulement chez elles qu’il regarde tout amour intéressé comme hors de saison. De ces âmes, Molinos élimine la pratique de l’espérance théologale, tout simplement ; Fénelon veut la garder, mais en " l’épurant » , position plus compliquée, qui l’amène à fausser la notion même de l’espérance chrétienne, et à attaquer ainsi malgré lui cette vertu, dont il voulait respecter l’usage chez les parfaits.

Nous n’entrerons pas dans l’histoire du quiétisme, ni dans la réfutation de celles de ses erreurs qui ne touchent pas directement à l’espérance, comme l’annihilation des facultés et la non-résistance aux tentations de la chair, dans Molinos ; une certaine direction des âmes éprouvées, dans Fénelon ; la méthode de contemplation dans l’un et dans l’autre. Voir QUiÉTisME, Molinos, Fénelon.

1. Molinos et l’espérance.

De ses 68 propositions. condamnées par Innocent XI en 1C87, deux se rapportent directement à notre sujet :

L’âme (dans la voie in térieure) ne doit penser ni

à la récompense, ni à la

punition, ni au paradis, ni

à l’enfer, ni à la mort, ni à

l’éternité.

Celui qui a donné à Dieu

son libre arbitre ne doit

avoir souci de rien, ni de

l’enfer ni du paradis ; il ne

dcit pas désirer sa propre

perfection, ni les ^ ertus, ni

sa propre sainteté, ni son

propre salut, dont il doit

purifier l’espérance (ou per dre l’espérance » . trad. de

Fénelon, t. ii, p. 233).

7. Non débet anima co gitare nec de prfemio, nec

de punitione, nec de para diso, nec de inferno, nec de

morte, nec de seternitate.

Denzinger, n. 1227 ll094).

12. Qui suuni liberum ar bitrium Deo donavit, de

nulla re débet ciiram ha bere, nec de interno nec de

paradiso ; nec débet deside rium habere proprise perfe ctionis nec virtutum nec

propriae sanctitati s nec pro pri » salutis, cujus spem

purgare débet. Denzinger,

n. 1232.

La 7* proposition a été appréciée ainsi par les théologiens qualificateurs : maie sonans, scandalosa et hæresint sapiens. « Les docteurs mêmes de la mystique, dit le cardinal Gennari, conseillent la méditation des fins dernières, même à ceux qui sont favorisés de dons surnaturels et qui sont parvenus à la plus haute contemplation : et cela pour qu’ils ne soient pas tentés d’orgueil, ou exposés au danger de tomber. «  Et il cite le chapitre xv de l’autobiographie de sainte Thérèse. Del falso mislicismo, 2e édit., Rome. 1907, p. 25. La 12 « proposition a été qualifiée ainsi : Hæresim sapiens, damnata in eoncilio Viennensi inler errores Begiiardonim, errore 6°, el in conc. Tridenlino, sess. VI, can. 26 el 31… Sur la proposition analogue des Béguards, prop. G, condamnée au concile de Vienne, voir Béguards, t. ii, col. 532. Quant aux canons du concile de Trente, sur l’erreur analogue des protestants, nous en avons parlé, col. 607-608.

On trouvera les raisons de rejeter la doctrine de Molinos dans la critique que nous ferons de celle de Fénelon.

2. Fénelon et l’espérance.

Plusieurs de ses 23 propositions, condamnées par Innocent XII, en 1699, se rapportent directement à notre sujet : nous les donnons dans le texte original français, Œnorcs de Fénelon, édit. Leroux Gaumc, t. iii, p. 106, ou Œuvres de Bossuct, édit. Lâchât, t. xx, p. 474. Pour le texte latin, voir Denzinger, n. 1327 (1193). Si l’on veut retrouver les propositions dans le livre même d’où elles sont extraites avec leur contexte, voir Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, édition critique, par Albert Chérel, Paris, 1911 ; on trouvera, p. 87, 88, la liste des références.

1° proposition. Il y a un état habituel d’amour de Dieu, qui est une charité pure et sans aucun mélange du niotil de l’intérêt propre. Ni la crainte des cliâlinients, ni le désir des récompenses n’ont plus de part à cet amour… 2° prop. Dans l’état de la vie contemplative ou unitivc, on perd tout motif intéressé de crainte et d’espérance… 4^^ prop. Dans l’état de la sainte indifférence, l’âme n’a plus de désirs volontaires et délibérés pour son intérêt, excepté dans les occasions où clic ne coopère pas fidèlement à toute sa grâce (cꝟ. 5’prop.)… 6’prop. En cet état, on [ne veut plus le salut comme salut propre, comme délivrance éternelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de tous nos intérêts, mais on le veut, d’une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir do Dieu, comme une chose qu’il veut, et qu’il veut que nous voulions pour lui… 11" prop. fin cet état (d’épreuve) une âme perd toute espérance pour son propre intérêt : mais elle ne perd jamais dans la partie supérieure, c’est-à-dire dans ses actes directs et intimes, l’espérance parfailequi est le désir désintéressé des promesses… 23* prop. Le pur amour fait lui seul toute la vie intérieure, et devient alors l’unique principe et l’unique motif de tous les actes délibérés et méritoires.

La controverse de Fénelon avec Rossuct avait porté d’abord sur la direction des âmes contenipl : itiv es