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ESCLAVAGE

’ne visaient qne les injustices les plus évidentes de la traite : 1. Si les marcliands qui vont en Afrique pour acheter des esclaves, ou les commis qui demeurent dans les comptoirs peuvent acheter des gens qu’ils savent avoir été dérobés, attendu que ce qui nous paraît un désordre est une coutume reçue par ces peuples et autorisée par leurs rois. 2. Si les habitants de l’Amérique, à qui ces marcliands les apportent, peuvent acheter indilTéremment tous les nègres qu’on leur présente, sans s’informer s’ils ont été volés, ou s’ils ont été vendus pour une raison légitime. 3. A quelle réparation les uns et les autres sont obligés quand ils connaissent avoir acheté des nègres qui ont été dérobés. « La décision, ajoute le dominicain, qu’un de nos religieux apporte sur ces trois articles n’a pas été reçue aux Iles. On y a trouvé des diflicultés insurmontables, et nos habitants disaient que les docteurs qu’on avait consultés n’avaient ni habitation aux Iles, ni intérêt dans les Compagnies et qu’ils auraient décidé tout autrement, s’ils eussent été dans l’un de ces cas. » Labat, O. P., Nouveau voyaç/e aux Isles de l’Amérique, 1724, t. iv, p. 119. Cf. les réponses de la S. C. du Saint-Office, le 20 mars 1686, n. 2100, et le 12 septembre 1776, n. 2101, dans Bucceroni, Enchiridion morale, 4°= édit., Rome, 1905, p. 105, 100. i

Billuart s’exprime comme Bossuet, Cursus iheol.’universalis, Wurzbourg, 1758, t. ii, p. 261 : Servitus I nullo jure prohibetur. Non naturali, quia… homo, habel dominium utile sni corporis… Non divino, ut palet ex Velere Testamento… et ex Novo… Non Inimuno 1 ut palet ex variis utriusque juris locis… Nunc jure novo disponenle, nulla amplius admittitur servitus inter christianos. Excipe regiones Americanas, in quitus Europœi habent adhuc Africanos servos.

SaintvlphonsedeLiguori, sansexaminerla question, décide incidemment, 1. III, tr. V, dub. i, n. 525, qu’un chrétien captif cliez les Turcs peut y prendre de quoi se racheter. Et même un chrétien quelconque peut prendre chez les Turcs, car c’est la volonté présumée des princes chrétiens, lesquels ont assurément le droit de dépouiller les Turcs de tout ce qu’ils ont pris ; aux chrétiens.

Dans le cours du xviiie siècle, l’opinion générale se fait moins affirmative. Le chanoine Savary des Bruslons, reprenant l’ouvrage de son frère, écrit dans le Dictionnaire universel du commerce, Copenhague, 1761, t. iii, p. 1096 : " II est diiïicile de justifier tout à fait le commerce des nègres ; cependant, il est vrai que comme ces misérables esclaves trouvent ordinairement leur salut dans la perte de leur liberté, et la raison de l’instruction chrétienne qu’on leur donne, jointe au besoin indispensable qu’on a d’eux pour les cultures des sucres, des tabacs, des indigos, etc., adoucissent ce qui paraît d’inhumain dans un négoce où des hommes sont les marchands d’autres hommes, et les achètent de même que des bestiaux pour cultiver leurs terres. »

Le Dictionnaire de théologie de Bergier, t. iv, au mot Nègres, après avoir renversé tous les jjrétextes en faveur de la traite, ajoute : « Réfuter de mauvaises raisons, ce n’est point entreprendre de décider absolument une question : lorsqu’on en apportera de meilleures, nous nous y rendrons volontiers. Les gouvernements les plus équitables, les plus sages, sont souvent forcés de tolérer des abus, lorsqu’ils sont universellement établis, comme l’usure, la prostitution, les pilleries des traitants, l’insolence des nobles, etc. Comment lutter contre le torrent des mœurs, lorsqu’il entraîne généralement tous les états de la société ? »

Il suffit de rappeler le comte de Maistre, Du pape, I. iii, c. II : « L’homme, en général, s’il est réduit à lui-même, est trop méchant pour être libre. » Au fond,

la pensée est celle qu’ont exprimée saint Bonaventureet d’autres docteurs ; mais elle a ici le tour excessif, , si caractéristique de l’auteur ; et elle provoque l’objection formulée par Auguste Cochin : « Le méchant, c’est le maître. »

Mœhler reprend avec précision la pensée fondamentale exprimée par les Pères : » L’iiomme, dès là qu’il avait refusé à Dieu d’obéir, était devenu son propre maître, et aussi son propre esclave ; accoutumé à cette sorte de servitude, il ne trouvait plus dans un autre esclavage rien de trop révoltant. Ce que dit le sage est bien vrai : Quiconque est son maître, est disciple d’un sot, mais-il est aussi exact d’ajouter : quiconque obéit à soi-même est serf d’un aveugle despote. Privé de sa plus haute dignité : le service du bien et la liberté des enfants de Dieu, hors d’état de se dissimuler, combien il a perdu de sa grandeur, il se résout à envisager une nouvelle diminution. Et ce n’était point là le seul acheminement à l’esclavage. Tandis que l’union entre Dieu et l’homme s’était changée en lutte, des convoitises sans nombre s’étaient éveillées dans l’homme ; d’où parmi les hommes entre eux d’inévitables compétitions terminées par de véritables combats : le seul terme possible était l’asservissement complet de l’un des deux. » Gesammelte Scliriften, Ratisbonne, 1840, t. ii, p. 56-57.

VII. Conclusions.

Examinons, à la lumière de

ces faits, les griefs que l’on formule ordinairement contre l’Église.

1 L’Église, au temps même des apôtres, ni des empereurs chrétiens, n’a pas aboli l’esclavage. « C’eût été une révolution sociale, à peine réalisable dans le milieu chrétien, tout circonscrit qu’il fût : impossible aux yeux des maîtres, dont la fortune consistait surtout en esclaves ; impossible pour les esclaves, ainsi privés pour la plupart des moyens de subsistance qu’ils recevaient de leurs maîtres, » écrit le protestant Dobschùtz, Die urchristiichen Gemeinden, 1902, p. 89. Comparer avec Léon’Xllf, encyclique In plurimis, 1888 : ad manumissionem libertatemque curandam scrvorum noluit properare (Ecclesia), quod nisi iumultuose, et cum suo ipsorum damno reique publicæ delrimento fîcri profecto non poterat. Si saint Pierre avait recommencé la tentative de-Spartacus, on ne voit pas ce que les esclaves y auraient gagné, et d’ailleurs saint Pierre n’avait pas mission pour cela. Saint Jean Chrysostome l’a fait remarquer r II Car beaucoup se seraient crus obligés de blasphémer et de dire : le christianisme est venu en ce monde tout détruire, puisqu’on enlève aux maîtres jusqu’à leurs esclaves. » Homil. in Philem., proL, P. G., . t. Lxii, col. 704.

2° L’Église, non seulement n’a pas aboli l’esclavage, mais ne l’a même pas condamne.

L’Église a fait mieux que condamner l’esclavage, elle lui a pour ainsi dire ôté son venin ; d’un maître juste, chaste, et doux — -et la loi de l’Église n’oblige pas à moins que cela — l’esclave n’a guère à craindre ; chez l’esclave, elle a éveillé cette pensée de foi qu’à la place même où il se trouvait, il pouvait servir surtout Dieu lui-même. Saint Paul l’avait assez dît : .gobard le répétait encore au ixe siècle : Licel peccatis exigentibus, fuslissimo et occullissimo ejus judicio, cdii diversis honoribus sublimati, alii servitulis jugo depressi sunt, ita tamen a servis corporale ministerium dominis exliiberi ordinaverit, ut interiorem hominem ad imaginem suam conditum, nulli hominum, nulli angclorum, nulli omnino creaturæ sed sibi soli voluerit esse subjectum. P. L., t. civ, col. 177. Si l’esclavage a été injuste, le reproche concerne la loi civile qui l’a établi, et l’Église n’est intervenue que pour aider les hommes à ne pas léser la stricte justice en appliquant la loi civile.