Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée
491
492
ESCLAVAGE


1. Les lois laissaient place à des abus qui étaient l’esclauarje même. — a) Les cominendes ou repariimientos étaient la concession faite à un Espagnol d’une partie de la colonie : du terrain et des habitants ; c’était la subdclégation d’un particulier à cette donation faite par les papes aux rois d’Espagne ; mais ici la mission de faire pénétrer le christianisme était reléguée à l’arrière-plan, ou était éliminée. Las Casas en était profondément blessé, car c’était « le moyen le plus injuste de faire remplir l’engagement qu’ils avaient contracté pour le salut éternel des Indiens, en l’imposant d’une manière frauduleuse à des laïques ignorants et féroces, qu’il investissait en même temps du droit de les traiter en esclaves et de les employer à leur service. « Las Casas, t. i, 2^ Mém., p. 182.

Ces commendes auraient pu faire échapper à l’esclavage, si précisément elles n’étaient devenues un esclavage mal déguisé. Dès les jours de Colomb, le mal avait commencé ; pour ramener à lui Roldan et d’autres aventuriers, il leur concède le servage domestique des Indiens. Puis les seigneurs d’Espagne, ceux-là même qui n’ont jamais été en Amérique, reçoivent ces commendes ; les conseillers du roi en sont pourvus. Et dès 1512 est donnée à Montesino cette réponse incohérente : les Indiens sont libres, et les repartimienlos peuvent continuer. Las Casas donnera plus tard cette démonstration de la liberté des Indiens : En sorte qu’ils relèvent de quatre maîtres : de V. M., de leur cacique, de celui qui les tient en commende, et de s^^on fermier. Ovando, en 1503, embarque 40000 Indiens des Lucayes ; et il explique au roi : c’est parce que nous n’avons pas de missionnaires à leur envoyer. En 1532, à Mexico, on défend aux ecclésiastiques de gérer des commendes : mesure heureuse, puisqu’elle assurait la liberté de leur ministère ; mais mesure qui laissait la place à des mains moins délicates. Les efforts de Las Casas avaient abouti aux lois de 1542 qui décidaient l’extinction progressive ou immédiate des commendes : ces lois ne furent pas appliquées ; mais à partir de 1542, il y a détente : les travaux sont volontaires et rémunérés. Les jésuites du Brésil n’ont jamais voulu accepter de commendes.

Avendano, qui écrivait vers le milieu du xvii’siècle, donne de la commende une définition qui eût été mensongère dans le siècle précédent : Commenda dicitur jus ad iribulum Indonim, ratione siquidem illoium talia tribuia recipientibus commendali sunt, ut ipsorum defensioni, inslructioni et temporali et spiriluali profectui curam debent sollicitam adhibere. Thés. Indiens, 1. I, tit. vii, c. i. Les commendes disparurent au début du xviiie siècle ; les nègres seuls restèrent esclaves.

b) La mita était une des formes du servicio Personal. Solorzano, 1. II, p. 1, 5, définit les miiayos, homines qui per viees ad seiviendum mutaniur. Il s’agissait surtout du travail des mines, parfois, dit Solorzano, à cent milles de distance, et si meurtrier que parfois à peine 1 /lO revenait. Le P. Motolinia parle en 1542 d’un chemin de mines jonché de cadavres. La mita fut supprimée en 1670. Melchior de Lifian, archevêque de Lima, et vice-roi du Pérou, la rétablit en 1682, en disant que les Indiens aux mines commettent beaucoup moins de péchés qu’en liberté.

c) Les Caraïbes, proclamés aptes à l’esclavage, offraient un prétexte à bien des violations de la loi. Qu’eux-mêmes pussent être réduits en servitude, on pouvait alors le soutenir ; la lettre du dominicain Thomas Ortiz, Morelli, Fasti novi oibis, p. 134, en témoignait suflîsamment. Il était d’abord convenu que ces Caraïbes cannibales seraient asservis, s’ils

résistaient à la pénétration espagnole. Le testament d’Isabelle (1504) ne semble pas les exclure des voies de douceur. En 1513, on accorde qu’ils seront marqués au fer rouge ; en 1523, un texte légal définit le Caraïbe ; les plaintes se renouvellent contre eux en 1525, et cette clause des Caraïbes permettait en pratique d’asservir qui l’on voulait.

2. L’introduction des nègres déjà antérieurement réduits en servitude. — Que l’esclavage des nègres et même la traite aient été pratiqués, mais avec réserve, par les Espagnols et les Portugais, avant la découverte de l’Amérique, cf. Civittà cattolica, VI « série, t. v, p. 154 sq., où on cite les relations des voyageurs : Lanzarote, Ant. Consalvo, Gomez l’erjz, Usodimore et Ca-da-Mosto. Ce dernier, de son oyage de 1455, a rapporté « un certain nombre de têtes » , et il a vu au fort d’Arguin un trafic de 7 à 800 hommes ; de son voyage de 1463, il rapporte : « nombre de nègres » ; l’historien Barros qui signale déjà une vente d’hommes « troco d’almas » en 1441, Dec. I, 1. II, c. II, et qui loue Jean II d’avoir donné la Guinée au Portugal pour son service public et privé, Dec. I, 1. III, c. ii ; l’historien Nunez rapporte qu’Alonzo Fernandez de Lugo a fait saisir à Ténérifꝟ. 400 hommes pour les vendre comme esclaves à Cadix et à Séville. Ferdinand les fait mettre en liberté. Le gouverneur des Canaries, D. Pedro de Vera, condamne légalement à l’esclavage des hommes d’ailleurs complètement innocents. Dès qu’il est averti, le roi les fait mettre en liberté, 1. I, c. xii-xv.

L’importation des noirs n’était donc ni une idée, ni une pratique nouvelle ; et quand on a vu les Indiens dépérir dans la culture de l’Amérique trop pénible pour eux, il n’est pas étonnant qu’on ait songé à amener des nègres. Las Casas n’a donc pas formulé la proposition ; et d’ailleurs peu importe.

En 1511, le développement de la culture du sucre fait chercher comment on pourra introduire beaucoup de nègres de Guinée. Herrera, Dec. I, 1. IX, c. v. Ximénès seul, dans ses ordonnances de 1516, s’est absolument opposé à aucun passage de ce genre. Mais il mourut peu après.

Las Casas et les hiéronj-mites, arbitres entre les dominicains et les franciscains, pensèrent à déterminer une émigration de laboureurs espagnols et à permettre l’importation des nègres, avantageuse au trésor, aux colonies, aux naturels. Presque aussitôt, Saint-Domingue, Porto-Rico, Cuba et la Jamaïque demandent 4 000 nègres, et pour une somme de 25000 ducats cette importation est affermée aux Génois pour huit ans. Ce que sera par la suite cet esclavage, on le verra plus loin.

3. L’intérêt des particuliers et des gouvernements contribua singulièrement à leur faire fermer les yeux sur les injustices manifestes de l’esclavage des Indiens ou des nègres.

Les particuliers tout d’abord ne cherchaient que le profit immédiat. Dans la pratique, d’ailleurs, et Las Casas nous l’a déjà montré, le roi d’Espagne n’avait qu’une puissance nominale en Amérique ; et abolir l’esclavage était renverser le système colonial. Les commendes étaient le dédommagement convoité d’expéditions dangereuses et de l’expatriation. Et toute enquête, seul moyen qui parût logique de connaître l’état de chacun, était d’avance suspecte et viciée. Sous Jean VI, 2000 esclaves furent appelés à un interrogatoire de ce genre : 700 seulement se présentèrent et tous avouèrent être esclaves. Carel, Vie de Vieyra, p. 239.

Après les particuliers, les fonctionnaires eux aussi intéressés. Au chef de son escorte qui capture des Indiens, Vieyra oppose les décrets royaux. Le soldat riposte : Si vous avez vos instructions, j’ai aussi les