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ERIGÈNE


ger, quelle que soil la date de son arrivée ; du reste, le P. Jacquin, Ticvuc des sciences philosophiques et théologiques, Kain, 1907, t. i, p. 078-084, a démontré que, dans la première période de son séjour en France, au moins jusqu’en 851, Scot n’a pas connu le pseudo-Denys : il a fixé aux années 858-800 la date de cette traduction. La traduction de saint Maxime et les Exposiliones sur le pseudo-Denys ont dû suivre. Les Expositiones seraient postérieures au De divisione nuluræ. Cf. H. J. Floss, P. L., t. cxxii, p. xxiv. Le De divisione naturæ semble avoir été achevé avant 865 ; Jean Scot l’offre à Wulfade, son « frère dans le Christ et son collaborateur dans les études de la sagesse, » à Wulfade « dont les exhortations et l’industrie l’ont amené à commencer l’ouvrage et à le conduire à sa fin, » P. L., t. cxxii, col. 1022 ; Wulfade devint archevêque de Bourges en 865, et il est à croire qu’Ériugène lui aurait donné ce titre si la promotion à Bourges avait eu lieu quand il lui dédiait son travail. Le commentaire sur Boèce paraît être des dernières années de Scot. Cf. E. Kennard Rand, Johannes Scollus, Munich, 1906, p. 27. Les poésies s’échelonnent le long de sa résidence auprès de Charles le Chauve. Sur le reste, on est sans renseignements précis.

Nous n’avons pas, tant s’en faut, un texte satisfaisant des écrits d’Ériugène. Nous ne possédons pas tous ses ouvrages, et de plusieurs de ceux qui nous sont parvenus, sans en excepter les œuvres importantes, par exemple, le commentaire sur saint Jean, des fragments seulement sont à notre disposition. Des découvertes, comme celles du commentaire sur Martianus Capella, malheureusement publié de façon partielle (voir à la bibliographie), et du commentaire sur Boèce, montrent quels trésors peuvent encore receler les bibliothèques. D’autre part, le texte de la dernière édition des Opéra omnia, celle de H. J. Floss, P. L., 1853, t. cxxii, n’est pas irréprochable. La découverte, par exemple, d’un manuscrit du Z>e divisione naturæ, le codex Bambergensis, presque contemporain, dans sa première partie, d’Ériugène, et non utilisé par Floss, permet de toucher du doigt quelques-unes des défectuosités de l’édition Floss, et donc le besoin d’une édition scientifique. Cf. A. Schmitt, Zwci noch unbeniiizle Handschriflen des Johannes Scolus Erigena, Bamberg, 1900 ; J. Drâseke, Johcuines Scolus Erigena unddessen Gcwâhrsmânncr inseincm WerkeDe divisione naturæ libri V, Leipzig, 1902, p. 3-7, 04. Voir encore L. Traube dans Rand, Johannes Scollus, p. x, et E. Bquonaiuti], dans Rivisla slorico-critica délie scienze tcologiclie, Rome, 1908, t. iv, p. 149.

III. Doctrines.

I. les sources. — « Une étude approfondie sur la philosophie de Scot reste à faire, » dit M. de Wulf, Hisloirc de la philosophie médiévale, 2<= édit., 1905, Louvain, p. 185 ; c’est aussi vrai de sa théologie. Étant donné l’état du texte de Scot, cette étude était et reste extrêmement difficile, sinon impossible. Une des raisons pour lesquelles elle n’a pas été poussée aussi loin qu’on l’aurait pu, c’est que, jusqu’à ces dernières années, on ne s’était pas suffisamment préoccupé d’en rechercher les sources. La connaissance d’un auteur demande qu’on se mette dans sa perspective et dans celle de son siècle, qu’on se rende compte de ce qu’il doit à ses devanciers, de la mesure dans laquelle il s’en est servi, de la manière dont il les a compris, de sa part d’originalité personnelle. C’est ce qu’on a commencé de faire, grâce principalement à J. Drâseke.

Sources grecques.

Ériugène est le plus grec des

écrivains latins du ixe siècle. Il l’est même tellement, il se réclame des Grecs avec une telle insistance, il tranche si fort sur ses contemporains par sa connaissance du grec et sa culture philosophique et littéraire, toute imprégnée d’hellénisme, qu’on a jugé « impos sible d’admettre qu’il se soit formé en Occident » et supposé que « ce néoplatonicien, tout à fait incompris des théologiens de l’Occident, était peut-être un oriental ou tout au moins qu’il avait fait un séjour en Orient, » et que par là s’explique sa personnalité extraordinaire. Cf. G. Brunhes, La foi chréliennc et la philosophie au temps de la renaissance carolingienne, Paris, 1903, p. 199-200. Non, l’hellénisme d’Ériugène n’est pas si accentué, et son néoplatonisme ne nous est venu de l’Orient que par l’intermédiaire des livres. Il put apprendre le grec en Irlande ou en Angleterre ; on l’étudiait dans quelques monastères de Grande-Bretagne, depuis le temps de Théodore de Tarse, archevêque de Cantorbcry (608-090), cf. J. Drâseke, Joliannes Scolus Erigena, p. 9, et, < longtemps protégée contre les barbares par son éloignement même, l’Irlande avait gardé quelques dépôts de la science hellénique. » E. Egger, L’iiellénisme en France, Paris, 1869, t. I, p. 50. Cf. B. Hauréau, Singularités historiques et lilléraires, Paris, 1851 ; M. Roger, L’enseignement des lettres classiques d’Ausone à Alcuin, Paris, 1905. Qu’il ait su le grec mieux que ses contemporains, sans en excepter sans doute ses maîtres, cela prouve simplement qu’il eut un esprit pénétrant développé par un travail intense. Quoi qu’il en soit, le P. Jacquin, dans la Revue des sciences philosophiques cl Ihéologiques, Kain, 1907, t. i, p. 674-685 ; cf. J. Drâseke, dans Revue de philosophie, Paris, 1909, t. IX, p. 645, note 2, a démontré que probablement « son étude directe des auteurs grecs est postérieure à son arrivée en France, » p. 678 ; que, au moment où il écrivit son De prædestinatione (851), il était « sous l’influence presque exclusive des auteurs latins et surtout qu’il n’utilisait pas les écrits aréopagitiques, » p. 076 ; que « les idées néoplatoniciennes qu’il émet à cette époque sont empruntées, dans leurs principes au moins, aux ouvrages de saint Augustin, » p. 683. L’initiation d’Ériugène à la littérature grecque se fit peu à peu ; la grande révélation lui vint du pseudo-Denys. Il ne cite pas un auteur grec dans le De prædestinatione ; dans le De divisione naturæ, il cite Aristote, Platon, Ératosthène, Clément d’Alexandrie, Origène, saint Basile, saint Jean Chrysostome, saint Épiphane, saint Grégoire de Nysse, saint Grégoire de Nazianze, le pseudo-Denys, saint Maxime le Confesseur. Cf. J. Drâseke, Johannes Scolus Erigena, p. 9-10, 27-63, 66-67, dans Zeitschrifl jiir wissenschaflliche Théologie, Leipzig, 1903, t. xlvi, p. 563-580 ; 1904, t. XLVii, p. 121-130, 250 sq. ; dans Theologische Studicn und Kritiken, Gotha, 1909, p. 530-570. N’en concluons ni qu’il a lu tous ces auteurs dans le texte original, ni que ceux qu’il a lus dans l’original il les a toujours parfaitement compris. Les écrits de l’antiquité grecque ne furent connus directement que d’un petit nombre de chrétiens occidentaux du moyen âge, surtout du ix° siècle. Cf. F. Picavet, Esquisse d’une histoire générale et comparée des philosophies médiévales, Paris, 1905, p. 156-160 ; M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, 2^ édit., Louvain, 1905, p. 149-152. Ériugène semble avoir lu dans l’original, avec le pseudo-Denys et saint Maxime, des traités de saint Épiphane et de saint Grégoire de Nysse. Ses traductions du grec sont défectueuses, et, même en admettant qu’il ait eu sous les yeux des manuscrits imparfaits, il est impossible de lui accorder une connaissance achevée des finesses de la belle langue grecque. En somme, il a connu le Timée de Platon par l’intermédiaire de la traduction et du commentaire de Chalcidius et aussi par Cicéron ; il a été initié au néoplatonisme, non par la lecture de Plotin, de Proclus ou de tout autre philosophe de cette école, mais par celle de saint Augustin et du pseudo-Denys. Telles sont les limites de son hellénisme et de son néoplatonisme : loin de résulter