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ERASME


l’un de ses modèles et de ses guides, rempliront les cinq années de son séjour à Emmalis.

Quelques opuscules de jeunesse, vers et prose, attireront aussi l’attention sur Érasme ; et, de bonne heure, son mérite littéraire ayant vite percé, il verra s’ouvrir devant lui les portes de son couvent, qu’il tenait pour une prison ; il ne sera obligé qu’à garder l’habit religieux, sauf, toutefois, :  ! secouer cette obligation. Alors commence la vie cosmopolite d’Érasme, sans cesse en rupture de couvent, toujours en quête d’érudition et de renommée, de protections et de pensions. Cambrai fut sa première étape. L’évêque de cette ville, Henri de Berghes, projetant d’aller à Rome chercher le chapeau, et sentant le besoin des services d’un très bon latiniste, l’attacha en 1491 à sa maison et l’ordonna prêtre le 25 février 1492. Le voyage de Rome n’eut pas lieu ; mais Érasme ne laissa pas de rester auprès de l’évêque et de s’abriter sous son puissant patronage. Avec sa permission, il partit en 1496 pour Paris, où l’évêque lui procura d’abord au collège de Montaigu le vivre et le couvert, où il subvint ensuite à ses besoins en donnant des leçons et s’assura parmi ses élèves de précieuses et durables amitiés. Après qu’il eut quitté Paris, peu satisfait en somme de son séjour, au commencement de 1497, et revu Cambrai, on aperçoit Érasme tour à tour à Orléans, plongé dans l’étude de l’antiquité profane grecque et latine, puis en Hollande, puis, à dater de 1498, en Angleterre. Il y fut accueilli avec empressement par tout ce que l’Angleterre comptait d’hommes distingués, par les Thomas IIorus, les Fisher, les Warham, les Jean Colet, les Linacre, ctc., en même temps que par le prince de Galles, le futur Henri VIII, qui lui portera toujours une particulière sympathie. Rien pourtant, ni les hommages des Anglais, ni les pensions et les riclics cadeaux, ni les intérêts de la cause de l’humanisme, ne put y retenir et fixer Érasme ; dès 1499, il repassa sur le continent, et nous le retrouvons tantôt à Paris, tantôt à Louvain, où il refusera en 1502 une chaire à l’université, crainte que ses travaux personnels n’eussent à souffrir de l’exercice d’une telle charge. Les remarques de Laurent Valla sur le Nouveau Testament, qu’il découvrit en 1504 dans un couvent de Bruxelles, et les conseils d’un professeur de Louvain de ses amis, le futur pape Adrien VI, le décideront à élargir son horizon intellectuel : à l’étude passionnée des auteurs païens il joindra désormais celle de la sainte Écriture et des Pères de l’Église. Ce qui fera tomber sur son front, aux yeux surtout de ses contemporains, un nouveau et plus vif rayon de gloire.

Le désir de visiter l’Italie et le besoin de ramasser l’argent nécessaire pour son voyage ramenèrent Érasme en Angleterre, où des amis dévoués l’appelaient. Son attente n’y fut pas déçue ; mais, cette fois, il y demeura peu. En 1506, il partira pour l’Italie, prendra le bonnet de docteur en théologie à Turin et visitera la plupart des villes du nord et du centre de la péninsule, nouant partout d’affectueuses relations avec les savants les plus renommés, utilisant pour ses travaux bibliothèques et manuscrits, préparant à Venise les célèbres éditions latines sorties des presses d’Aide Manuce, dirigeant et surveillant A Padoue l’éducation universitaire d’un fils naturel du roi d’Ecosse, .Jacques IV, déjà pourvu à vingt ans de l’archevêché de Saint-André..X Home, enfin, où son renom l’avait précédé, les témoignages d’estime et d’admiration affluèrent chez lui de toutes parts ; on le pressa d’établir sa résidence à Rome ; le pape Jules II lui offrit même la charge de pénitencier, comme le marchepied du cardinalat. Érasme résista cependant à toutes ces avances. Le roi Henri VIII était monté sur le trône en 1507, et les amis du grand

humaniste le pressaient avec lui de revenir en Angleterre. Érasme ne resta pas sourd à leurs invitations, et reçut à la cour aussi bien que dans le monde savant un très cordial accueil. D’Oxford et de Cambridge on lui conféra le titre de docteur ; l’évêque de Rochester, Jean Fisher, chancelier de l’université de Cambridge, le pourvut à Cambridge de la chaire de grec et de théologie ; pour suppléer à l’insuffisance de son traitement professoral, l’archevêque Warham lui confiera près de Cantorbéry la cure d’Aldington, qu’il résignera d’ailleurs un an plus tard. Érasme occupa donc quelque temps sa chaire ; mais c’est moins à ses leçons publiques qu’à sa plume qu’il a dû son influence prépondérante sur les études ; par ses ouvrages de pédagogie, notamment par son livre De copia verbonim et rerum en 1512, il a dominé et régenté l’Angleterre.

Admiré, honoré, enrichi, Érasme néanmoins ne se résigna point à passer sa vie en Angleterre. Le vent, le climat, la bière, le manque de confort, tout avait, selon lui, sur sa gravelle un contre-coup fâcheux ; tout excitait ses déplaisirs, ses inquiétudes et ses plaintes. Il reprit donc avec joie la route des Flandres, quand, vers 1516, il fut appelé avec d’autres savants à Bruxelles, à la cour du jeune roi d’Espagne, Charles d’Autriche, le futur Charles-Quint. Le prince le nomma conseiller royal, avec une pension, quoique sans fonctions déterminées et sans l’obligation de la résidence. Charles songeait même à l’élever aux dignités ecclésiastiques et à le pourvoir d’un évêché en Sicile ; mais Érasme y était inliabile tant à cause de sa naissance que de son propre fait, soit pour avoir méconnu les devoirs de l’obéissance religieuse, soit pour avoir indûment déposé l’habit de son ordre. Il recourut donc au Saint-Siège, afin d’écarter les empêchements canoniques. Le pape Léon X accueillit sa requête et, par un bref du 26 janvier 1517, il chargea son légat en Angleterre, Ammonius, de relever l’impétrant des irrégularités et des censures encourues, autorisant Érasme, en outre, à vivre désormais hors du cloître et sous le costume du clergé séculier. C’était là un gage de la bienveillance particulière du pape ; c’était le silence imposé aux accusations que soulevait le genre de vie d’Érasme. Il enseigne quelque temps au CoUeginm triliiu/nc, fondé à l’université de Louvain par Busleyden..Mais la froideur ou l’hostilité ouverte de ses collègues le dégoûtent pien vite. Depuis lors, on voit encore Érasme tour à tour à Bruxelles, à Anvers, à Louvain, à Bille et sur les grands chemins, partout héroïquement laborieux, voué sans relâche à la composition de ses ouvrages et à la diffusion des œuvres de l’antiquité. Enfin, il cherchera en 1521 un asile sûr à Bâle, auprès de son ami, le libraire Froben. Il était à l’apogée de sa renommée. I-"rançois F’lui offrait à Paris la direction du Collège de France ; l’archiduc Ferdinand d’Autriche, le frère de (Charles-Quint, essayait, en lui promettant une riche jjension, de l’attirer à Vienne, pour y jeter un nouveau lustre sur la cour et sur l’université ; le roi Henri VI H, dans une lettre de sa main, lui ra])pelait sa promesse de consacrer à l’.Vngleterre au moins le soir de sa vie ; le roi de Pologne, Sigismond, lui témoignait les plus grands égards ; les iielits princes allemands et italiens s’honoraient d’être ses correspondants. 11 n’y avait dans la chrétienté aucune réputation comparable à celle d’Érasme. Point de savant <|ui ne rêvât de faire im pèlerinage littéraire auprès de lui ou d’obtenir au moins une de ses lettres. Les papes eux-mêmes tenaient à se ménager son amitié, et Léon X acceptait avec reconnaissance la dédicace de l’Épîlre aux Romains, l’-rasme. comme Voltaire au xviiisiècle, a été le vrai roi intellectuel de sontenips.