Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/152

Cette page n’a pas encore été corrigée
279
280
ÉPICLÈSE EUCHARISTIQUE


formule finale. Mais pr(’cisément de ce chef, elle est incomplète et ne peut avoir de valeur qu’en se combinant avec les opinions qui vont suiTc. Cette explication a été adoptée par un grand nombre de théologiens.

4° La consécration est l’œuvre commune des trois personnes de la Trinité, comme toute œuvre ad extra. L’Église, pour exprimer cette idée, après avoir rapporté le récit de la cène et fait))rononcer par le jirêtre les paroles du Christ qui opèrent la consécration, demande ensuite au Père d’envoyer le Saint-Esprit <le’Verbe, dans certaines épiclèses) pour que celui-ci opère aussi le changement. Mais dans la pensée de l’Église, cette demande se rapporte à l’instant précis de la consécration. Ne pouvant dire tout à la fois, force lui est d’exprimer successivement la part prise par les trois personnes à l’accomplissement du même mystère. Si la participation du Saint-Esprit est exprimée en termes si clairs, c’est que la tradition l.ii attribue communément la formation du corps eucliaristique de Jésus, tout comme celle de son corps historique dans le sein de Marie.

Cette explication, qui a le grand avantage de reposer sur une doctrine traditionnelle bien ferme, est celle que préfère Bessarion, loc. cit., et que beaucoup d’auteurs ont adoptée à sa suite.

Combinée avec la suivante, elle paraît bien la plus fondée et la seule satisfaisante.

5° L’Église a l’habitude, dans ses rites et spécialement dans l’administration des sacrements, de demander à plusieurs reprises ce qu’elle veut obtenir, même après que le rite essentiel est accompli et qu’invisiblement Dieu a déjà opéré l’effet du sacrement. C’est ce que jirouvent à l’évidence les rituels sacramentJÏres tant d’Orient que d’Occident. L’eucharistie ne fait pas exception. Nous ne devons donc pas nous étonner outre mesure de voir l’Église demander le changement du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ soit avant, soit après les paroles consécratoires de l’institution, qui constituent le point culminant de l’action liturgique. Il y a, en réalité, des épiclèses analogues pour tous les sacrements. « L’esprit des liturgies, dit Bossuet qui a excellemment exposé cette explication, déjà indiquée par Bessarion, et en général de toutes les consécrations, n’est pas de nous attacher à de certains moments précis, mais de nous faire considérer le total de l’action pour en comprendre ainsi l’effet entier… L’Église ne pouvant tout dire ni expliquer toute l’étendue du divin mystère en un seul endroit, divise son opération, quoique très simple en elle-même, comme en diverses parties, avec des paroles convenables à chacune, alin que le tout compose un même langage mystique et une même action morale. C’est donc pour rendre 1 1 chose plus sensible que l’Église parle en chaque endroit comme la faisant actuellement et sans même trop considérer si elle est faite, ou si elle peut être encore à faire ; très contente que le tout se trouve dans le total de l’action, et qu’on y ait à la fin l’explication de tout le mystère la plus pleine, la plus vive et la plus sensible qu’on puisse jamais imaginer. » Bossuet, Explication de quelques difficultés sur les prières de la messe à un nouveau catholique, xlvi.

Et le grand évêque signale, à titre d’exemples, les prières de l’ordination sacerdotale, de la confirmation, de l’extrêmc-onction, où l’Église, « afin d’expliquer en plusieurs manières la grande chose qui vient d’être faite, » divise, dans ses formules liturgiques, et considère comme inachevée l’action surnaturelle que Dieu a opérée en un instant. « Et pour revenir à la messe, quand nous y demandons à Dieu tantôt qu’il change le pain en son corps, tantôt qu’il ait agréa ble l’oblation que nous en faisons, tantôt que son saint ange la présente à l’autel céleste, tantôt qu’il ait pitié des vivants, tantôt que cette oblation soulage les morts : croyons-nous que Dieu attende à faire les choses à chaque endroit où on lui en parle’? .Xon, sans doute. Tout cela est un effet du langage humain qui ne peut s’expliquer que par partie ; et Dieu qui voit dans nos cœurs d’une seule vue ce que nous avons dit, ce que nous disons et ce que nous voulons dire, écoute tout et fait tout dans les moments convenables qui lui sont connus sans qu’il soit besoin de nous mettre en peine en quel endroit précis il le fait. Il suffit que nous exprimions tout ce qui se fait par des actions et jiar des paroles convenables, et que le tout ensemble, quoique fait et prononcé successivement, nous représente en unité tous les effets et comme toute la face du divin mystère. » Ibid.

On ne saurait mieux définir ce caractère général des rites et des formules liturgiques. Cependant le lecteur ne sera pas étonné que nous trouvions à reprendre, dans le passage qui vient d’être cité, cette proposition : sans qu’il soit besoin de nous mettre en peine en quel endroit précis il le fuit. L’instantanéité de la transsubstantiation s’imposant logiquement et la tradition ainsi que les décisions de l’Église attribuant l’accomplissement du mystère aux paroles du Sauveur, la conclusion en découle tout naturellement que la prolation de ces paroles constitue le moment précis de la consécration. L’inexactitude à cet égard constitue un des points faibles de l’explication de Bossuet. C’est elle qui, un peu plus haut, lui faisait écrire en des termes où son lucide génie se trouve pour une fois pris en défaut : « Ainsi ce sont les paroles de Notre-Seigneur qui sont, en effet, le feu céleste qui consume le pain et le vin : ces paroles les changent en ce qu’elles énoncent, c’est-à-dire au corps et au sang, comme le dit expressément saint Jean Chrysostome ; et tout ce qu’on pourrait accorder aux Grecs modernes, ce serait en tout cas que la prière serait nécessaire pour faire l’application des paroles de Notre-Seigneur, doctrine où je ne vois pas un si grand inconvénient puisqu’enfin devant ou après nous faisons tous cette prière. » Ibid., xlv. Et pour expliquer cette nécessité de l’épiclèse, il a recours à la théorie de l’intention de l’Église. « Nous pouvons comprendre parmi ces paroles auxquelles saint Basile attribue beaucoup de force, la prière dont il s’agit ; et quoi qu’il en soit, pour en entendre la force et l’utilité, il ne faut que se souvenir d’une doctrine constante, même dans l’École, qui est que dans les sacrements, outre les paroles formelles et consécratoires, il faut une intention de l’Église pour les appliquer : intention qui ne peut mieux être déclarée que par la prière dont il s’agit, et qui l’est également, soit qu’on la fasse devant comme nous, soit qu’on la fasse après avec les Grecs. » Ibid.

Néanmoins, et en dépit de ces manières de parler inexactes, Bossuet paraît bien avoir entrevu, par moments, les inconvénients d’une pareille position. La preuve en est, par exemple, dans le passage suivant, qui vient immédiatement après le dernier cité et avant celui que nous avons transcrit en premier lieu. « Savoir maintenant s’il faut croire, comme semblent faire les Grecs d’aujourd’hui, que la consécration demeure en suspens jusqu’à ce qu’on ait fait cette prière (l’épiclèse), comme étant celle qui applique aux dons proposés les paroles de Jésus-Christ où consiste principalement et originairement (nous pouvons ajouter : uniquement) la consécration : quoi qu’en puissent dire les gi-ecs, je ne le crois pas décidé dans leur liturgie. Car l’esprit des liturgies, et en général de toutes les consécrations, etc. » Ibid.,

XLVI.