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EUGÈNE III — EUGÈNE IV


messes ne tinrent pas devant ses tendances ri^volutionnaires et celles du peuple qui le remit à sa tête, se proclama en république, pilla de nouveau les églises, l.^s palais et les pèlerins. D’autre part, Eugène se refusa à détruire la ville de Tivoli, que les Romains détestaient parce qu’elle l’avait aidé à les ramener à l’obéissance. Après s'être retiré au château Saintvnge, il dut s’enfuir à Viterbe. puis passer en France, où l’appelaient, d’ailleurs, les préparatifs de la seconde croisade.

Il avait excommunié Arnauld en 1148 ; en 1149, appuyé par le roi de Sicile, il dicta ses conditions aux Romains et rentra le 28 novembre. Mais, dès le mois de juin 1150, il dut repartir. Cette fois, il s’associa Frédéric Barberousse contre Arnauld. Les bourgeois aussi et même une partie du peuple se lassèrent des projets du moine révolté, hostiles à l’empereur et h l'Église et, le 9 décembre 1152, Eugène fit sa paix avec les Romains ; il allait détruire absolument le sénat quand il mourut.

En dehors du rétablissement du pouvoir temporel, sa grande œuvre politique fut la croisade : il s’en occupa durant ses exils. La chute d'Édesse, à Noël 1144, avait ému la chrétienté : les appels des évêques, des Arméniens, de toute la Palestine retentirent au fond de son cœur : il convoqua toute la chevalerie et spécialement celle de la France à une nouvelle crois.idc, et il chargea son maître, saint Bernard, de la prêcher. On sait ce qui arriva : en deux ans, deux armées furent organisées en France et en Allemagne et conduites, l’une par Louis VU, l’autre par Conrad : elles étaient accompagnées de deux légats pontificaux. Mais les rivalités des princes et les désordres des chevaliers amenèrent l’insuccès de cette expédition ; Eugène III pria, selon le vœu du concile de Chartres, 1149, saint Bernard de s’occuper de nouveau de la croisade et de réparer cet échec : mais l’enthousiasme était tombé.

A l’occasion de la croisade, Eugène III était entré en relations avec l'Église d’Orient et avait tenté, en rapprochant l’empereur Manuel de Roger de Sicile, de préparer une union religieuse. Mais il échoua. Il envoya le futur pape Adrien comme légat en Scandinavie.

Durant ses voyages, il tint divers conciles, ceux de l^aris en 1147, de Trêves et de Reims en 1148, où il s’occupa fortement de la réforme ecclésiastique et de la doctrine théologique. Il ne craignit pas de déposer les métropolitains d’York et de Mayence. C’est dans les conciles de Paris et de Reims que les livres de Gilbert de la Porée, évêque de Poitiers, sur la Trinité, déférés par saint Bernard, furent discutés, et que l’on condamna Éon de l'Étoile et les hérétiques du Midi. A Trêves, le pape fut aussi favorable aux écrits mystiques de sainte Hildegarde. D’ailleurs, il soutenait Pierre Lombard, le maître des Sentences, le cardinal PuUus q.ui fonda l’université d’Oxford, Gratien qui rédigea le Corpus decrelonim à Bologne. Eugène favorisa tous les ordres religieux : il fut l’ami de l’abbé de Gluny, Pierre le Vénérable ; on le vit à Clairvaux sous saint Bernard. Ces deux grands hommes lui rendirent de très glorieux hommages. Saint Bernard lui adressa son De considrratione (1149-1152), ouvrage inspiré par une grande hardiesse apostolique. Innombrables sont les privilèges qu’il adressa aux monastères : il vécut constamment en religieux lui-même. Son bullaireest aussi plein de lettres aux évêques des Églises du monde entier.

Il mourut à Tivoli le 8 juillet 1153, et fui enterré à Saint-Pierre. Pie IX, le 28 décembre 1872, approuva le culte que lui rendaient les Pisans de temps immémorial.

.Jaflé, Reg. pont, rom., 1° édil., p. (il.5-652, 950 ; 2 édil., t. II, p. 20-80 ; P. T.., t. ci.xxx, col. 1009 ; t. cxcvii, cul. 145 ;

Duchesne, Lifter ponlificalis, t. it, p. 386 ; Watterich Pont. rom. vita ; 1862, t. ii, p. 281-321 ; Hefele, Histoire des com’ilvs, tiad. Lccleicq, l^aris, 1912, t. v, p. 795-847.

Voir les ouvrages sur saint Bernard, Conrad et Frédéric, Suger et Louis le Jeune ; Othon de Freisingen, Gesta Fridcrici, Ilistoria ponli ftcalis, dans Hloniimenta Germaniie hislorica. t. xx ; Sainati, Viladel healo Eiigenio III, Monza, 1874.

A. Glerval.

4. EUGÈNE IV, pape (1431-1447). Gabriel Condulmaro (et non pas Condelmieri ou Gondelmero) naquit, en 1383, d’une famille noble de Venise. Entré, à la mort de son frère, au monastère augustin de Saint-Georges-m-A/g-a, il fut nommé à l'évêché de Sienne et élevé au cardinalat en 1408 par son oncle maternel, le pape de Rome, Grégoire XII (Angelo Corrario). Le 3 mars (et non le 8) 1431, il succédait au pape Martin V, frappé d’apoplexie le 20 février, au moment où le concile de Bâle allait s’ouvrir.

La situation était des plus difficiles pour le nouveau pape. Les rigueurs excessives de son prédécesseur à l'égard des membres du sacré collège, ses faveurs non moins exagérées à ses parents, les Colonna, avaient répandu dans la vieille féodalité romaine tout un levain d’opposition. Les aspirations nationalistes, conséquences du séjour d’Avignon, du grand schisme et des conceptions régaliennes des universitaires et juristes du temps, s'étaient encore développées par suite de l’insuffisance des réformes opérées à Constance : elles trouvaient leur expression dans la théorie conciliaire. La question hussite, loin d'être liquidée, avait occasionné en Bohême une guerre sans merci. Le projet d’union avec l'Église romaine, posé par l’empire grec depuis la défaite de Thessalonique en 1430, allait hâter l’organisation de la croisade contre les Turcs, ramener dans le vieux monde latin l’esprit d’indépendance intellectuelle et d'élégance artistique, et nécessiter pour le nouveau pape l’adaptation à un milieu qui n’emportait plus les mêmes tactiques.

La souplesse était de mise pour Eugène IV dès 1431. Il resta l’homme des principes trop rigides en face d’une situation compliquée. Le pape continua le moine du monastère de Venise. S’il frappa toujours les fidèles par l’extérieur austère et imposant d’un corps exclusivement nourri de légumes, de soupe et de fruits, s’il fut dans sa cellule l’homme des veilles matinales, ses directions semblent avoir été dans plusieurs circonstances quelque peu totalistes et comme prématurées.

L’activité d’Eugène IV a fait face à toutes les situations. L’exposé logique de son œuvre concorde d’ailleurs avec sa chronologie. Souverain temporel, chef spirituel, le pape sut encore être l’homme de son temps par ses encouragements donnés aux influences byzantines dans la littérature et dans les arts renaissants.

En arrivant au trône pontifical, le pape avait dû signer devant ses cardinaux une capitulation qui leur remettait le contrôle du gouvernement de l'Église et une partie des revenus du saint -siège. Voir Bale (Concile de), t. ii, col. 115. Cette abdication préludait aux luttes que Condulmaro allait entreprendre contre les grands feudataires romains. L’ordre présenté peut-être précipitamment aux Colonna de rendre les biens de l'Église, acquis sous Martin V, était bientôt suivi des menaces de Philippe Marie Visconti, duc de Milan, mécontent des faveurs accordées par le nouveau pape aux républiques de Florence et de Venise. Les condottieri Nicolas Fortebraccio et Piccinino excitaient l’aristocratie de la ville, les Orsini et les Conti exceptés, et provoquaient un soulèvement le 29 mai 1434. Forcé de s’enfuir de Rome, le pape s'éta-