Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/69

Cette page n’a pas encore été corrigée
1437
1438
EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS)


impérial de Weingarten, en Soualie, avait publié en 1714 une Philosophia ad menlem angelici docloris divi Thomas Aquinalis explicala, en trois volumes. Du reste, l’Allemagne universitaire fut en général assez lente à secouer le joug des autorités philosophiques reconnues, pour embrasser la liberté de penser. Eucken signale, pour l’université d’Iéna, la date de 1756 comme symptomatique des premiers essais d’indépendance philosophique. C’est la même année précisément que le P. bénédictin Gall Cartier, du monastère d’Ettenheim, en Brisgau, publie sa Philosophia eclectica ad menlem et melhodum celeberrimorum noslræ aelalis philosophorum concinnata. Sur le point spécial des espèces eucharistiques, il s’y déclare nettement favorable à l’opinion du gassendiste Bernier. Physica, part. I, c. i, p. 192-194. Depuis l’année 1715, des relations épistolaires assez suivies s'étaient nouées entre les bénédictins du monastère de Saint-Emmeran à Ratisbonne et les mauristes de Saint-Germain-desPrés, à Paris. Une partie de cette correspondance, celle qui forme le n. 21 du fonds Slarkiana de la bibliothèque royale de Munich, a été publiée par J. A. Endres, professeur de philosophie au lycée royal de Ratisbonne. Korrespondenz der Mauriner mil den Emmeramern und Beziehungen der lelzteren zu den luissenschaf llichen Bewegiingen des xviu Jahrhunderls, Stuttgart et Vienne, 1899. Nous y voyons le bouillant, mais savant, dom Prudent Maran dépêcher à SaintEmmeran des plaidoyers chaleureux, à la fois en faveur du cartésianisme et contre la bulle Unigenilus. Il exprime toutefois à son correspondant, un jeune bénédictin allemand du nom de J.-B. Kraus, qui, après s'être formé à Saint-Gcrmain-des-Prés, se disposait à enseigner la philosophie aux étudiants de sa congrégation, ses expresses réserves touchant « la liberté que quelques cartésiens se sont donnée d’expliquer l’eucharistie d’une manière peu conforme aux Pères de l'Église, qui nous enseignent tous que nous mangeons la même chair qui a été crucifiée et qui est ressuscitée. » Op. cil., Maran à Kraus. Lettre du 4 décembre 1723. Nous apprenons, par une correspondance ultérieure, publiée également par M. Endres, que la philosophie nouvelle rencontra des contradicteurs ardents, au sein de la congrégation bénédictino-bavaroise. C’est ainsi qu’en 1760, dom Frobenius Forster, qui deux ans plus tard allait être créé prince-abbé de Saint-Emmeran, mande à dom J. François, bénédictin de la congrégation lorraine des Saints-Vanne-etHydulphe, que, l’année précédente, un chapitre général, tenu au monastère de Prifling ou Pruvening, près de Ratisbonne, a décrété, ul lani in philosophicis qiiam tlieologicis, professores communis sliidii, melhodo D. Thomas Aquinalis inhærerent et qiiæ nova sunt in ulraque disciplina ab aucloribus variis inlrodiicla, nonnisi refutando, Iraclarentur. Endres, op. cit., p. 100. Un vétéran de la scolastique, velernus in caslris scolaslicis miles, a même poussé le zèle jusqu'à distribuer aux abbés réunis en chapitre un factum composé à la hâte et imprimé à Ratisbonne (impressum in urbe noslra), où il stigmatise des censures les plus graves les opinions et principes de la philosophie nouvelle, ut vocal pliilosophiæ neolericae. Il s’agit indubitablement de l’ouvrage que le P. Vérémond Gufl, professeur émérite en résidence précisément à Prifling, fit imprimer à Ratisbonne, en 1760, mais qu’il avait fait approuver par les supérieurs de l’ordre et les censeurs diocésains, au cours de l’année précédente : Examen Iheologicum philosophiæ ncolericæ. epicurese, carlesianæ, Icibnitzianæ, wolflanae. Cf. Ziegelbauer, Hisloria rei lillerarise ordinis S. Benedicti, t. i, col. 538. Forster ajoute, non sans dépit : Terrenliir his umbris prælali noslri, quidque in liac re statuendum sit iiœrent ambigui. Endres, op. cit., p. 100. On ne sera pas loin de la

! vérité, croyons-nous, en affirmant que les dom Fou1 quet, les Desgabets, les Le Gallois n’eurent pas leurs

équivalents philosophiques parmi leurs confrères des

congrégations bénédictines d’Allemagne.

En France, pays d’origine du cartésianisme, I l’emballement général pour ce qu’on appelait alors « la bonne physique » était malheureusement trop grand pour être arrêté par des mesures de rigueur. Ni la mise à l’index des ouvrages de Descartes, ni les interventions royales, ni les persécutions auxquelles furent en butte les chefs du mouvement cartésien, tels j que Clerselier et Rohault, ne purent empêcher l'écloI sion des théories eucharistiques les plus hasardeuses. I Pierre Cally, professeur de philosophie au collège du Bois à Cæn, cartésien convaincu, allait continuer la tâche de dom Robert Desbagets. En 1680, le P. Le Valois, professeur de philosophie au collège des jésuites dans la même ville, avait attaqué V Instilutio philosophix de Cally, parue en 1674, Cæn, 2 in-4<', dans 1 un ouvrage signé du pseudonyme Louis de la Ville j et intitulé : Sentiments de M. Descartes, touchant l’essence et les propriétés des corps, opposés à la doctrine de l'Église et conformes aux erreurs de Calvin sur le sujet de l’eucharistie, Paris, 1680. Il y affirmait que la doctrine cartésienne sur l'étendue était contraire au concile de Trente. Cally aurait répondu à son adversaire par une thèse latine, qu’il s’abstint néanmoins, pour lors, de publier. M. l’abbé de la Rue, Essais historiques sur ta ville de Cæn, 1820, t. i, p. 330. Malebranche, visé également par l'écrit de la Ville, répondit par sa Défense de l’auteur de la reclwrclie de la vérité, contre l’accusation de M. de la Ville, Traité de la nature et de la grâce, Rotterdam, 1712, p. 365. Bayle chercha à tirer profit du conflit, en montrant que la doctrine cartésienne sur l'étendue exprimait la vérité philosophique. Dissertation où l’on défend contre les ]>éripatéliciens les raisons par lesquelles quelques cartésiens ont prouvé que l’essence des corps consiste dans l'étendue. Œuvres, La Haye, 1731, t. iv, p. 109. Bernier, célèbre voyageur et médecin gassendiste, fit imprimer une défense du gassendisme. La pièce porte le titre : Eclaircissements sur le livre de M. de la Ville. C’est la troisième d’un petit Recueil de pièces curieuses concernant la philosophie de M. Descartes, imprimé à Amsterdam en 1684, sous le nom de Desbordes, mais dont le véritable éditeur est Bayle. Sans doute, on aurait pu souhaiter que le P. Le Valois eût fait preuve de plus de modération et de courtoisie envers des hommes dont les intentions, au moins, demeuraient catholiques, mais, sur le fond même du débat, il est difficile de ne pas lui donner raison. Déjà, en septembre 1671, l’archevêque de Paris avait signifié à la faculté de théologie de l’université la volonté du roi très chrétien de bannir des écoles les nouveautés cartésiennes. Onze ans après la publication du livre du P. Le Valois, un ordre royal, communiqué aux membres de la faculté des arts de la même université par l’archevêque, leur imposait défense d’enseigner que « la matière des corps n’est rien autre chose que leur étendue et que l’une ne peut être sans l’autre. » Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum, t. III, p. 138, 149. Si ces sévérités eussent eu besoin de justification, des écarts doctrinaux, tels que ceux de Cally, se seraient chargés de la fournir. Devenu curé de Saint-Martin de Cæn, en 1684, il publia son second cours du : Universee philosophiae institulio, 2 111-4°, Cæn, 1695, dans lequel il répondit au P. Le Valois et ne lui ménagea pas les attaques. Il ne se borna pas à cette réponse ; il aurait, dans une pensée de zèle, traduit en français la thèse latine rédigée jadis contre le P. Le Valois. Fut-il trahi par son imprimeur qui n’attendit pas, comme l'écrit l’abbé de la Rue, op. cit., p. 331, l’approbation