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FIN DERNIERE


avons ; la félicité, le bonheur, le plein con lentement, nous ne les avons jamais. Et plus on avance dans la possession de n’importe quel bien, surtout s’il est noble, comme l’amour, la science, la vertu, plus l’aspiration au mieux s'élargit et le malaise du présent insuffisant augmente. Enfin, si on se demande un jour distinctement ou confusément : Mais que veux-tu donc, ô mon âme ? cela te sufïirait-il ? Si haut qu’on porte l’idéal proposé, l'âme répondra toujours : Xon, cela ne suffit pas, à moins que ce soit l’infini.

Il y a des pessimistes, c’est vrai, des désespérés, des blasés, des suicidés. Mais tous ceux-là ne font que prouver plus fortement l’immensité de désirs que rien ici-bas ne peut combler. Il y a encore des médiocres, en nombre incalculable, ceux qui ne semblent jamais avoir pensé aux sublimités d’idéal décrites plus haut. Mais il suffit que chaque homme, dans la mesure où il monte, c’est-à-dire où il devient homme et développe les potentialités de sa nature, développe fatalement dans la même mesure ses aspirations, jusqu'à la conscience enfin explicite de leur infinité, pour que nous devions proclamer partie du fond essentiel de la nature humaine cette poussée incoercible montant peu à peu vers l’infini.

h) Valeur de ces faits. — Il ne s’agit ici que de leur valeur critériologique ou démonstrative ; leur valeur morale est évidemment considérable et capitale. Mais dans l’ordre intellectuel, de telles aspirations à l’infini comme fin dernière, en démontrent-elles la réahté et l’existence ? Sur ce sujet, voir Dieu, loc. cit., spécialement, col. 853-871, 905-923, 946-948 ; Expérience RELIGIEUSE, col. 1828-1847 ; Immanence. Entendre la croyance engendrée par ces aspirations dans un sens qui exclurait l’intellectualisme serait une hérésie ; dans un sens qui exclurait toutes les autres preuves de l’existence de Dieu, ce serait au moins une erreur. Se fier à ces aspirations sans en faire la critique rationnelle, pour croire en Dieu fin dernière de toute notre vie morale, est insuffisant et cela est théologiquement certain, d’après tous les documents qui ont proclamé nécessaire une démonstration rationnelle des fondements de la foi. Voir Dieu, t. iv, col. 929-930 ; Bautain ; Bonnety. Critiquement enfin, devant la raison intellectualiste, que vaut cette inférence : l’homme aspire naturellement à l’infini ; donc l’infini existe. Indépendamment de tout système, il faut dire, nous semble-t-il, qu’elle n’est pas absolument légitime. Le principe de finalité, en efïet, n’est métaphysique que de la finis opcrationis : omne ayei.s agit propler finem. Mais que tout soit en ordre absolu dans le monde, ce n’est pas une nécessité métaphysique. En fait, il y a beaucoup de mal dans le monde et nous avons dit que, pour prouver l’existence de Dieu, il suffisait de partir de ce fait : il y a de l’ordre dans le monde. Mais que tout soit en ordre inéluctable, et donc que toute tendance, même naturelle, ait son objet, ici-bas ou dans une autre vie, je le saurai si je sais que Dieu existe ; pas avant.

2. Voie synthétique.

La fin dernière relative, au point de vue synthétique, a été exposée historiquement à l’art. Béatitude, t. ii, col. 497-515 ; voir spécialement l'énoncé des thèses de saint Thomas, col. 510-513. Voici la démonstration sommaire de cette doctrine.

On peut domier l’explication synthétique des tendances humaines à l’infini souverain bien, notre fin dernière, d’abord en les réduisant aux causes profondes philosophico-théologiques d’où elles viennent ; ce travail a été fait à l’art. Expérience religieuse, t. Vj col. 1815-1823, qui montre dans la similitude cntitative spécialement intellectuelle, dans l’assimilation morale progressive, dans l’action inunanente de Dieu, dans le goût naturel ou surnaturel du bon et

du divin, enfin dans les grâces et faveurs surnaturelles, l’explication de cette aspiration ascendante de l'âme vers Dieu.

On peut aussi procéder a priori, en partant des principes de la raison et de la foi. Voici l’exposé de ce procédé, exposé que nous abrégeons parce qu’il ressemble en plusieurs points à l’exposé précédent.

a) Existence de la /in dernière relatire : souverain bien, souveraine perfection de la créature. — a. Nécessite absolue ou diinne. — A ne pas tendre à la perfection, il n’y a que l'Être parfait et bienheureux par essence, ou des êtres fixés dans leur fin dernière enfin acquise, ou des êtres incapables d’agir. Dieu seul est sa béatitude. Voir S. Thomas, Sum. llieol., I » , q. xxvi ; Cont. çicntes, 1. I, c. c-cii. D’autre part, toute créature peut agir et tout ici-bas est imparfait, plus large en capacités que rempli en perfections. Donc tout dans le monde est en élan, en aspirations, en « appétit naturel » vers la perfection. De plus, à mesure que la créature s'élève, ses facultés d’agir et ses capacités, de par la sagesse divine, doivent naturellement s'étendre. Elles s'étendront donc à l’infini dans une créature spirituelle ; car, par essence, l’action intellectuelle, cognitive, volitive, libérée de toute entrave matérielle, s'élance vers l'être ; et l'être, c’est l’infini. Voilà donc pourquoi nécessairement l’homme doit aspirer à remplir ses potentialités, ses capacités de perfection ; pourquoi il aspire à sa perfection, à sa béatitude et pourquoi celle-ci doit être en quelque sorte infinie.

b. Liccilé morale. — Si c’est une nécessité physique que l’homme tende à se développer, tende à sa perfection et à son bonheur, peut-il proposer le même but à son agir moral, à son intention libre ? Evidemment, puisque c’est un bien, notre bien et dans l’ordre divin lui-même, pourvu seulement que cet ordre, soit respecté. A l’objection stoïcienne : l'égoïsme est immoral et chercher sa béatitude est de l'égoïsme. répondons en forme. Chercher sa béatitude est de l'égoïsme, si on la cherche comme fin dernière absolue à laquelle tout est subordonné, oui, et cela est immoral ; nous avons dit que, œuf ou habita, il faut avoir Dieu pour fin dernière absolue. Chercher sa béatitude est de l'égoïsme, quand on la cherche comme fin secondaire, implicitement ou explicitement subordonnée à l’autre, non, ce n’est pas de l'égoïsme, c’est-à-dire de l’amour désordonné de soi. Pour plus de détails, voir Espérance, t. v, col. 648-675 ; Attrition, t. I, col. 2237-2242.

c. Nécessité morale. — Tendre à son souverain bien est non seulement licite et physiquement nécessaire, mais c’est encore moralement nécessaire. D’abord, en ce sens que nous ne pouvons rien aimer, pas même Dieu, qui ne soit présenté à nous comme notre bien ; c’est une condition essentielle de notre action, comme de toute action volontaire ; condition, disons-nous, non pas motif. Voir Charité, t. iii, col. 2220-2223 ; Espérance, t. V, col. 621-626. Et puis, en ce sens surtout que l’homme, tous les hommes plus ou moins, mais l’immense majorité des hommes plus que moins, ne peut se passer dans sa vie morale de ces motifs intéressés qui lui font espérer son bonheur final ou craindre de le perdre. Voir Espérance, loc. cit., et col. 611-612, 674-675.

/)) Ncdurc de la fin dernière relative. — Il faut distinguer ici la fin dernière objective ou le souverain bien, objet de la béatitude, et la fin dernière subjective ou la prise de possession par la créature de son souverain bien.

a. Dieu lui-même est le souverain bien de notre nature spirituelle et intellectuelle. A qui conçoit le bien infini, à qui cherche la première cause, rien de limité, rien de créé ne peut suffire, que ce soit bien matériel ou bien spirituel. Cependant si Dieu est