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FIN DERNIÈRE


avoir des raisons, raisons non nécessitantes, mais convenances qui rendent raisonnables ses décisions libres ? Si on entend par raison un niollf, un bien qui d’une façon quelconque influerait, même sans la nécessiter, sur la volonté divine, cela est impossible, voir Création, col. 2146 ; Deus non propter hoc vult hoc. Mais si ces raisons sont simplement des connexions objectives d’où résulte l’ordre voulu par Dieu et que Dieu veut sinniltanément de la même façon par amour pour lui-même, il y en a et ce sont elles que cherche la théologie, Dcus vult hoc esse propler Iioc.

Tout ce qui va suivre relativement à la finis operis divini ne se rapporte donc plus comme tel à la volition divine elle-même et à son explication, /ïn/s operanlis ; mais simplement à la fin h laquelle Dieu dirige son œuvre définitivement et absolument : c’est ici la vraie fin dernière absolue de la création. Nous venons de dire comment Dieu veut cette fin dernière en voulant sa création ; nous allons expliquer quelle est cette fin dernière.

b) La fin dernière absolue de la création, c’est Dieu. — Pour bien le concevoir, remettons-nous en présence de la volition divine. Dieu l’infini s’aime nécessairement lui seul ; il peut s’aimer aussi dans ses images, mais sans que cela introduise le moindre changement dans sa volition éternelle : qu’il aime ou n’aime pas les créatures, telles ou telles créatures, cela ne le touche pas. C’est par pur bon plaisir qu’il choisit de s’aimer en telle création ou de vouloir et d’aimer tel degré de communicationdivine. Voir Création, col. 2144-2150. Pouvait-il cependant vouloir un ordre immobile et statique de substances sans activités, sans tendances aucunes et donc sans finalité ? Peut-être cela répugnet-il métaphysiquement et faut-il entendre l’adage : agere scquitur esse, en ce sens absolu que tout acte quidditatif est aussi opératif ou capable non seulement d’être, mais aussi de se communiquer. En tout cas, en fait. Dieu a voulu un ordre dynamique et pour autant que des êtres intelligents étaient nécessaires à la création, cet ordre était nécessaire. Voir plus loin.

Dans l’ordre dynamique lui-même, Dieu pourrait établir d’un coup tous les êtres de cet ordre en possession de leur fin dernière, et il n’aurait plus dès lors qu’à les y conserver sans avoir à les y diriger. Mais cela encore semble moins convenable que l’ordre où Dieu, par leurs influences mutuelles, leur coopération nécessaire ou libre et sous sa direction, réalise successivement la perfection divine qu’il a décrétée pour le monde, à laquelle par conséquent il dirige celui-ci pendant tout le temps qu’il est in fieri, in via.

.Si nous considérons alors chaciue créature en particulier, Dieu met en elle une tendance nécessaire à agir pour se conserver et pour se développer, c’est-à-dire pour atteindre sa fin ou la perfection totale dont elle est capable abstraitement, concrètement, cette perfection totale dans le degré déterminé par la volonté divine. Car tout vient de Dieu, la fin comme le commencement ; et ainsi tendre à sa perfection, c’est nécessairement, pour toute créature, tendre à Dieu, car toute perfection est quekjue chose de donné par Dieu et quelque chose de Dieu. Voir S. Thomas, Sum. iheol., V, q. vi, a. 2 ; q. xliv, a. 4 ; Cont. génies, 1. III, c. xviii, XIX. C’est la belle théorie scolastique : omnis creatura intendit assimilari Dca. Et il n’y a pas de vue générale plus profonde et plus formelle que celle-là sur la fin dernière absolue de la création et sur la façon dont cette fin est en Dieu : Dieu par amour veut se communiquer ou répandre sa perfection en tel degré, pour l’ensemble et pour les détails ; il le réalise et de son côté c’est tout ; la créature tend vers Dieu pour en recevoir ce degré de perfection propre à chacune, d’où résulte la perfection de l’ordre universel :

c’est la finis operis ad quem Deus omnia dirigit. c) La fin dernière absolue de la création, c’est la gloire de Dieu. — Ceci est de foi catholique définie. Voir Création, col. 2184, 2191. D’une façon plus concrète, il nous faut entrer dans une nouvelle série de considérations. Dieu réalise les communications et les assimilations, dont nous venons de parler, avec ordre. Il faut déterminer cet ordre, pour déterminer la fin dernière concrète et en ce sens malcrielle de la création. Très probablement, d’abord, il faut exclure la convenance divine d’une création purement matérielle ; un monde matériel ne semble possible que subor ! donné à un monde spirituel. A quoi bon des êtres sans ! conscience de leur propre perfection et sans connais1 sance de Dieu leur créateur ? Voir Création, col. 21C8. Dieu se devait donc de réaliser cette perfection d’êtres capables de le connaître et de l’aimer et ainsi de le I posséder personnellement à jamais. Les créatures matérielles ne tendent à posséder Dieu que dans ses participations créées. S. Thomas, Cont. génies, 1. III, c. XXII, XXIV. Mais les créatures intelligentes tendent à posséder Dieu directement et personnellement en quelque degré. Ibid., c. xxv. Et donc il faudra distinguer deux parties dans la création : les créatures qui passent un instant et puis disparaissent à jamais, qui ne sont par conséquent pas essentielles à l’ordre universel et qui sont dès lors propter alla provisæ. ; et puis les créatures qui dureront éternellement, qui nécessairement font partie de l’ordre universel, qui sont donc propter se provisæ. S. Thomas, Qusest. disp., De veritate, q. v, a. 4. Pour ramener tout à l’ordre et à l’unité, les premières devront être uniquement pour les secondes, pour les aider à réaliser cet ordre essentiel des perfections éternelles, cette perfection suprême, sommet de la création : Dieu possédé, connu, aimé. Elles le feront soit d’une façon éloignée et matérielle en servant à la vie corporelle de l’homme, soit d’une façon directe et plus formelle en manifestant leur créateur à celui-ci, être intellectuel, capable d’acquérir des idées abstraites.

La participation suprême, sommet auquel tout doit conduire et conduit, c’est Dieu possédé par la connaissance et l’amour ; c’est la finis operis de la création. Or telle est la gloire de Dieu. En effet, glorifier Dieu, le louer, le chanter, suppose toujours dans l’intelligence une connaissance des excellences divines et dans la volonté une complaisance joyeuse à la vue de ces excellences ; glorifier, c’est en principe connaître et aimer et, conséquemment à cet amour qui veut Dieu à sa place première, unique, divine, lui rendre tous les hommages dus : hommages personnels d’admiration, de vénération jusqu’à l’adoration et de reconnaissance ou hommages publics de proclamation de toutes ces excellences et de tous ces actes.

Toute la création tend donc bien finalement, définitivement, absolument à la gloire de Dieu, en donnant à ce mot le sens plénier expliqué. D’ailleurs, Dieu ordonne tout à cette fin, non pas parce que ce serait le seul bien divin que Dieu pourrait chercher (finis operantis ) ; mais parce que c’est la participation suprême à laqU’Clle tout est dirigé (finis operis, vult hoc esse propler hoc). Il n’y a dès lors aucune objection à résoudre sur l’égoïsme « nécessaire » de Dieu. Dieu n’est pas égoïste, car il ne cherche rien. Au contraire. Dieu est pur amour, car il ne crée absolument que pour répandre, donner, communiquer ses divines richesses qu’il aurait pu garder en lui. C’est le Bien infini, lui-même, qu’il aime en toute effusion créée : c’est évident et c’est l’ordre absolu de la justice et de l’amour. Mais qu’il daigne du même amour infini s’aimer et nous aimer en lui. Dieu, c’est une bonté infiniment gratuite et infiniment pure ou désintéressée. Les théories et objections de Moshem, Descartes, Bayle, Kant,