Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/57

Cette page n’a pas encore été corrigée
1413
1414
EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS)


des accidenlia sine subjecto, aura contribué à établir fortement ce point. Il y a consentement unanime des docteurs scolastiques en faveur de cette doctrine ; les témoignages sont nombreux et d’un poids singulier : Albert le Grand, Alexandre de Halés, saint Thomas, saint Bonaventure ; des génies ou plus libres ou moins solides n’osent s'écarter de la doctrine commune. Si le témoignage unanime de l'École est de quelque autorité en matière de foi, indubitablement la proposition de WycHf était téméraire : Ex anclonim omnium scholaslicorum communi sententia, in re quidem graui, usque adeo probabilia sumuntur argumenta, écrit fort bien Melchior Cano, ul illis refragari temerarium sit. De locis theologicis, 1. VIII, c. iv. Il y a plus. Nous croyons que le concile n’a pas simplement voulu déclarer que la proposition concernant les accidents eucharistiques entrait dans la classe générale des erreurs quelconques. En opposant dans la formule de condamnation, la note erroneas à l’expression non calholicas, le concile insinuait fort clairement la croyance catholique commune à cette époque : In sacramento altaris. rémanent accidenlia sine subjecto ; la doctrine opposée est donc déclarée erronée par rapport à la vérité catholique. Elle est donc de celles qui, sans être directement destructives de la foi, c’est-à-dire hérétiques, s'écartent cependant de la doctrine catholique et, comme telles, sont limitrophes de l’hérésie (liœresi proxi’ma). N’est-ce pas précisément ainsi que la jugeait l’auteur de la Brevis censura, que nous avons citée plus haut : Sapiens hseresim universaliler intellectam ? Error, dit Melchior Cano, qui et minus quiddam quam aperla hæresis et catholicse doctrinse tamen contrarius est, propositio erronea vocatur. Op. cit., ]. XII, c. ix. 11 nous serait facile de citer des théologiens plus sévères ou, si l’on veut, plus hardis ; pour Becan, la doctrine des accidenlia sine subjecto est de fide ; pour Grégoire de Valentia, la proposition de Wyclif est de celles que le concile appeWe notarié lisereticas ; Suarez déclare la doctrine commune : res ceria in doclrina fidei. In Summam S. Thomæ. III^, q. lxxvi. Ce qui nous a frappé surtout, c’est qu'à ne pas vouloir admettre que le concile de Constance ait vu dans la doctrine niée par Wyclif l’expression de la croyance commune de l'Église catholique, on rend purement et simplement inintelligible tout le développement doctrinal des siècles antérieurs dont la condamnation de la négation de Wyclif n’est qu’une conséquence. On est forcé alors, comme l’ont effectivement fait les cartésiens, de traiter les propositions de Constance comme des formules mortes, détachées de la pensée vivante des théologiens des XII » , xiii « et xiVe siècles et susceptibles d’offrir un sens bien différent de celui qu’ils y attachaient. On pourra ainsi défendre une thèse, qui sera d’autant plus fausse qu’elle sera ingénieusement défendue, on se flattera en vain d’atteindre la vérité. Soutenir que les Pères de Constance n’ont rien vou.u affirmer touchant les « accidents « au sens péripatéticien du mot peut être un jeu dialectique intéressant ; ce n’est qu’un jeu. Nous croyons qu’après le concile, il n’est plus possible au croyant catholique de nier, en toute sécurité de conscience, la proposition des grands docteurs de l'âge scolastique : In sacramento altaris, manent accidenlia sine subjecto.

V. Période moderne.

l" Les théologiens auant

Luther. — La condamnation de la 2e proposition de Wyclif par le concile de Constance ne semble pas avoir influencé les théologiens qui s'échelonnent sur le siècle et demi environ qui sépare ce concile de celui de Trente. Les maîtres en théologie continuent à commenter immuablement le Lombard. La doctrine des accidenlia sine subjecto est prêchée du haut de la chaire chrétienne ; les saints y ont recours pour alimenter la dévotion populaire et les exégètes catho liques lui donnent l’hospitalité dans leurs commentaires sur les Écritures. S. Laurent Justiniani, Sermo de corp. Christi devotiss., Opéra omnia, Cologne, 1616, p. 713 ; S. Antonin, Sum. theoL, Vérone, 1740, III » , c. IV, v ; Alph. Tostat, Opéra, Cologne, 1613, t. x, p. 426. Dans ses sermons, pleins d’une sorte d’onction savante, le penseur original qu’est Nicolas de Cusa y revient plus d’une fois ; cette doctrine, si abstraite, devient parfois chez lui le principe de conclusions morales pratiques : Accidenlia non subsislunl, dit-il dans un de ses sermons, virtute naturalis subjecti, sed divina voluntate. Ex quo elicias tuam voluntatem in omnibus dependere debere a voluntate divina, per quam lantum subsistai. Sicut accidenlia sunt indicia panis et lamen non est, quia subslantia transsubstantiata : ila per vehemenliam amoris affeclus transformatur ila ul sola apparenlia sit hominis cum existentia deilatis. Opéra, édit. Badius, t. ii, fol. xxxix, q. xxxii, en. Nicolas de Orbellis, Denys le Chartreux, Gui Briansoib dans leurs commentaires sur le IV « livre des Sentences, résument utilement les vues de leurs devanciers, parfois les arguments plus spécialement propres à leurs chefs de file ; tous semblent ignorer également le jugement doctrinal de Constance. Le dernier nommé a recours, pour prouver la thèse traditionnelle, à l’office du saint sacrement : Nam in officio corporis Christi quod legitur et approbatur ab Ecclesia dicitur : Accidenlia eliam sine subjecto in eodem consistunt : ergo. Sup. IV Sent., Paris, 1512, fol. civ. La thèse qui nie, sans restriction, la séparabilité de l’accident est une erreur : Hic error est contra iltud quod lenet sancta mater Ecclesia de sacramento altaris quæ ponit accidenlia esse sine subjecto. Et cette affirmation est prouvée par l’autorité d’Innocent III, De offtc. misse, part. III, c. ix. Op. cit., fol. cvii. Le bréviaire romain et Innocent lll, De sacro altaris myslerio, . IV, c. IX, voilà les seules autorités auxquelles recourt le docte scotiste ; le reste de ses preuves pourrait se réduire à l’argument par exclusion, que nous avons vu employer déjà par les théologiens de Constance et qui, à cette époque du reste, est depuis longtemps classique. La théologie positive n’est pas encore née ; par contre, la solution des grands scolastiques du xiiie siècle se retrouve partout où les écrivains catholiques traitent du sacrement de l’autel. On peut dire qu’elle représente le sentiment universel touchant les qualités sensibles du sacrement.

Pour le cardinal Bessarion, dont le rôle fut si important au concile de Florence (1438-1445), les espèces sensibles sont le signe et la figure du corps et du sang du Christ ; le corps du Christ lui-même est le symbole de son corps mystique, c’est-à-dire de l’unité de l'Église. De sacr. euch. et quibus verbis Clu-isti corpus perflciatur oratio, édit. J. Petreius, Nuremberg, 1527, p. 52. Les idées du savant cardinal sont influencées par celles des Pères de l'Église grecque. Pour lui, tout signe est avant tout une réalité ; les espèces consacrées qu’il appelle : visibilis simul ac sensibilis species, sont donc objectivement réelles : In specie enim panis et vint, veritas corporis et sanguinis conlinetur, cum in illa subslantia panis vinique muletur. Op. cit., p. 4, 5.

Les auteurs de diverses Summse casuum s’appuient sur la persuasion commune pour dicter leurs solutions pratiques. Le frère mineur, Battista Trovamala, dans sa Somma Rosella, au mot Eucharistia, résout la question : Ulrum in eucharistia possit aliquis liquor permisceri spcciebus vint ? et répond : Si la liqueur ajoutée est assimilée et comme absorbée par les espèces du vin, elle provoque, dans les parties de ces espèces qu’elle pénètre, la cessation de la présence du sang du Christ, cum non sunt ibi accidenlia sine subjecto. Op. cit., au mot Eucharistia, ii, 13. Sylv. Prieras,