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FILIOQUE


par le siège de Rome, c’est-à-dire par une autorité qui juge en dernier ressort les controverses dogmatiques. Les nombreux appels des Églises d’Orient au siège de Rome mettent hors de doute cette autorité suprême.

Il y a cependant une objection qui, de prime abord, semble difficile à résoudre et que les théologiens orthodoxes s'évertuent à opposer aux latins comme ruineuse pour le Filioque. Léon III a regretté et blâmé V interpolation faite au symbole de Constantinople. Il a avoué aux légats de Charlemagne que cette insertion était illégale, qu’il fallait revenir à l’ancienne coutume de chanter le symbole sans le Filioque. La pratique de l'Église romaine était donc de tout point contraire à celle des Églises d’Espagne et des Gaules. Léon III croyait à l’inviolabilité du symbole de Constantinople, et sa conviction était si ferme et si arrêtée qu’il fit graver, sur deux écussons d’argent, le symbole sans le Filioque.

Telle est dans toute sa force l’objection grecque, tirée d’un épisode insignifiant du pontificat de Léon III. Il n’y a pas de quoi effaroucher la théologie latine, de quoi justifier les prétendues contradictions doctrinales de l'Église romaine. D’abord, Léon III ne s’est jamais rangé au nombre des adversaires du dogme exprimé par la formule latine. Il a toujours professé d’une manière explicite la procession du Saint-Esprit du Fils. Il a inséré le Filioque dans la profession de foi qu’il a envoyée aux moines francs de Jérusalem. Il a déclaré ouvertement aux légats de Charlemagne qu’il croyait à la procession du Saint-Esprit comme à un dogme dont la connaissance est utile au salut : Itasentio, ila teneo : … Si quis aliter de liac re scntire vcl docere voluerit, defendo, et nisi conversus fuerit, et seenndum liunc seiisum tenere voluerit, contraria scntientem fundilus abjieio. Acta collationis ronianæ, P. L., t. cii, col. 971.

A cette affirmation si nette, si précise de Léon III, l’objection des grecs tombe d’elle-même. La divergence, en effet, entre les grecs et les latins ne repose pas sur la profession verbale du Filioque, mais sur la vérité ou la fausseté de la doctrine renfermée dans cette formule. Si donc Léon III déclare à plusieurs reprises et avec énergie que la procession du Saint-Esprit du Fils est une vérité dogmatique de la théologie chrétienne, les grecs n’ont pas le droit de le ranger au nombre de leurs partisans. Il s’ensuit que la conduite de Léon III nous autorise à déclarer, qu’au point de vue doctrinal, il est pleinement d’accord avec la tradition catliolique et romaine touchant le dogme énoncé par le Filioque.

Mais si Léon III était convaincu de la vérité dogmatique du Filioque, pourquoi blâme-1-il l’insertion de cette formule au symbole, pourquoi cxhortc-t-il les légats de Charlemagne à ne plus chanter le symbole avec l’addition ? Sa manière d’agir n’est-elle pas la preuve qu’il croyait à l’inviolabilité du symbole de Constantinople ?

Les théologiens occidentaux donnent des explications différentes de la conduite de Léon III dans l’affaire du Filioque. D’après Baronius, ce pape ne blâma point l’introduction du Filioque au symbole, mais le manque de vénération des Francs pour le siège de Rome, parce que, de leur propre chef, sans l’autorisation préalable du souverain pontife, ils avaient modifié le texte du symbole. Annules, an. 809, n. 112, Lucques, 1743, t. xiii, p. 456. Pagi est du même avis. Il ajoute cependant un autre motif de la conduite de Léon III. Le pape craignait de s’aliéner les sympathies des grecs. Ibid., p. 457. Bellarmin croit que Léon III désirait conserver à la postérité le symbole tel qu’il l’avait revu, et montrer par là qu’il n’y avait rien contre le Filioque. De Ctuislo, 1. ii, c. xxvii. Dans ses

notes à la lettre de Photius au patriarche d’Aquilée, Combefis insinue que Léon III n’a point approuvé l’addition du Filioque de crainte de passer pour hérétique aux yeux des grecs. P. G., t. cii, col. 800, note 8. D’après le P. Cichowski, Léon III se serait décidé à répondre négativement aux sollicitations des Francs pour éviter, de la part des grecs, l’insertion de la formule ex Pâtre solo au symbole. Colloquium I^ioviense de processionc Spirilus Saneii a Pâtre et Filio, dans Tribunal sanctorum Patruni orientalium et occidentalium, Cracovie, p. 321. Selon Constanzi, la conduite de Léon III a été inspirée d’abord par le désir de défendre l’orthodoxie des anciens conciles œcuméniques, de peur qu’on ne les accusât d’avoir négligé la définition et la profession explicite d’un dogme très important de la théologie trinitaire ; puis, pour éviter qu’on n’introduisît aussi au symbole d’autres dogmes, dont la croyance est nécessaire au salut. Opuscula ad revocandos dissidentes grsecos, etc., Rome, 1807, p. 101.

D’après Jager, Léon III ne voulait pas qu’on touchât au symbole, parce que, celui-ci étant sanctionné par les conciles généraux, on ne devait rien y ajouter sans des raisons graves. Histoire de Photius, p. 356. Le cardinal Franzelin croit que Léon III défendait l’insertion du Filioque au symbole, parce qu’elle n’avait pas été proposée et approuvée par l’autorité légitime, par le siège de Rome. De Deo trino, p. 504. Il n’envisageait, dans l’affaire du Filioque, que la seule question disciplinaire. Examen doctrinse Macarii, p. 93 Le P. de Régnon insinue que la décision de Léon III était un expédient temporaire, trouvé par la finesse italienne, et que la sage lenteur de la cour pontificale dans sa résistance à la poussée des fidèles fait ressortir le rôle providentiel de Rome, qui est appelée à résoudre les questions soulevées par le monde chrétien. Op. cit., t. III, p. 220. Le P. Brandi fait remarquer que le refus de Léon III aux envoyés de Charlemagne portait sur le chant public du symbole avec l’addition latine. De l’union des Églises, p. 30.

Ces diverses explications ne sont pas toutes de nature à fermer la bouche aux polémistes grecs. Lampryllos en déduit que les latins « plient les phénomènes, tordent les faits pour les faire cadrer avec leurs intentions. » Op. cit., p. 43. Nous ne pouvons savoir au juste quelles raisons poussèrent Léon III à blâmer l’insertion du Filioque au symbole. Vekkos était peut-être dans le vrai en disant aux grecs que, par son refus, le pape Léon III témoignait de sa vénération pour les anciens monuments de l’antiquité chrétienne et déclarait implicitement qu’une doctrine n’a pas besoin d'être énoncée au symbole pour qu’on la reconnaisse comme une vérité de la révélation divine. De anione Ecclesiarum, n. 47, P. G., t. cxli, col. 112, 113. Quoi qu’il en soit, il est hors de doute que le Filioque n’est pas pour Léon III un dogme faux et impie ; qu’il juge la croyance au Filioque nécessaire au salut ; qu’il ne considère pas l’insertion du Filioque au symbole comme une falsification de la foi de Nicéc et de Constantinople. Il laisse donc intact le côté dogmatique du Filioque, bien qu’il croie que l’on doive attendre pour proposer aux fidèles l’adhésion e.vplicile et solennelle à ce dogme de la foi chrétienne.

Considérée à ce point de vue, la conduite de Léon III est conforme à la méthode suivie de tout temps par le magistère suprême de l'Église. Il y a toujours eu des vérités dogmatiques que l'Église n’a proposées à la croyance explicite des fidèles qu’après mûre réflexion et avec une sage lenteur. Elle attendait que des oppositions acharnées, que des négations réitérées l’obligeassent à remplir sa mission d’apaiser les débats et d’enseigner aux fidèles ce qu’il faut croire. Léon III a simplement juge que le moment n'était pas favorable pour ajouter au symbole une nouvelle formule