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FIDEICOMMIS


chargeant son fils de transmettre son héritage au pelit-fils qui devra le rendre à l’arrière-petit-fils et ainsi de suite.

Ce droit de substitution, d’abord sans restriction légale, fut limité par l’ordonnance du 31 janvier 1588 n’autorisant plus que la substitution simple à deux degrés et par l’ordonnance de Moulins (1588) refusant toute valeur aux substitutions déjà existantes au delà du quatrième degré. Ce régime en se généralisant présentait de graves inconvénients. Les biens ainsi donnés, immobilisés en certaines mains, ne se prêtaient plus aux transactions utiles ou nécessaires ; leurs détenteurs, ne pouvant en disposer à leur gré, étaient exposés ou à les négliger ou à les épuiser pour en profiter plus complètement. De fréquentes injustices en étaient la consécpience inévitable. Les propriétaires de ces fortunes immobilisées trouvaient facilement crédit s’il n’y avait pas d’héritier appelé à en jouir après eux. Mais les créanciers pouvaient être frustrés de leurs droits soit par suite de la naissance inattendue d’un enfant, soit par suite de la volonté de l’héritier qui, répudiant l’héritage paternel avec les charges qui l’accompagnaient, acceptait seulement la part qu’il avait le droit de revendiquer par substitution. Dans les familles auxquelles les substitutions conservaient les plus grandes masses de fortune, chaque génération était le plus souvent marquée par une « honteuse faillite, » disait Bigot-Préameneu dans son Exposé des motifs de la loi relative aux donations entre vi/s et aux testaments, dans DaWoz, Répertoire méthodique et alphabétique de léijislalion, Paris, 1856, t. xvi, p. 31 sq. Pour ces motifs politiques et économiques, l’ancien droit disparut avec l’ancien régime. Les substitutions furent abolies d’abord par la loi du 16 novembre 1792, puis par l’art. 896 du Code civil. La loi de 1792 se bornait à annuler dans les substitutions la clause obligeant le grevé à garder et à transmettre ; le Code civil plus radical annule en même temps le legs et les charges qui l’accompagnent.

De l’art. 896 du Code civil interprété d’ajjrès tout son contexte historique, il résulte que la substitution prohibée suppose nécessairement les trois conditions suivantes : 1° Il faut qu’il y ait pour le grevé charge de conserver, c’est-à-dire non seulement obligation morale, mais obligation juridique, de garder l’objet reçu. L’un des inconvénients que la loi veut empêcher est précisément le fait d’immobiliser les fortunes. Il faut que l’obligation de garder vise un objet déterminé. Si elle n’existe pas, il n’y a pas de substitution prohibée. Aussi la jurisprudence ne refuse pas de reconnaître comme licite le fldcicommis de residuo ou de eo quod superest. Cette disposition par laquelle le donataire serait obligé, au moment de sa mort, de transmettre à une personne désignée par le testateur ce qui lui restera d’un legs dont il a bénéricié, n’implique pas l’obligation de garder, mais seulement de transmettre si l’on a gardé quelque chose. Il en est de même s’il n’y a qu’une prière de conserver. Cette prière ne constitue pas l’obligation que suppose la loi. 2° Il faut encore qu’il y ait charge de rendre à une personne déterminée. Si l’institué reste libre de distribuer comme il lui plaît, à la personne qui lui conviendra, ou encore si l’héritage doit être dépensé pour des bonnes œuvres, il n’y a pas de substitution prohibée. Il faut en dire autant pour le cas où le disposant n’a adressé qu’une prière à l’institué ou ne lui a imposé qu’une obligation morale. Baudry-Lacantinerie. Précis de droit civil, 10’= édit., t. iii, n. 1151. 3° Lnfln il faut que la substitution contienne le règlement d’une double succession, ou implique un ordre successif double. Ce que l’art. 896 interdit, c’est l’acte par lequel le testateur prétendrait régler par le même acte sa propre succession et celle de son héritier. S’il

n’en est pas ainsi, il n’y a pas de substitution illégale. Il n’est donc pas suffisant qu’il y ait pour l’institué charge de rendre ; il faut que cette charge ne lui soit imposée qu’à l’heure de sa mort. Bien que l’art. 896 ne le dise pas expressément, c’est ainsi qu’il faut l’entendre, parce que telle était la subslitution qu’il prohibe : l’ancien droit français n’en connaissait pas d’autre. Par suite, le fidéicommis à /c/vTie, par lequel l’héritier reçoit un bien quelconque avec charge de le rendre à un tiers après un laps de temps déterminé, n’est pas de soi illégal. Il en est de même du fidéicommis conditionnel, quand il se confond avec les legs conditionnels autorisés par l’art. 1040 du Code civil.

Les art. 897, 898 et 899 du Code civil indiquent les seules substitutions tolérées par la loi française.

Les autres exceptions introduites soit par le décret du 30 mars 1806 et par le sénatus-consulte du 14 août suivant, autorisant par l’institution des majorats la substitution in perpetuam dans certaines familles au profit de l’aîné des enfants mâles ; soit par la loi du 17 mai 1826, autorisant la substitution à deux degrés même au profit d’un seul enfant, à l’exclusion des autres ou en faveur d’étrangers, ne sont pas entrées dans nos mœurs. Elles ont été abrogées en principe par les lois du 12 mars 1835 et du Il mai 1849. Les derniers majorats encore existants ont été supprimés en fait par une convention passée entre les derniers titulaires et le ministre des finances. Convention du 14 octobre 1904 et loi des finances du 22 avril 1905, a. 29.

L’extrême rigueur avec laquelle notre législation interdit et annule les substitutions apporte au droit naturel, en vertu duquel le propriétaire légitime dispose de son bien comme il veut, une restriction si forte que beaucoup de théologiens modernes la considèrent comme excessive et paraissent favorables à l’opinion qui la regarde comme ne s’imposant pas en conscience. Lehmkuhl, Theologia moralis, 8e édit., t. I, p. 743, n. 1165, ad 4’"", signale, sans le blâmer, le sentiment de théologiens nombreux qui la tiennent pour injuste et il noie comme salis probabilis l’opinion affirmant qu’elle n’oblige pas en conscience et par suite reconnaissant comme valides les substitutions contraires à la loi. Ces substitutions sont assimilées par lui aux testaments ou donations manquant des formalités légales. Ballerini, Opus morale theoloqicum, 2<’édit., t. III, n. 815, ne la juge pas contraire au droit naturel ; il partage le sentiment de Lehmkuhl en ce qui concerne l’obligation in joro interna ; il ajoute même que l’obligation qui peut en résulter est moindre que l’obligation provenant des lois fixant les formalités des donations et des testaments ; celles-ci ont, en eilet, leur raison d’être, mais les motifs allégués pour justifier l’art. 896 ne sufiisent pas à justifier une prohibition aussi rigoureuse. Tanquerey, Synopsis Iheologiæ moralis et pastorcdis, "S" édit., t. ii, n. 714, considère comme plus probable l’opinion d’après laquelle cette loi n’oblige pas en conscience ante sententium judicis, mais seulement après. De même, Marc, Institutiones alphonsianx, 7e édit., t. i, n. 1077, 1068. Toutefois, l’opinion contraire est admise par Mgr Waffelært. Tractatus de juslitia, t. i, n. 567.

Il en résulte que, du moins avant la sentence du juge, le grevé peut en conscience et sans injustice accepter et réclamer le bien qui lui est donné avec charge de garder et de transmettre à sa mort. S’il accepte le fidéicommis, il est tenu en conscience d’exécuter les volontés dernières du testateur, donc de conserver et de transmettre ; à son tour, le fidéicommissaire a le droit de réclamer et de garder ce qui lui a été destiné.

Accarias, Précis de droit romain, Paris, 1872, t. i, p. 934 sci. ; _Dalloz, op. cit., et les traités généraux sur les donations