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du monde un écliantillon d'éclectisme alexandrin ; il y est dit qu’il n’y a pas de pays sans religion, que Dieu coli muviitt qiioquo modo vel ineple modo Immano quam per superbiam millo modo coli, mais que, s’il ne réprouve pas tout à fait comme une impiété volontaire un culte humain adopté pour le servir, il n’approuve qu’mi culte : j7/i igitur Deiim prec cseleris imo soli sincère colunt qui… ila Deum adorant quemadmodum Cliristiis, vila ; magister, ejasqiie discipuli, præceperunt. De même, c’est à tort que Ph. Monnier, Le quattrocento, t. ii, p. 106, 40, dit que son Jésus est « platonicien » et que « le Christ qu’on adore porte, au lieu de couronne d'épines, une guirlande fleurie cueillie par Marsile au bord de l’Illyssus. » Ce sont là phrases de lettrés qui ne résistent pas au sortilège d’une antithèse décevante. Du reste, Ph. Monnier se corrige lui-même en déclarant Ficin « rigoureuse*ment orthodoxe » , p. 106. Le Christ du De religione christiana est bien le Christ de l'Évangile et de la théologie catholique (le seul point répréhensible, c’est que, avec certains théologiens, l’auteur semble admettre, c. xv, fol. 17 a, une nécessité absolue et non seulement hypothétique de l’incarnation), le Christ intégral. Ficin parle du Christ et de son œuvre de façon excellente. Et combien d’heureux détails on pourrait glaner dans ces pages 1 Par exemple, on y trouve présentée fortement, c. i, fol. 3 a, la preuve de l’existence de la vie future, tirée de l’infaillibilité de l’instinct des animaux, que l’illustre entomologiste J.-H. Fabre a développée avec tant d'éclat. Cf. Revue pratique d’apologétique, Paris, 1912, t. xii, p. 377. Aussi H. Hurter, Nomenelator literarius theologiie catholicse, Inspruck, 1906, t. ii, col. 1016, qualifie-t-il le De religione christiana de Marsile Ficin d’opus præclarum in quo sagaciter ulitur argumentis internis. Cf. L.-F. Brugère, Dc vera religione, no.iv. édit., Paris, 1878, p. xiv.

IV. Influence.

Ficin fut le centre et comme l'âme de l’académie de Florence. Hâtons-nous d’ajouter que sous ce nom il ne faut pas rechercher un corps olficiel, régi par des statuts compliqués ; c’est bien plutôt une libre association d’esprits divers, rapprochés par des tendances communes, non ex quovis commercio vel contubernio conflucntium, dit Ficin, Epist., 1. XI, fol. 224 a, sed in ipsa dunitaxat liberalium disciplinarum commiinione convenientium. Dans la lettre où se lisent ces mots, Ficin éimmère les principaux d’entre eux. Il les distribue en deux catégories : ceux qui dissertent avec lui et ceux qui l'écoutent lire et enseigner comme des disciples et que cependant il n’appelle pas des disciples, non enim tantum milii arrogo ut docuerim aliquos aut doceam sed socratico potius more sciscilor omnes atque hortor fœcundaque (amiliarium meorum ingénia ad partuni assidue provoco, fol. 224 b. Au premier rang il place les Médicis. Platon est l’objet de leurs entretiens, Platon pour qui tous professent une égale admiration. Ficin le ressuscite et le continue ; ils révèrent en lui un Platon nouveau, (7 novel Plato, dit Laurent de Médicis. Allercazione, c. iii, dans Poemi, édit. G. Papini, Lanciano, 1910, p. 81 ; cf. p. 77. De l'étranger on accourt auprès de Ficin ; le P’rançais Lefèvre d'Étaples, l’Anglais John Colet, l’Allemand Reuchlin figurent parmi ses auditeurs. Sa pensée rayonne au loin, grâce ; une vaste correspondance, qu’il entretient en Italie, en France, en Allemagne, jusqu’en Hongrie, avec un public de rois, de princes, de prélats, de savants. La notice que lui consacre Trithème (Jocmnes de Trittenhem), De scriploribus ecclesiasticis, Paris, 1494, fol. 192 6-193 a, montre l’estime dont il jouit en dehors du cercle de ses correspondants. Son influence est énorme.

Qu’en est-il resté? L’académie florentine ne lui survécut pas, ou, du moins, cessa de s’occuper de

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philosophie pour se confiner dans des questions de langue, de poésie, de politique ; des tentatives de vie nouvelle en 1512, quand le retour des Médicis mit fin au régime inauguré par Savonarole, échouèrent complètement. De ses doctrines philosophiques peu de chose mérite de fixer l’attention ; il n’a pas eu un système personnel, cohérent, mais seulement quelques vues ingénieuses, « mainte observation psychologique d’une finesse inattendue. Ainsi Ficin a très bien vu, avant Bossuet, que l’amour peut être considéré comme la source de toutes nos passions. » C. Huit, Annales de philosophie chrétienne, nouv. série, 18951896, t. xxxiii, p. 364, n. 4. Chargé par Cosme de Médicis de restaurer le platonisme, il a été « le véritable artisan de cette révolution, exemple peutêtre unique d’aptitudes absolument conformes à la mission spéciale que lui imposa son protecteur. » H. Hauvette, Histoire des littératures. Littérature italienne, Paris, 1906, p. 164. Son néo-platonisme subit une éclipse rapide ; mais sa traduction de Platon a été, pendant plus d’un siècle, pour la plupart des érudits, « la porte obligée du platonisme. » L’idéalisme platonicien qu’il mit en honneur influa sur les destinées de l’art comme sur celles de la philosophie. Michel-Ange, en particulier, qui avait reçu son enseignement à l’académie, en garda l’empreinte. Cf. R. Rolland, Cur ars pictunv apud Itulos xvi sœculi décidera, Paris, 1895, p. 8 ; Michel-Ange, Paris, s. d., p. 13, 140-141. Sur l'École d’Athènes de Raphaël, cf. L. Pastor, Histoire des papes depuis la fin du moyen âge, trad. F. Raynaud, 2° édit., Paris, 1904, t. VI, p. 521-522, note. Sa vraie gloire est d’avoir été, quoique non sans lacunes, ua humaniste chrétien. Nous n’avons pas à revenir sur les excès de son platonisme. Mais, alors que la Renaissance menaçait d’aboutir à la libre-pensée ou au libertinage, de n'être plus qu’une imitation mécanique et servile du paganisme, il fut de ceux qui aperçurent le danger et le parèrent. Il travailla à dissocier l’antiquité et le paganisme, à faire servir au christianisme la sagesse antique. On a souvent cité la lettre, Epist., 1. XII, fol. 229 6-230 a, où Ficin célèbre la Renaissance : « Ce siècle est un siècle d’or, lui qui a remis en lumière les disciplines libérales presque éteintes, la grammaire, la poésie, l'éloquence, la peinture, l’architecture, la sculpture, la musique, l’art de chanter sur l’antique lyre d’Orphée : et tout cela à Florence. » On a moins remarqué que, ce même siècle, il l’appelle ailleurs. De religione cliristiana, proœm., fol. 2 6, siècle de fer : quamdin duram et miscrabilem hanc ferrei sœculi sortem sustinebimus ? parce que les savants ne sont pas religieux et les hommes d'Église sont dépourvus de science. Il proclame la nécessité de rendre religieux les philosophes, et la restauration platonicienne qu’il poursuit a pour but de conduire à une démonstration des vérités de la foi. D’autre part, il veut que les prêtres « s’adonnent diligemment aux études d’une sagesse légitime. » Ficin a pressenti plus qu’il n’a réalisé l'œuvre à accomplir. » Mais il a créé un esprit, signalé les périls de l’humanisme lettré, indiqué une orientation nouvelle, et cet esprit qui, de son vivant même, se répand en Italie, en Allemagne, en France, y inspire les penseurs et les artistes, va s’infiltrer profondément dans l’humanisme et en changer les tendances comme l’aspect. » P. Imbart de la Tour, Les origines de la Réforme, Paris, 1909, t. ii, p. 337. Et son De religione christiana est une première esquisse extrêmement remarquable d’un traité De vera religione devenu nécessaire et qui va chaque jour se perfectionnant. Il faut savoir gré à Marsile Ficin d’avoir été un initiateur.

Sur les anciennes éditions des ouvrages de Ficin, voir L. Hain, Beiierlorium bibliograpliicum, Stuttgart, 1827.