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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS !


accidens sil sine subjecto. In IV Sent., . IV, q. vi, Lyon, 1495. Cependant, le savant cardinal ne quittera pas l’opinion commune, celle qui admet la destruction de la substance du pain : El licet ita esse (scilicd panem desinere) non sequatiir evidenter ex Scripiura, nec ctiam videre meo judicio ex deierminalione Ecclesiæ quia lamen magis favet ci et communi opinioni sanctorum et docloriim, ideo teneo eam. Au sujet de la quantité, il est carrément nominaliste. L’opinion de saint Thomas est appréciée comme il suit : Et hœc est falsa, quia nulla poncnda est quanlilas distincla a substanlia vel qualilale. Néanmoins, ici encore une fois, il finit par se ranger à l’avis commun : Quarla et communior opinio et cui favct magis doctrina Ecclesiæ est quod in sacramento, accidentia quæ fucrunt panis rémanent sine subjecto et in illis fit fractio et hanc teneo. Mais après quels détours, dirions-nous, après combien d’appels à une imagination trop fertile en hypothèses : Possunt esse plures opiniones sive modi imaginandi. .. Tertia opinio possel imaginari… De telles tournures sont fréquentes sous la plume du raisonneur trop ingénieux qu’est d’Ailly. Il se pourrait qu’en fait, les accidents eucharistiques ne restassent pas sans sujet. Eh I oui, s’il n’y avait point d’accidents distincts des substances 1 Mais alors, la définition de l’Église qui pose que le corps du Christ est présent sous les espèces du pain. Il faudrait l’entendre conditionnellement, scilicet supposilo quod sint aliquse specics accidentâtes distinctæ a substantiis. Si de telles espèces sont chimériques, le sens de la définition serait un peu autre : le corps du Christ est là où il y a du pain en apparence et où il y en avait en réalité. Pierre sait bien que la négation philosophique qui entraîne l’irréalité des espèces sacramentelles est étrangère h la philosophie régnante : extranea a communi philosopixia. Mais cette philosophie a-t-elle donc pour elle l’évidence ? C’est pourquoi poser cette négation, ce n’est pas’encourir infailliblement la note d’hérésie. Le contraire même semble plus probable. N’avons-nous pas à faire ici à une conséquence seulement probable de vérités révélées ? L’antécédent logique de la persistance des accidents est virtuellement double et se décompose en une proposition exprimant la transsubstantiation et une autre affirmant la distinction de la substance et des accidents. Cette deuxième proposition n’est ni évidente, ni contenue dans les Écritures, ni expressément définie par l’Église ; c’est tout au plus unum probabile neutrum, receptum communiler ab illis qui sequuntur communiter philosophiam communem peripateticorum. S’il se trouvait quelqu’un pour nier la thèse péripatéticienne, on n’aurait pas pour autant le droit de le traiter d’hérétique. Ce serait créer la désaffection de la foi vis-à-vis des doctrines du Philosophe : Aliter enim minus esset favor fidei ad doctrinam philosophi. Questiones sup. I, H l et IV Sent., 1. IV, q. VI, a. 3, édit. Jean Petit, fol. 267. On admettra difhcilement sans doute que les définitions doctrinales de l’Église soient hypothétiques ou à sens disjonctif ; elles sont catégoriques touchant l’objet proprement religieux. Leur but n’est-il pas précisément de mettre fin par une décision nette à des interprétations doctrinales divergentes ? Seulement, ces décisions emploient pour s’énoncer le langage courant, le plus ordinairement du moins, et laissent ainsi indécis ce que ce langage, qui traduit l’expérience sensible vulgaire, ne prétend nullement trancher lui-même au point de vue philosophique ou scientifique. Ce double terrain n’appartient à l’autorité doctrinale religieuse que là où il est contigu au dogme. Le cardinal de Cambrai prête à la définition conciliaire un sens qui la rendrait puérile. Son commentaire sur les Sentences a été probablement composé entre les années

1375 et 1380, c’est-à-dire qu’il appartient à la jeunesse de l’auteur, qui l’aurait écrit entre ses vingt-cinquième et trenlième années. Launoi nous paraît trop élogieux, quand il dit de ces commentaires : Hos diceres ab antiquissimo et perfcctissimo professore elaboralos. Hist. reg. Navarræ gymn. Paris., Opéra omnia, Genève, 1732, t. iv, p. 508. Ils paraissent en beaucoup d’endroits l’œuvre d’un dialecticien, auquel le dogme fournit l’occasion de faire montre de souplesse et virtuosité logiques. C’est le logicien que Gerson et Wessel exaltent précisément dans Pierre d’Ailly. Ibid. p. 509. Trente-cinq ans plus tard, au concile de Constance, le cardinal agira vigoureusement contre les doctrines de Wyclif et de Huss, qui contenaient précisément la thèse, que, dans son commentaire, il s’abstient de taxer d’hérésie ; alors, il dit à Jean Huss, au témoignage de Bzovius, cité par Launoi : Scias hic esse magnos viros et illuminatos, qui forlissima adversus articulos tuos habent fundamenta. Ibid., p. 511. Mais il est indémable que le commentaire sur les Sentences a plus d’une fois fourni des armes aux hétérodoxes, en matière d’eucharistie. Luther, De captiv. Babyl. Ecclesiæ præludium, Werke, Weimar, 1888, t. vi, p. 508, 509 ; Fischer, Assertionum régis Anglicæ defensio, c. iv, n. 4, Opéra, Wurzbourg, 1597, p. 160. Une des interprétations de la notion de transsubstantiation proposées par d’Ailly diffère à peine verbalement de l’impanation ; elle ne diffère des thèses que Wyclif publia au printemps de 1381, peut-être à l’heure même où l’illustre cardinal composait son commentaire à Paris, qu’en ce que l’hérésiarque anglais rejette le mot même de transsubstantiation et n’admettait qu’une présence figurative et virtuelle du corps du Christ. Il nous a semblé de plus que les idées de Pierre d’Ailly, en matière d’évidence sensible, n’étaient pas faites pour lui faire redouter beaucoup la thèse idéaliste qui traite de pures apparences les accidents eucharistiques. L’évidence sensible ne garantit la certitude que sous la condition de la providence ordinaire de Dieu concernant les lois de la nature : de là à dire que le miracle consiste ici à maintenir l’apparence du signe sensible au lieu du signe lui-même pour laisser à la foi l’occasion d’exercer ces acteSj il n’y a pas si loin. In I Sent., q. I, a. 1, fol. 36 sq.

Conclusion. — Nous avons traité plus longuement la période scolastique, parce que la doctrine des accidents eucharistiques, telle qu’elle s’impose encore aujourd’hui à la majorité des théologiens catholiques, est une solution créée et organisée par les grands docteurs scolastiques. L’hérésie de Bérenger hâta probablement sa genèse. C’est dans un traité écrit pour le combattre qu’elle parut tout d’abord, avec tous ses traits essentiels. Le prestige doctrinal d’Abélard menace quelque temps de la supplanter par la théorie des accidentia in aère circumslante. La condamnation de l’auteur de la Theologia christiana dut contribuer à écarter cette dernière, que Thomas de Strasbourg ne connaît déjà plus que comme quædam antiqua opinio. Successivement, les opinions qui assignent un sujet quelconque aux qualités sensibles du sacrement sont éliminées. C’est par un argument exclusif, c’est-à-dire par l’absurdité reconnue des autres solutions imaginables a priori, que la solution encore générale aujourd’hui finit par s’imposer. A cause de son lien étroit avec la transsubstantiation, dont elle dut sembler l’inévitable conséquence à des penseurs à tendance réaliste, jaloux de sauvegarder l’objectivité de l’expérience sensible, sans doute aussi parce qu’elle eut les préférences des grands docteurs médiévaux, tels que "Thomas et Bonaventure, dont la sainteté contribua à faire accepter les vues, une association étroite d’idées s’établit en fait entre cette doctrine et la notion d’orthodoxie. Avant Wyclif