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FEU DE L’ENFER


semble guère affirmcr que le feu ajoute aux souffrances des damnés, sinon au c. xix, voir Érigène, col. 420421 ; pour lui, la douleur essentielle des méchants réside dans le tourment intérieur, dans la souffrance du péché, miseria, qua torquetar iniquilas a seipsa, in seipsa, per spii>sam, col. 426 ; voir aussi le titre du c. XVI, col. 417. Il nie donc moins la réalité ontologique du feu que son action afTIictive à l’égard des damnés. Ainsi peuvent se concilier les deux assertions, en apparence contradictoires, que l’on a relevées plus haut.

2. Au XVIe siècle, le dominicain Ambroise Catharin, voir PoLiTi, qui formule d’ailleurs, en théologie, plus d’une opinion singulière, entreprit de démontrer la vérité de la tlièse soutenant le feu purement métaphorique. Dans son opuscule De bononim priemio cl supplicio malorum œterno, Opuscula, Lyon, 1542, p. 145, il s’exprime ainsi : Quod non sil ignis ille corporciis, miilla vchementer mihi videntiir facere et iirqere. Ces raisons multiples sont tirées : a) de la sainte Écriture ; b) des saints Pères ; c) de la raison.

a) Raisons tirées de la sainte Écriture : le terme ignis, appliqué aux peines de l’enfer, ne supporte pas, vu le contexte, l’interprétation du sens littéral : Luc, XVI, 24 : Criicior in luie ftamma n’indique certainement qu’un feu métaphorique, parce que les yeux, le doigt, la langue attribués aux âmes de Lazare ou du mauvais riche ne peuvent être entendus que dans un sens métaphorique ; Job, xxiv, 19, rapproche, en enfer, la peine de l’eau de la peine du feu ; or, la première est évidemment métaphorique, donc aussi la seconde ; dans Is., lxvi, 24 ; cf. Marc, ix, 42-47, le feu et le ver rongeur sont décrits comme les tourments de l’enfer : le feu doit être entenchi tkuis le même sens que le ver, c’est-à-dire métaphoriquement ; Matth., xxv, 41, oppose la peine du feu à la vision béatifique, comme le souverain mal au souverain bien ; or, le souverain mal ne peut consister en une matière, telle que le feu corporel. Voilà pourquoi saint Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. L, q. ii, a. 3, q. i, ad 1°"’, enseigne que par le mot « feu » il faut entendre toutes sortes de peines afilictives ; l’Écriture parlant du baptême « dans l’Esprit-Saint et le feu, » Matth., iii, 11 ; Luc, iii, 16, ne nous autorise pas pour autant à admettre un baptême par le feu réel ; une interprétation littérale de ces textes serait même hérétique. Voir Baptême par le FEU, t. II, col. 355.

b) Les Pères fournissent plus d’une autorité en faveur du feu métaphorique. Catharin cite Origène, saint Augustin, saint Jérôme, saint Grégoire, saint Ambroise. Voir les textes de ces Pères, col. 2200-2207.

c) La raison enfin démontre que le feu de l’enfer, s’il était corporel, ne pourrait agir sur de purs esprits ; d’ailleurs, ceux-ci se transportant à travers le monde ne transportent pas le feu avec eux, et cependant ils en souffrent les atteintes. Dieu, sans doute, pourrait multiplier les miracles pour obtenir de tels effets ; mais rien ne nous oblige d’admettre ces miracles, puisque nous pouvons expliquer les tourments de l’enfer indépendamment du feu matériel.

Tels sont les principaux arguments de Catharin. Nous avons, par avance, répondu à la difhculté tirée des Pères ; nous répondrons à celle tirée de la raison, lorsque, dans la dernière partie de cet article, nous envisagerons le mode d’action du feu de l’enfer. Restent donc les raisons tirées de l’Écriture sainte. Leur vice fondamental, c’est de reposer sur des comparaisons : le feu est rapproché d’une autre expression, dont le sens est métaphorique. Pour que l’argument soit concluant, il faudrait qu’il y ait parité absolue entre les deux termes de la comparaison, ce qui, d’abord, n’est pas prouvé. Ensuite, en entrant dans le détail, en ce qui concerne Luc, xvi, 24, on pourrait peut-être

déduire de l’argumentation de Catharin que ce seul passage de l’Écriture, pris isolément, n’est pas absolument concluant en faveur de la réalité du feu de l’enfer, et rien de plus. Mais le Christ n’a-t-il pas pu se servir d’expressions dont les unes doivent s’entendre dans un sens littéral, les autres, dans un sens métaphorique ? Le contexte même et l’enseignement de la parabole ne nous indiquent-ils pas que, si les supplices endurés par l’âme du mauvais riche nous sont exposés en métaphores — la seule manière possible pour nous de les comprendre présentement — l’instrument de ces supplices, le feu, nous est proposé en termes propres ; il ne saurait y avoir parité dans la manière d’exprimer deux choses différentes, dont l’une nous est facilement accessible, et dont l’autre échappe à notre mode actuel de connaissance. Voir l’observation du P. Knabenbauer, col. 2198, et le commentaire de Maldonat sur ce iiassage. Plusieurs théologiens répondent à l’argument tiré de Job, xxiv, 19, en admettant la réalité de l’eau et de la glace en enfer, voir Enfer, col. 32, 108 ; mais cette exégèse du texte de Job est inexacte ; l’eau et la glace ne sont pas mises en comparaison avec le feu ; il ne s’agit que de « la mort de l’impie, rapide comme l’absorption de l’eau par ime terre lirûlée. » D’ailleurs, c’est le seul texte de l’Écriture où il soit parlé d’eau et de glace à l’égard des pécheurs ; de ce seul texte, on ne peut donc déduire l’interprétation métaphorique des nombreux textes où il est question du feu de l’enfer. L’objection classique du « ver » accolé au « feu » a déjà été envisagée plus haut. Voir col. 2197 ; Enfer, col. 108-109. Avec Suarez, toc. cit., n. 34, on peut répondre d’un mot : l’interprétation métaphorique du ver n’est pas liée nécessairement à l’interprétation du feu. Catharin oppose à tort la peine du feu, souverain mal, à la vision béatifique, souverain bien. La sentence du Sauveur comprend deux parties bien distinctes : discedile a me, mededicti, voilà le mal souverain, la peine du dam, qui s’oppose par mode de privation au souverain bien de la vision béatifique ; la seconde partie, in ignem œternum, ne se rapporte qu’à la peine des sens, peine en soi moins terrible et moins souveraine que celle du dam. Voir Dam, t. IV, col. 9. La métaphore employée à propos du baptême in Spiritu Sancto et in igné, voir Baptême PAR LE FEU, t. II, col. 360, ue nous autorise pas à donner au mot « feu » un sens métaphorique partout où on le rencontre dans le texte inspiré. Pour une plus ample discussion de la thèse de Catharin, voir Suarez, toc. cit., n. 20-41.

3. L’autorité de Catharin n’a pas donné droit de cité à l’opinion du feu métaphorique : dès son apparition, cette thèse fut jugée sévèrement par les théologiens, qui la qualifièrent les uns liérétique ou proche de l’hérésie, le plus grand nombre, erronée et à coup sûr téméraire. Voir Patuzzi, De futuro impiorum statu, Vérone, 1748 ; Mazzella, op. cit., n. 1280. On peut donc à bon droit s’étonner qu’elle ait été reprise, du moins d’une façon tendancielle, par plusieurs auteurs catholiques du XVIII et du xixe siècle. Sans doute, les affirmations de ces auteurs sont moins hardies ; ordinairement ils laissent la liberté d’opter entre le feu réel ou le feu métaphorique, mais cette indécision même est préjudiciable à la saine intelligence de la tradition catholique et à la vraie théologie. On se contentera ici de signaler les principaux. Hettinger, Apologie du christianisme, trad. franc., Bar-le-Duc, t. IV, p. 413, s’exprime ainsi : « Le feu dont parle le Seigneur est-il réel, quoique non matériel, ou bien ne faut-il voir là qu’une métaphore ? L’Église n’a rien décidé à ce propos. » Même note cliez Mœhler, Neuc Untersucimngen, p. 318 ; Keel, O. S. B., Die Hôlle, p. 48-61. Mgr Bougaud, Le christianisme et les temps présents, Paris, 1884, t. v, p. 393, semble