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FEU DE L’ENFER


15, voici II le feu dévorant qui ne s’éteindra pas, » 24. Cf. Judith, XVI, 21 : Dabit ignem et venues in carnes eorum, ut urantur, et sentiunt usque in sempiternum ; Eccli., VII, 19 : Vindicta carnis iinpii, ignis et vermis. Dans ces textes, dont le premier a visiblement inspiré les deux autres, la pensée de l’auteur dépasse les bornes de ce monde et s’étend jusqu’aux souffrances de l’au-delà. C’est d’ailleurs l’interprétation commune des Pères et des exégétes catlioliques. Voir J. Knabenbauer. In Isaiam, Paris, 1887, t. ii, p. 522.

Mais pour saisir la portée exacte de ces textes, il faut les rapprocher de leur parallèle, Marc, ix, 4247 : Si scandalizavevit te manus tua, abscide eam ; bonnm est tihi debileni introire in vitam, quam duas manus habenlem ire in gehennam, in ignem inextinguibilem, ubi vermis eorum non moritur et ignis non extinguitur. Ce dernier verset se répète jusqu’à trois fois, 42, 45, 47, et, chaque fois, après l’évocation de la gehenna ignis inexiinguibilis. C’est que précisément la pensée qu’il exprime se réfère à la géhenne. Pour l’étymologie du mot géhenne, voir Enfek, col. 29. L’image de la corruption (vermis) et l’image du feu sont naturellement liées au souvenir de la vallée de Gêhinnom qui <levient ainsi, à son tour, l’image de l’enfer ; et le nom de géhenne, synonyme, dans le Nouveau Testament, d’enfer, est souvent accompagne de l’idée du « ver rongeur » (ici évidemment pris au sens hguré) et du « feu inextinguible » . Cf..Matth., v, 22 ; xviii, 9. Le ver rongeur, disons-nous, dont l’image est éveillée au souvenir des pourritures de la vallée de Gêhinnom, doit être pris au sens figuré, car il ne peut pas être question de corruption dans l’autre vie, où l’immortalité est le partage des damnés comme des élus. Il n’y a, au contraire, aucun motif d’entendre au sens hguré le feu inextinguible ; le feu de l’enfer a pour type le feu très réel allumé dans la vallée de Gêhinnom : pourquoi ne pas conserver au mot feu sa signification ordinaire ? D’ailleurs, tandis que la métaphore du ver rongeur pour signifier le remords de la conscience est usuelle même dans la sainte Écriture, voir Prov., xxv, 20, l’emploi du terme « feu » pour indiquer une cause d’affliction purement intérieure, ou une peine morale infligée judiciairement, est totalement inconnu dans les Livres saints. Chaque fois qu’on y parle des châtiments du feu, Gen., xix, 24 ; Lev., x, 2 ; IV Reg., i, 14, il s’agit d’un feu réel : par voie d’analogie, nous sommes donc en droit de déduire la réalité du feu de l’enfer. D’ailleurs, « on ne doit point recourir au sens purement figuratif, à moins que la signification littérale ne soit en désaccord avec le contexte, en opposition avec des passages plus clairs, ou ne se heurte à. <iuelque impossibilité. » Tournebize, Études religieuses, 1893, t. III, p. 619. Or les passages les plus clairs des Évangiles semblent bien indiquer qu’il s’agit d’un feu réel et non métaphorique.

1° Tout d’abord, c’est Marc, ix, 48. Jésus-Christ compare les damnés aux victimes et, faisant allusion aux prescriptions du Lev., ii, 13, il termine ainsi son discours : Omnis cnim igné salietur et [sieut, selon du moins l’opinion de Maldonat, In IV Evangelia, Lyon, 1615, p. 801 ; cf. Prov., xxv, 3, 23, 25] omnis viclima sale salietur. Quoi qu’il en soit de l’interprétation de Maldonat, il semble bien qu’il s’agit ici d’un feu réel, dont l’effet est précisément de conserver, tout en le bri’ilant, le sujet dont il cause la souffrance : Igné quasi salietur, id est, igné uretur seu crueiabitur, simul et servabitur incorruptus. Luc de Bruges, Commentarii in Evangelia, Anvers, 1606. Aussi bon nombre d’interprètes catholiques entendent-ils ici le mot ignis du feu infernal, voir, par exemple, les commentaires de Maldonat, Lamy, Jansénius, dom Calmet, Corneille de la Pierre, Patrizi, Schegg, Fillion ; et comme il s’agit d’un feu réel, ce texte prouve, pour eux, la réalité du

feu de l’enfer. Il ne faut pas nier cependant que d’autres auteurs, même catholiques, inclinent vers un sens métaphorique : il s’agirait du feu de l’épreuve qui purifie, ou encore du feu de la grâce et de l’Esprit-Saint qui sanctifie. Ce dernier sens paraît moins acceptable. Voir, sur ces interprétations, Knabenbauer, Evang. sec. Marcum, Paris, 1894, p. 257. Les protestants avancent d’autres opinions moins probables encore. Fritzsche, Evangelia qucduor, etc., Leipzig, 1830, t. II ; Meyer, Die Evangelien des Maricus und Lukas, Gœttingue, 1832. Pris séparément, ce texte ne suffirait donc peut-être pas à prouver la réalité du feu de l’enfer, quoiqu’il démontre la réalité des tourments de l’enfer ; aussi faut-il l’éclairer par d’autres paroles de Notre-Seigneur. Knabenbauer, op. cit., p. 255.

2° Ces paroles sont celles que l’on rencontre là où, parlant ex pro/esso du feu de l’enfer, le Christ en fait l’objet d’un enseignement direct, excluant par conséquent toute interprétation métaphorique. Expliquant la parabole de l’ivraie, Jésus conclut, Matth., xiii, 40-42 : « De même que l’ivraie est arrachée et brûlée dans le feu, ainsi en sera-t-il à la consommation des siècles. Le Fils de l’homme enverra ses anges, ils enlèveront de son royaume tous les scandales et ceux cjui opèrent l’iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise de feu. » Cf. xiii, 50.

3° La parabole du mauvais riche, Luc, xvi, est tout aussi expressive ; le cri du damné, 24, crucior in hac flamma, est significatif. Cependant, il faut se rappeler que tous les détails de la parabole ne sauraient s’entendre dans un sens littéral ; nous verrons plus loin l’objection que certains auteurs, s’appuyant sur saint Augustin, tirent des éléments évidemment métaphoriques de la parabole. La remarque de Knabenbauer est à retenir : Hase vero documenta Christus non nude proponit, sed vestit narratione quadam pcaabolica. Quare in cxplieationc sedulo distinguere oportet, quid référendum sit ad ipsam doelrinam, quid pertineat solum ad modum hane doctrinam ope narrationis exprimendi. Evang. sec. Lucam, Paris, 1896, p. 475. Cf. Bisping, Erklurung des Evangelium nach JMcakus und Lukas, Munster, 1868, p. 390.

4° C’est surtout lorsqu’il porte la sentence du jugement dernier que le Christ exprime, avec une clarté parfaite, la réalité du feu de l’enfer : « Retirez-vous loin de moi, au milieu du feu éternel qui a été préparé pour Satan et pour ses anges. » Matth., xxv, 41. Il n’y a aucune raison d’entendre ici le mot feu dans un sens métaphorique : au contraire, tout le contexte demande une interprétation réaliste : allez au feu réel, comme les bons iront à la vie éternelle : à ce feu préparé pour le démon et pour ses anges. Voir Passaglia, De œternitate pœnarum, deque igné inferno, Comm. de igné inferno non metaphorico, theor. ii, Ratisbonne, 1854, p. 51-52. On ne saurait admettre les interprétations moins littérales que suggère Billuart, Cursus tlieologiæ, De ultimo fine, diss. VII, a. 6, pour répondre à une objection qui l’embarrasse. D’ailleurs, il faut se souvenir que Notre-Seigneur, Matth., x, 28, attribue au feu non seulement le supplice des esprits, mais encore celui des corps ; et Estius, In IV Sent., dist. XLIV, § 12, remarque à bon droit que si, à la rigueur, l’interprétation métaphorique peut se défendre pour le supplice de l’âme, elle devient inadmissible pour le supplice du corps.

5° Les apôtres se sont servis du mot « feu » pour désigner l’une des principales causes de tourments de l’enfer, d’une manière si uniforme, et avec des images d’un réalisme tel qu’il devient impossible d’y voir une simple métaphore. Voir Jud., 7, 23 : ignis selerni pœna ; II Pet., iii, 7 ; Heb., x, 27 ; II Thess., i, 8, in flamma ignis dantis vindictam iis qui non noveruni Deum ; Jac., iii, 6 : lingua ignis… inftammata a gehenna ;