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FÉTICHISME


tiples raisons pour lesquelles la fusion de ces deux ordres de croyances était inévitable et devait être si peu remarquée.

II. Caiîactères.

Quelle que soit du reste l’hypothèse que l’on adopte sur la nature du fétichisme, on lui reconnaît généralement deux caractères essentiels qui sont encore les caractères distinctifs du fétichisme actuel. — l » Le premier, c’est que le fétichisme est étranger à tout concept d’ordre universel. Ainsi, « amené par l’insistance d’un missionnaire à convenir de l’existence d’une cause absolue, le sauvage remarque aussitôt que cette cause ne le concerne en rien et ne l’intéresse point. Son salut dépend exclusivement de ses fétiches. » Renouvier, toc. cit., p. 230, 231. Les fétiches ne sont même point comparables aux dieux du polythéisme ; ils ont, si l’on peut ainsi dire, beaucoup moins d’extension ou de généralité ; et leur influence comme leur existence sont renfermées dans des limites beaucoup plus étroites. « Presque tous les dieux du fétichisme, dit Comte, sont éminemment individuels, et chacun d’eux a sa résidence inévitable et permanente dans un objet particulièrement déterminé ; tandis que ceux du polythéisme ont, de leur nature, une bien plus grande généralité, un département beaucoup plus étendu, quoique toujours propre, et enfin un siège infiniment moins circonscrit. Cette différence fondamentale constitue sans doute, pour le fétichisme, une aptitude plus prononcée à correspondre spontanément, avec une exacte harmonie, à l'état primitif de l’esprit humain où toutes les idées sont nécessairement, au plus haut degré, particulières et concrètes. » Cours de phitosophie positive, lu" leçon, cdit. Schleicher, Paris, 1908, t. v, p. 29, 30. Cela ne veut pourtant point dire que le caractère du fétichisme, au point de vue intellectuel, soit la stupidité ; et on remarque, au contraire, dans toutes les populations fétichistes une très grande facilité dans la perception des rapports qui touchent leur utilité ou qui intéressent leurs passions ; mais cette nmUiplicité infinie des fétiches s’explique suffisamment » par l’arbitraire et la mobilité d’un jugement tout livré à des associations d’idées que ni la raison ne maîtrise ni la seule expérience ne forme et ne consolide. » L’homme qui est entièrement dénué de critique croit, en effet, « tout ce qu’il se représente, à peu près comme l’homme endormi. Sa crédulité ne trouverait des bornes que dans l’expérience ou l’autorité ; mais ici l’autorité n’est que celle de ses pareils, ou de la tradition qu’ils ont établie, et l’expérience voudrait un observateur capable d’en tirer profit. » Renouvier, loc. cit., p. 221. — 2° Le second caractère du fétichisme, c’est qu’il est étranger à tout concept d’ordre moral. Le culte des fétiches et les pratiques qui le composent sont, en effet, exclusivement inspirés par le désir de capter leur bienveillance ou tout au moins de les apaiser. Les Mancagnes ou Brames « n’ont recours aux fétiches que dans certaines circonstances toujours les mêmes : pour obtenir de bonnes récoltes ou une guérison. » M. Leprince, A’otes sur les Mancagnes ou Brames, dans VAnlhropolocjie, t. xvi, p. GO. Des baguettes coupées dans un bois sacré protègent contre le vol tout objet sur lequel elles sont placées ou entraînent fatalement la mort prochaine du voleur. Les fétîcheurs ne sont point, parmi les populations sauvages, les représentants d’une autorité morale quelconque : a on a recours à leurs offices dans toutes les circonstances difficiles : maladies, embarras financiers, brouilles domestiques, épizootîes, pêches malheureuses, etc., » Gaillard, Étude sur les Lacustres du BasDahomey, dans l’Anthropologie, t. xviii, p. 119 ; mais on ne leur attache pas plus de considération qu’ils ne s’en attirent eux-mêmes par leurs services. Il ne faut donc point s'étonner que, dans toutes les tribus féti chistes, on se livre aux pires excès pour satisfaire les fétiches : on leur inunole des prisonniers de guerre, et, s’ils sont irrités, le peuple lui-même fournit des victimes qui sont la plupart du temps des enfants ou des femmes. Si c’est par la nature des sacrifices qu’elle olïre à ses divinités que se trahit surtout l'état moral d’une tribu, celui des populations fétichistes qui se livrent aux sacrifices humains pour apaiser leurs, mânes irrités est le plus près possible de la dernièredes déchéances : la réflexion, qui pourrait contribuer à l'élever un peu, y est constamment mise en échec par l’utilité qui est la règle de tout.

Ainsi ce qui caractérise véritablement l'état intellectuel et moral des tribus livrées au fétichisme, « c’est cette bassesse de vues qui les tient attachées aux objets de foi les plus grossiers et les premiers venus, sans que leur intelligence cdteigne jeûnais à quelque généralité, ni leur conscience religieuse à quelque chose de séricu.v, » Renouvier, loc. cit., p. 231, 232 ; c’est ce qui fait que le fétichisme est l'état le plus inorganisé et le plus abject de la religion, et c’est ce qui nous permet finalement d’entrevoir la nature des rapports, qu’il entretient avec elle.

III. P'ÉTicHisME ET RELIGION. — Il y a, eu effet, deux théories qui paraissent les avoir singulièrement pervertis : l’une considère le fétichisme comme une religion particulière, assez parfaitement organisée et qui par conséquent est susceptible de durer ; et il est possible que certains noirs africains n’en aient jamais eu d’autre ; mais cela prouverait seulement qu’ils n’en ont jamais eu de véritable ; l’autre le considère comme une religion universelle ou plutôt, et pour mieux dire, comme le premier stade universel de la religion, par lequel il est nécessaire que l’humanité ait débuté, mais dont il est également indispensable qu’elle soit sortie : « l’homme, dit Comte, a partout commencé par le fétichisme le plus grossier, comme par l’anthropophagie la mieux caractérisée, » loc. cit., p. 17 ; et il est, en effet, possible que le fétichisme soit l'état le plus grossier de la religion ; mais il n’est nullement prouvé qu’il en ait été primitivement la forme unique, et que toutes les autres religions ne puissent être conçues que comme les produits d’une évolution naturelle dont il serait pour ainsi parler le point de départ inévitable. Ce que l’on doit plutôt dire, au contraire, c’est que le fétichisme n’est ni la religion primitive ni une religion particulière ; il n’est pas la religion primitive, quoiqu’il soit sans doute l'état le plus abject de la religion ; il n’est pas une religion particulière, parce qu’il est précisément trop bas pour avoir pu véritablement s’organiser ; et bien que les développements antérieurs contiennent déjà et peutêtre expliquent suffisamment ces deux conclusions, il ne sera point superflu, pour achever de nous en convaincre, d’indiquer ici quelques-unes des raisons sur lesquelles on pourrait les établir.

En premier lieu, si le fétichisme était la religion primitive, il faudrait, en eflet, supposer que les hommes sont partis « de la table rase de l’expérience et des connaissances ou croyances particulières, » Renouvier, loc. cil., p. 232 ; et bien qu’une telle hypothèse ait paru à beaucoup d’auteurs ce qu’il y a de plus simple, elle ne laisse pas cependant d'être assez invérifiable, puisqu’elle supprime toute révélation primitive dont les hommes auraient pu recevoir leurs premières idées religieuses. Ensuite, si l’on admet que les hommes se sont fait à eux-mêmes toutes leurs croyances, on les place gratuitement dans un état d’impuissance et d’inaptitude réelle en les faisant débuter par les croyances les plus basses ; on n’explique pas du reste comment ils ont pu en sortir ; et tout au contraire, on rend assez difficile à comprendre toute espèce de progrès ultérieur pour lequel on leur confère