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FENELON
« Pour moi, ccrira-t-il quatorze ans plus tard au

pape Clément XI (l’ancien cardinal Albani), aussitôt que j’ai appris que mon livre avait été condamné à Rome, je me suis hâte d’adhérer absolument à ce décret ; j’ai devancé tous les évêques de France et mes adversaires eux-mêmes dans la condamnation de mon ouvrage. La forme (du bref) lual adaptée aux usages du parlement ne m’a pas empêché de répudier le livre de mon propre mouvement, et d’obéir fidèlejnent au vicaire du Christ. Je n’ai pas voulu distinguer le fait du droit ; mais en mettant de côté toute exception et toute distinction, ma volonté a été de condamner tout le contexte du livre en répétant les qualifications du Très Saint Père. »

A un émissaire de dom Gerberon qui s’offrait à lui comme l’apologiste des Maximes, Fcnelon avait répondu : « J’aimerais mieux mourir que de défendre directement ou indirectement un livre que j’ai condamné sans restriction et. du fond du cœur par docilité pour le Saint-Siège » (3 décembre 1701).

Malgré tant de désaveux publics et privés, la pleine sincérité de sa soumission a été contestée, elle l’est encore. Son suffragant, l'évêque de Saint-Omer, l’intempérant et bruyant Valbclle, dans l’assemblée de la province, avança que les termes du mandement de Fénelon n’impliquaient pas un acquiescement intérieur. Bossuet lui-même n'était qu'à demi satisfait de l’attitude de l’archevêque. A propos d’une lettre dans laquelle Fénelon disait à l'évêque d’Arras, Guy de Sève : « Mon supérieur, en décidant, a déchargé ma conscience ; il ne me reste plus qu'à me soumettre, à me taire et à porter ma croix dans le silence, » Bossuet écrivait à son neveu : « La lettre de M. de Cambray à M. d’Arras est ici prise fort diversement. La cabale l’exalte, et les gens désintéressés y trouvent beaucoup d’ambiguïté et de faste » (12 avril 1699). Phélipeaux reproduira en l’adoptant le doute des adversaires de Fénelon sur sa soumission. « …On croyait qu’il ne songerait qu'à réparer le scandale qu’il avait donné à l'Église par une rétractation publique de ses erreurs ; mais on n’y trouve rien d’approchant (dans son mandement)… On n’y voit rien qui marque un sincère repentir ; il adhère au bref du pape par déférence ou par nécessité, et non par persuasion et par conviction… » Relation du qniélisme, part. II, 1. IV. Dans son Supplément aux histoires de Bossuet et de Fénelon par M. de Bausset, c. i, n. 1, 37, Tabaraud a dit : « En se refusant obstinément à toute rétractation, en soutenant que la doctrine de son livre était étrangère aux erreurs condamnées, qu’il n’offrait que les propres maximes de tous les Pères de la vie spirituelle, sa soumission se réduisait à une simple adhésion, à un pur acquiescement de déférence, à ce silence respectueux contre lequel il se déchaîna avec tant de force dans l’affaire du jansénisme. » Et naguère, d’une plume très étrangère aux rancœurs jansénistes de Tabaraud, on écrivait : « Fénelon ne se soumet pas dans son cœur. Certes, il écrivit un mandement où il exprimait une totale soumission de respect, mais non pas une soumission intérieure. » Jules Lemaitre, Fénelon, viii, dans la Revue hebdomadaire du 12 mars 1910. De fait, certains passages de Fénelon ne semblent-ils pas justifier ces appréciations sévères ? « Je puis bien, par docilité pour le pape, écrivait-il à l’abbé de Chanterac (lettre du 3 avril 1699), condamner mon livre comme exprimant ce que je n’avais pas cru exprimer ; mais je ne puis trahir ma conscience pour me noircir lâchement sur des erreurs que je ne pensai jamais… » Et dans un Mémoire destiné au P. Le Tellier et qui est du commencement de 1710, l’archevêque de Cambrai exhale une plainte amère : « Feu M. de Meaux a combattu mon livre par prévention pour une doctrine pernicieuse et insoutenable, qui est de dire que la

raison d’aimer Dieu ne s’explique que par le seul désir du bonheur. On a toléré et laissé triompher cette indigne doctrine qui dégrade la charité en la réduisant au seul motif de l’espérance. Celui qui errait a prévalu ; celui qui était exempt d’erreur a été écrasé. » Ce langage est dur et très regrettable ; il ne prouve cependant pas que Fénelon, comme le lui reproche Tabaraud, se soit retranché dans la distinction du fait et du droit, et dans le silence respectueux. A propos des ouvrages de M™" Guyon, il avait dit : " Le sens qui se présente naturellement… est selon moi le sens véritable, propre, naturel et unique des livres pris dans toute la suite du texte, et dans la juste valeur des termes. Ce sens étant mauvais, les livres sont censurables en eux-mêmes, et dans leur propre sens. » Réponse à la Relation sur le quiélisme, c. ii, 35. Seulement, l’intention peut être droite, et l’expression a pu trahir une doctrine qui demeure orthodoxe. C’est ce cjue Fénelon a constamment affirmé en ce qui le concernait. Tabaraud s'étonne sans doute que, « dans des livres tout entiers, un auteur s'énonce autrement qu’il ne pense. » On aurait pu lui répondre qu’il ne s’agit pas de livres tout entiers, mais d’un seul livre, car les écrits explicatifs et apologétiques, publiés au cours de la controverse, n’ont pas été atteints par la censure pontificale. On avait bien tenté en France de les y compi’endre ; sur les seize assemblées provinciales qui acceptèrent solennellement la sentence romaine, il y en eut huit (entre autres, celle de Paris ofi prévalait Bossuet, et celle de Cambrai), qui demandèrent et obtinrent du roi la suppression de ces écrits ; mais elles ne pouvaient étendre au delà de ses limites la condamnation portée par Innocent XII.

M. Algar Griveau a cru reconnaître une évolution dans la pensée de Fénelon. Il a essayé d'établir que le spectacle du quesnellisme, la crainte de paraître autoriser les cavillations jansénistes par des réserves qui en étaient fort différentes, amenèrent l’auteur du livre des Maximes à rejeter purement et simplement, sans réserve même du sens attaché par lui à son ouvrage, tout ce qui avait été censuré par le Saint-Siège. Élude sur la condamnation du livre des Maximes des saints, etc., t. ii, c. xviii, xix.

Ajoutons, pour clore l’histoire du quiètisme, qu’une tradition, à laquelle un témoignage récemment publié par M. l’abbé E. Griselle donne une nouvelle force, raconte que, six mois avant sa mort, Fénelon fit don à son église métropolitaine d’un ostensoir d’or porté par un personnage symbolique (la Foi ou la Religion) qui foulait aux pieds plusieurs livres condamnés, entre autres, les Maximes des saints. Gosselin, Histoire littéraire de Fénelon, part. II, Dissertation sur l’ostensoir d’or, etc. ; E. Griselle, Fénelon, Études historiques, p. 293 (extrait du livre de Guyot, ancien curé constitutionnel de Cambrai, Hommage à Pie VII et à Napoléon, Paris, 1802).

Controverse janséniste.

La controverse quiétiste

était à peine close, que la controverse janséniste, qui paraissait presque assoupie depuis trente-quatre ans, se réveilla en 1702, avec le Cas de conscience. Dans cet écrit anonyme, on demandait si un prêtre pouvait légitimement absoudre le pénitent qui, sans admettre intérieurement que les cinq propositions fussent dans VAuyustinus, se contentait de garder sur ce point un silence respectueux. Quarante docteurs de Sorbonne, à qui la question avait été soumise, se prononcèrent pour rafrirmative, mais un bref du 12 févrierl703 condamna le Cas de conscience. A la suite de Clément XI, la plupart des évêques de France réprouvèrent aussi cet 1 ouvrage, et trente-cinq des docteurs signataires reti' rèrent leur souscription. Fénelon publia, le 10 février 1704, une Instruction pastorale qui établissait, par des preuves scripturaircs et patristiques, et par la pratique