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FÉNELON

atteints par la révocation de l’édit de Nantes, et frémissants encore de colère. Quelle conduite le directeur des Nouvelles catholiques a-t-il tenue dans une telle entreprise ? Le xviii’e siècle avait imaginé un Fénelon apôtre de cette tolérance qui, aux yeux de’oltaire, de Marie-Joseph de Chénier, de Laharpe encore incrédule, n’était que l’indifTérence religieuse ; (le nos jours, au Fénelon d’une légende justement discréditée, on en a substitué un autre, instigateur et complice d’impitoyables rigueurs. Incontestablement, l’abbé de Fénelon ne blâmait point l’acte décrété par Louis XIV ; sur ce point, il était d’accord avec presque toute la France, avecBussy-Habutinet M"’<’deSévigné, avec Arnauld et Quesnel fugitifs dans les Pays-Bas. (1 II ne demandait nullement que l’autorité renonçât à faire sentir son empire sur les nouveaux convertis ; au contraire, < il est important, disait-il, que ceux qui « ont l’autorité la soutiennent. » Il veut même que l’on ait soin de joindre aux secours de la persuasion clirétienne la vigilance contre les désertions et la rigueur des peines contre les déserteurs. » Paul Janet, Fénelon, c. I. Mais pour Fénelon, de telles mesures, dont toute l’Europe protestante était coutumière dès longtemps — les souverains de l’Angleterre et des pays Scandinaves n’ont jamais eu à révoquer un édit de Nantes, car ils n’en avaient accordé aucun — les mesures de rigueur, sont insuffisantes ; seules, elles peuvent aisément devenir désastreuses. « Il faut tendre, écrivait-il au fds de Colbert, le marquis de Seignelay, à faire trouver aux peuples autant de douceur à rester dans le royaume, que de péril à entreprendre d’en sortir » (S mars 1686). Fénelon sait ce que valent les conversions forcées : « Dans la situation où je vous représente les esprits, il nous serait facile de les faire tous confesser et communier, si nous voulions les en presser, et faire honneur à nos missions. Mais quelle apparence de faire confesser ceux qui ne reconnaissent point encore la vraie Église, ni sa puissance de remettre les péchés ? Comment donner Jésus-Christ à ceux qui ne croient point le recevoir ? » Lettre à Seignelay, 26 février 1686. Le vrai, le seul moyen de convertir, ce sont les moyens qui ont toujours été employés par les apôtres ; ceux qu’en ce même temps Bourdaloue employait dans sa mission du Languedoc et des Cévennes. A des populations ignorantes et aigries par les maux qu’elles souffrent, il faut qu’on enseigne la doctrine catholique dans sa simplicité, « avec une autorité douce et insinuante. » Il faut des missionnaires zélés pour commencer l’œuvre des conversions ; pour la continuer et pour l’affermir, il faut de bons curés. « Les jésuites (que Fénelon avait eus pour collaborateurs) connnencent bien ; mais le plus grand besoin est d’avoir des curés édifiants quisachent instruire. Lespeuples nourris dans l’hérésie ne se gagnent que par la parole. L’n curé qui saura expliquer l’Évangile afïectueusement, et entrer dans la confiance des familles, fera toujours ce qu’il voudra. Sans cela, l’autorité pastorale, qui est la plus naturelle et la plus efficace, demeurera toujours avilie avec scandale. Les peuples nous disent : Vous n’êtes ici qu’en passant, c’est ce qui les empêche de s’attacher entièrement à nous. La religion, avec le pasteur qui l’enseignera, prendra insensiblement racine dans les cœurs » (à Seignelay, 6 mars 1686). Fénelon demande aussi la diflusion, parmi les protestants, d’ouvrages orthodoxes. « Il nous faudrait une très grande quantité de livres, surtout de Nouveaux Testaments (sans doute, la traduction du P. Amelote), car on ne fait rien, si on n’ôte les livres hérétiques ; et c’est mettre les gens au désespoir, que de les leur ôter, si on ne donne à mesure qu’on ôte » (à Seignelay, 26 février 1686) ; il demande la création d’écoles pour les deux sexes ; il appelle des apôtres. « N’y aura-t-il pas des prêtres qui fassent pour la vérité ce que ces malheureux (les ministres protestants) ont fait efficacement pour l’erreur ? M. de Saintes est bien à plaindre, dans ses bonnes intentions, d’avoir un grand diocèse où le commerce et l’hérésie font que peu de gens se destinent à être prêtres (â Seignelay, 8 mars 1686).

La retraite et l’éducation des filles. — De retour à Paris, Fénelon rendit compte à Louis XIV de l’état dans lequel il avait laissé les provinces de l’ouest, et reprit la direction des Nouvelles catholiques. Il semblait devoir la garder longtemps. La malveillance de l’archevêque de Paris, Harlay, l’avait écarté de l’évêché de Poitiers qui lui était destiné ; un peu plus tard, d’invraisemblables soupçons de jansénisme empêchèrent l’évêque de La Rochelle d’obtenir pour coadjuteur le jeune prêtre en qui vivait cependant la doctrine sans tache de M. Tronson et le pur esprit de Saint-Sulpice. Tel est du moins le récit deBausset " qui utilise souvent, comme on sait, des documents encore inédits ou aujourd’hui perdus. » Maurice Masson, Fénelon et M™ » Gmjon, p. 90. Il se peut que Fénelon lui-même ait refusé des postes cju’on lui offrait ; mais dans la lettre xxxvi"’du recueil Masson dont nous parlerons plus tard, est-on autorisé à découvrir des raisons de diplomatie supérieure’} « Si l’on me nommait à un cvêché, demande Fénelon, ne pourrais-je pas, sans blesser l’abandon (à la volonté divine), refuser, supposé que je sois manifestement attaché ici (la maison des Nouvelles catholiques) à un travail actuel pour des choses plus importantes que toutes celles que je pourrais faire dans un diocèse ? »

Durant ses années de laborieuse retraite, il écrivit, à la demande de la duchesse de Beauvilliers, son Traité (le l’éducation des filles. Certes, des jeunes filles il ne veut point faire des pédantes ; plus d’un de nos contemporains le trouverait même bien réservé, bien timide, dans le choix des études qu’il permet aux femmes. Fénelon trace cependant aux studieuses curiosités de la femme un programme assez étendu. « Il ne se borne pas aux éléments de la grammaire et du calcul : il pousse jusqu’aux notions de droit, en sorte que la femme éloignée de son mari ou devenue veuve puisse suivre ses intérêts. Pour celles qui ont du loisir et de la portée, non seulement il autorise les histoires grecque et romaine qui étaient en usage, mais il recommande l’histoire de France qui n’avait pas place encore dans les études des jeunes gens… Il n’interdit enfin ni l’éloquence, ni la poésie, ni la peinture, ni même le latin. » Octave Gréard, L’éducation des femmes par les femmes. Il veut que la femme soit sérieusement et pratiquement chrétienne, préservée des spéculations stériles ou périlleuses, appuyée sur la connaissance de l’histoire, car « la religion est une histoire et doit être enseignée historiquement, » c. vi : capable enfin de saisir et même d’exposer les preuves qui accréditent le christianisme et l’Église catholique devant la raison et devant la conscience.

Préceptorat des enfants de France. — Une nomination éclatante tira Fénelon de la demi-obscurité, de l’oubli dans lequel, d’après une remarque moqueuse de M. de Harlay, il paraissait se complaire. Le 17 août 1689, le duc de Beauvilliers, gouverneur du duc de Bourgogne depuis la veille, proposa et fit agréer au roi l’abbé de Fénelon pour précepteur des enfants de France. Des amis puissants, Beauvilliers, Bossuet, M"n= de Maintenon qui le goûtait alors, avaient agi pour lui, mais rien ne prouve que l’abbé de Fénelon ait essayé de se pousser à un tel emploi. Saint-Simon l’accuse d’une ambition qui aurait tour à tour cherché inutilement des appuis chez les jésuites, chez les jansénistes, et il ajoute qu’il se serait rabattu sur Saint-Sulpice. » En règle générale, dit Brunetière, il est toujours prudent de commencer par ne pas croire Saint-Simon. » Manuel de l’histoire de la littérature française, 1898,