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EXTASE


peut venir soit de la maladie, soit de Dieu, soit du démon. Sum. theol., Ih II » ", q. clxxv, a. 1. Le démon peut même produire ou simuler la plupart des efïets que nous avons signalés : action sur les sens, sur l’imagination, sur la sensibilité, sur l’intelligence ; il ne peut pourtant, sans une révélation divine extrêmement rare, connaître sûrement l’avenir ; mais dans bien des cas, esprit très fin et très expérimenté, il sait le prévoir sur de légers indices ; il agit sur la volonté, mais d’une manière qui permet, au moins après une minutieuse et persévérante étude, de distinguer son action satanique, iJjjJM ' ^'=-" —

Dans les""extases diaboliques, l’objet présenté est souvent bizarre ou même immoral ; les circonstances des phénomènes vulgaires, grossières ou ridicules ; la fm indigne de Dieu ou mauvaise : confirmer dans l’erreur ou le vice, satisfaire une vaine curiosité ; les efïets produits tels qu’ils doivent être attribués à un principe mauvais : trouble, présomption, désespoir, vanité, orgueil, impureté, éloignement ou abus des sacrements. Sans doute. Dieu peut parfois donner les grâces gratuites de l’extase à des personnes qui n’ont rien fait pour les mériter : Paul était persécuteur quand il fut miraculeusement converti sur le chemin de Damas ; cependant on peut dire que d’ordinaire, si les personnes favorisées d’extases ne sont pas vertueuses, si elles aiment à faire parade des faveurs reçues, ces faveurs ne viennent ni de Dieu, ni des bons anges, elles viennent du démon. Il importe de remarquer que, si les extases divines commencent souvent par le trouble, elles finissent toujours dans la paix.

Ces signes de l’extase diabolique sont empruntés, pour la plupart, à Benoît XIV, De servorum Dei bealiftcatione, 1. III, c. xlix, n. 6. Il termine ainsi ; Demum signa aperta extasis diemoniacse sunl, si in ea suadeatur aliqiiod malum ; vcl si bonum suadeutur, non tamen suadeatur ad bonum finem, vcl si exlaticus postcxtasim lurbalus permaneat ; licct enim in exlasibus, apparilionibus et divinis rcvclationibus aligna turbalio dari possii, et data sil, eadem tamen nec vehemens est nec multum durât, et extatici in delectatione quiescunt.

V. Extase divine.

Si dans les effets de l’extase il s’en rencontre qui dépassent les forces scientifiquement connues ; si l’objet présenté à l’imagination, à l’intelligence, à la volonté n’a rien que de vrai, de juste et de saint ; si, après mûr examen, les diverses circonstances du phénomène sont dignes, honnêtes, bienséantes, ou laissent deviner, sous des apparences un peu mesquines, l’infinie délicatesse et bonté de Dieu ; si le but est bon : affermissement dans la vérité ou la vertu, édification, triomphe de l'Église, gloire de Dieu ; si les efïets sont bons : paix, confiance, humilité, docilité, obéissance, oubli de soi, charité ; si les personnes favorisées de grâces extatiques sont des personnes hautement vertueuses et d’une vie sainte, on peut conclure que l’extase est divine. On pourra, sans que tous ces signes soient réunis, la distinguer avec grande vraisemblance d’une extase naturelle ou diabolique ; mais, là où ils se trouvent, on peut affirmer à coup sûr qu’elle vient de Dieu.

Nous pouvons donc maintenant définir et étudier cette extase dont les faits démontrent l’existence, et que les mystiques et les théologiens nous aident à connaître et à juger. Cette extase — l’extase proprement dite des saints — est une extase intellectuelle ; elle appartient à la contemplation parfaite.

Nature.

Il y a extase, dit saint Thomas,

lorsque rtZiçuis spiritu divino eleuatur ad aliqua supernaturalia, cum abstractione a sensibus. Sum. theol., IIa-IIæ , q. CLXXV, a. 1. Ainsi, d’après le saint docteur, il existe dans l’extase deux ordres de phénomènes : l'âme n’agit plus par ses sens, elle en est comme

séparée ; l'âme est élevée par une force divine vers les biens surnaturels.

1. L'âme est comme séparée de ses sens ; elle cesse d’entrer en rapport avec le monde extérieur, les yeux ne voient plus, les oreilles n’entendent plus, le sens du toucher est comme anéanti ; qu’on veuille bien se reporter à ce que nous avons dit précédemment sur l’insensibilité du corps pendant l’extase et l’immobilité. Voir col. 1875.

2. L'âme est élevée par une force divine vers les biens célestes. — L’extase divine ne consiste pas dans la simple aliénation des sens extérieurs ; mort en apparence, elle est en réalité vie plus intense que jamais ; les facultés supérieures de l'âme : intelligence et volonté, s’y développent d’une manière merveilleuse. Nous l’avons déjà indiqué en parlant des efïets de l’extase sur ces deux facultés, mais il faut insister.

Benoît XIV, De servorum Dei beatificatione, 1. III, c. XXVI, n. 7, définit ou plutôt décrit en ces termes la contemplation infuse et surnaturelle : simplex intcllcctualis intuitus cum sapida dilectione divinorum aliorumquc revelalorum, procedens a Deo speciali modo, applicante intellectum ad intuendum. et voluntatem ad diligendum ea revelata, et concurrente ad eos actus per dona Spiritus Sancti, intellectum et sapientiam, cum magna illuslratione intellectus et inflammalione voluntatis. L’extase, étant l’un des degrés de la contemplation parfaite, il s’ensuit qu’on peut lui appliquer ce que le savant pontife dit de la contemplation en général.

L’extase est donc à la fois un regard simple de l’intelligence et un élan plein de suave amour de la volonté vers Dieu et les choses divines.

D’ordinaire, notre intelligence, pour atteindre la vérité, va d’idées en idées, de déductions en déductions, de raisonnements en raisonnements ; dans l’extase, au contraire, elle enveloppe son objet d’un regard intuitif, elle le voit, elle le contemple : contemplatio pcrtinet ad ipsum simplicem intuitum veritatis. S. Thomas, Sum. theol, 11= II"=, q. clxxx, a. 3, ad 1°"'. En même temps qu’elle éclaire l’intelligence, l’extase brûle la volonté. L'âme alors semble incapable de s’appliquer à autre chose qu'à aimer Dieu ; elle voudrait avoir mille vies pour les lui sacrifier, « elle souhaiterait que toutes les créatures fussent changées en autant de langues, pour l’aider à louer celui qu’elle aime. » Le château intérieur, vi « demeure, c. IV. Sainte Catherine de Gênes osait écrire : « Si je parle de l’amour, il me semble que je l’insulte, tant mes paroles sont loin de la réahté. Sachez seulement que si une goutte de ce que contient mon cœur tombait en enfer, l’enfer serait changé en paradis. » Physionomie des saints, p. 320 (trad. d’Ernest Hello).

Cette illumination de l’intelligence, cet embrasement de la volonté ne changent pas évidemment, pour l'âme extatique, les conditions imposées à tous les hommes par la foi : Videmus nunc per spéculum in eenigniale, tune autem facie ad faciem. I Cor., xiii, 12. Elle ne voit point Dieu face à face — saint Thomas et plusieurs autres saints docteurs, que semble bien approuver Benoît XIV, admettent cependant que Moïse et saint Paul ont contemplé, dans leur extase, l’essence divine face à face, cf. S. Thomas, Sum. theol., 11^ II*, q. clxxv, a. 3, ad 1°'" ; In Epist. II ad Cor., c. xii ; Benoît XIV, De servorum Dei beatificatione, 1. III, c. i., n. 5 ; des théologiens de grande autorité admettent même que des saints ont eu le mêm privilège, Bona, De discretione spirituum, c. xviii, n. 7 — elle le voit à travers un miroir, derrière un voile, mais le miroir est devenu plus transparent, le voile plus léger ; c’est toujours