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EXPÉRIENCE RELIGIEUSE

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toutes ses facultés. Au lieu d’une certitude dialectique, qui a le défaut, à tout le moins, de n’impressionner jamais qu’une partie de son être, il sent en quelque sorte chacune de ses puissances lui articuler la même solution. Leur voix fût-elle sourde encore, la convergence de leurs avis est un fait des plus graves et qui pour tout esprit prudent doit emporter conviction ; c’est la certitude humaine.

30 Nécessité d’une expérience personnelle pour les études théoriques. — Dans ces conditions, il n’est pas besoin d’expliquer longuement de quelle importance peut être, pour le théologien, sous le contrôle constant de la raison, l’expérience personnelle des choses de la religion. C’est un ordre de faits comme les autres, infiniment délicat sans doute, mais utilisable comme eux : l’ascèse chrétienne s’en préoccupe depuis longtemps. Voir Discernement des esprits. La théologie, sans en avoir peut-être tiré tout le parti possible, en a dès longtemps saisi l’importance, pseudoDenys, De divinis nominibus, c. 11, P. G., t. 11, col. 648 ; S. Thomas, Sum. theoL, 1% q. i, a. 6, ad 3>"". Soutenir qu’on peut étudier mystique, théologie, histoire et philosophie des religions, sans expérience personnelle, est ridicule. Autant vaudrait affirmer qu’on peut faire de la critique d’art, sans avoir rien éprouvé du sentiment esthétique. Resteraient incompréhensibles à un intrus de ce genre les notions élémentaires de cette science : sentiment religieux, délicatesses de la piété, sens de la prière et du repentir, conversion de l'âme et le reste. Que d’erreurs de ce chef, dans l’interprétation des textes, surtout s’ils sont anciens et obscurs, et dans les théories psychologiques ou philosophiques qui tenteraient de les expliquer 1

Seule encore, sinon en droit, du moins en fait, l’expérience permettra de mesurer la valeur organique des dogmes. Un juge du dehors sera trompé, par exemple, sur l’importance de certaines pratiques, comme le culte des saints, plus extérieures, plus communes. La profession personnelle de la religion lui montrerait bien vite en quel rang secondaire la piété les maintient et de quel secours elles peuvent être, pour entretenir et développer l’essentiel de la dévotion. J. H., Newman, Discourses to mixed congrégations, 5e édit., Londres, 1876, conf. ix, p. 172-177.

De manière constante enfin, l’expérience doit être la pierre de touche des systèmes théologiques, qu’ils procèdent du miniinisme rationaliste, ou de la tendance contraire, chez tels docteurs des mieux intentionnés. Une théorie de la foi ou du mécanisme de la grâce qui ne s’accorde pas avec les autobiographies autorisées et le témoignage interne, n’est pas plus tolérable, par exemple, qu’une thèse sur la causalité des sacrements qui ne cadrerait pas avec les faits : Ego enim odi hune philosophandi et theologizandi modum…, dum [omnibus] persuadere volumus illa ipsa quse in se ipsis experiuntur alla esse ab eis quse ipsi expcriuntur. De Lugo, De virtute ftdei divinæ, disp. I, sect. IV, n. 38 sq.

Voir Gerson, De mijslica theologia speculativa, part. VI, consid. XXX, Opéra, Anvers, 1706, t. iii, col. 385 sq. ; Honoré de Sainte-Marie, Tradition des Pères et des atdeiirs ecclésiastiques sur la conieniplation, 2 in-S", Paris, 1708, part. III, diss. IX, a. 3, t. 11, p. 594 sq. ; de la Reguera, Projets llieol. nujslices, 2 in-fol., Rome, 1745, 1. VI, q. iii, § 9, t. ir, p. 180 sq.

/II. l’expérimentatios religieuse. — Les constatations que nous venons de faire, col. 1837, réveillent une difiicnlté déjà résolue en principe, col. 1828 sq. : dans quelle mesure l’expérimentation est-elle possible, en matière religieuse ?

Théories diverses de l’expérimentation.

1. La

prédication protestante, très logiquement, se réduit à n'être qu’un « témoignage » des expériences soit des

initiateurs chrétiens, soit du pasteur. En les racontant, celui-ci invite à en renouveler l’essai.

La théorie de cette expérimentation a été faite, avec l’intention « de suivre exactement la marche des sciences physiques, » par Lagrange, Le christianisme et la méthode expérimentale, Lausanne, 1883, p. 9. A la suite de Vinet, l’auteur insiste sur la nécessité de se mettre ici, comme partout ailleurs, dans les conditions prescrites par Vliypothèse à vérifier : « Il faut, pour préparer son âme ù s’approcher du Dieu vivant, se laisser guider par les rapports qui existent entre le caractère de Dieu et le caractère de l’homme, » p. 61, humilité de l’esprit et du cœur, contrition, désir de sainteté, espoir et confiance, p. 78. « Mais ce n’est pas par degrés insensibles [que l’homme] arrivera à la certitude expérimentale… La certitude, la foi ne lui viendra, d’après le témoignage de tous ceux qui en ont fait sincèrement l’essai, qu'à un instant déterminé et parfaitement reconnaissable, où le développement de la probabilité sera comme interrompu par une action intérieure et personnelle, par un fiât lux sur l’origine duquel il n’y a pas de doute possible et qui est dû à la prise de possession de l'âme par l’Esprit même de Dieu, » p. 80.

Ainsi l’auteur passe-t-il subitement d’une méthode scientifique à l’illuminisme méthodiste.

Précisons. C’est un fait, sinon constant, du moins fréquent : l'évidence est chose indivisible, elle ne vient pas par degrés, mais éclate aux yeux, quand enfin l’on a réussi à mettre en présence les termes d’un syllogisme apodictique ou, si l’on préfère, les principes péremptoires qui commandent la conclusion discutée. On gravissait péniblement une pente abrupte, pressentant vaguement le panorama prochain : il se révèle, tout d’un coup, tout entier, à l’instant précis où l'œil atteint la ligne de crête.

Ainsi la certitude religieuse qui couronne la recherche religieuse prend-elle souvent l’aspect d’une illumination subite, mais dans le fidéisme, c’est impression subjective, irraisonnée, injustifiable par autre chose que cette impression souverainement suspecte ; dans le catholicisme, c’est intellection claire de motifs jusque-là ignorés ou incompris : on sait ce que l’on voit, pourquoi l’on voit, et que de pareilles preuves vaudraient pour tout esprit réfléchi.

Analogues par leur seule soudaineté, les deux illuminations, rationnelle et pseudo-mystique, sont de nature et de valeur tout autres.

2. La » philosophie de l’action » , par un pragmatisme très différent soit du fidéisme criticiste ou protestant, soit du pragmatisme français (Bergson, Le Roy, Wilbois) ou américain (Pierce, Schiller, Dewey, James), a appuyé cette thèse sur des considérations d’un autre ordre, d’un mot sur une « science de la pratique » .

Observant que la pensée dialectique, abstraite et fragmentaire, n'épuise pas le réel, tandis que l’action, concrète et globale, met en contact direct avec la réalité naturelle et surnaturelle, et puise en elle des informations originales sans cesse renouvelées, insistant d’ailleurs, de manière excessive, au détriment de l'élément intellectuel, sur ce qui dans la foi est confiance, don du cœur, sympathie d'être à être, cf. Vocabulaire publié par la Société française de philosophie, Paris, août 1906, art. Foi, p. 314, ne croyant pas qu’efle pût être rigoureusement démontrée, sans perdre son caractère d’acte surnaturel et libre, L’action, p. 400, 403, 492 ; Annales de philosophie clu-étienne, t. cxxxi, p. 344 sq., 470, 614"sq. ; t. cxxxii, p. 340, M. Blondel a voulu prouver que la pratique seule pourrait emporter une pleine conviction. Il conckit donc : « On ne peut savoir ce qui en est que par une expérimentation effective… Qui a compris la nécessité, qui a senti le besoin de la foi, doit, sans l’avoir, agir comme s’il