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EXPERIENCE RELIGIEUSE


Compris de la sorte, et sans préjuger d’une providence spéciale, le dou de sagesse n’est autre chose que l’aboutissement normal de l’action surnaturelle qui « fait prendre goût » aux choses religieuses : il est conféré dans et par l’amour ; hocprœstal sapientia]prœscrlim per quamdam connaturalitatem ad res divinas, quam (ffïcit charilas. Suarez, De oralione, 1. II, c. x, n. 9.

5. Les grâces gratis datie et les faveurs surnaturelles. — Enfin, en revenant sur l’observation déjà faite, col. liS21, que dénier à Dieu le pouvoir de modifier le cours naturel des causes secondes, c’est nier en fait sa personnalité, sa toute -puissance et sa liberté, il faut ajouter aux considérations précédentes celle des interventions proprement miraculeuses de Dieu. Visions, révélations, grâces mystiques extraordinaires ne font que constituer une classe à part, celle des miracles psychologiques, dans ces faits extraordinaires dont la théologie professe la possibilité, tout en se montrant fort sévère dès qu’il s’agit de prononcer sur la question de fait.

Précisément parce que ces phénomènes ne rentrent pas dans le domaine commun, il nous suffira de les mentionner ici, en renvoyant le lecteur aux articles spéciaux. Contemplation, Extase, Révélations (privées). Visions.

Nous avons envisagé les facteurs précédents, dans les cinq thèses brièvement rappelées, du point de vue statique, insistant sur ce fait évident, en dehors de toute théologie, que toute modification ontologique devait entraîner un changement des réactions émotionnelles. Il convient d’examiner comment ils entrent en jeu.

3° Évolution de la vie religieuse. — Inutile de revenir en détail sur les trois ordres d’expériences énumérés plus haut : fondamentales, dérivées, mystiques. Les premières ont leur cause profonde dans l’intellcctualité de l'âme, col. 1816. Les autres se trouveront élucidées, si nous parcourons les trois stades de cette évolution : voie purgative, voie illumiiiative, voie unitive.

Cette division, cf. S. Thomas, Sum. theoL, II » II' » , q. XXIV, a. 9 ; Suarez, De oratione, 1. II, c. xi, n. 2, se tire des divers degrés de la charité, et c’est justice, si la religion est une amitié, col. 1814.

Toutefois elle n’a qu’une valeur schématique : il n’est pas en psychologie d'état stable, dont on ne puisse déchoir, ou d'état si simple, qu’il ne participe à plusieurs égards des états d'âmes inférieurs ou supérieurs. Cf. Suarez, toc. cit., n. 4, 8, 10. Si donc on distingue ces trois degrés, débutants, progressants et parfaits, chaque classe pourrait se subdiviser en trois groupes analogues, cf. Bouix, Memoriale B. Pétri Fabri, Paris, 1873, p. 72 sq., et nul ne peut se désintéresser entièrement de la pédagogie propre à aucune d’elles.

1. Distinction nécessaire des trois v.iies. — Ainsi comprise, cette distinction prend l’importance d’un point diacritique : qui l’admet ou la rejette passe de l’orthodoxie à l’hétérodoxie et — ce qui doit frapper tout esprit réfléciii — d’une religion fondée sur la morale à une conception religieuse plus ou moins amorale, d’une psychologie profonde à une spéculation superficielle. On va le voir.

Aux yeux de Molinos, elle constitue la plus grosse absurdité qu’on ait jamais articulée en mystique : Très illse viæ, purg diva, illumindioa et unitiva, sunt absurduni m((ximum quod dictum fuerit in mystica, cum non sit nisi unica via, scilicet via interna. Denzinger-Bannwart, n. 1246 (1113). L’assertion, en effet, s’impose à toute tliéorie qui substitue à l’effort volonta re la passivité sous l’action divine : l'émotion, théoriquement, peut être identique, quelle que soit la condition morale du sujet. Tel est le cas des doctrines

issues du protestantisme : elles insistent sur le caractère inconditionné de l'émotion religieuse : « Rien dans la théologie catholique, écrit W. James, après avoir cité le commentaire aux Galates, ne parle à l'âme douloureuse comme cette doctrine que Luther a tirée de sa propre expérience…, l’intuition immédiate que, tel que je suis, coupable, sans un moyen de défense, je suis sauvé, aujourd’luii même et pour toujours. » L’expérience religieuse, 2^ édit., p. 208, 209. A. Sabatier vante de même une grâce « pure et sans condition » , Esquisse, 1. II, c. ii, § 3, p. 202 ; s’il parle de repentir, c’est toujours en condamnant la nécessité des œuvres, ibid., § 5, p. 212, et M. E. Ménégoz retrouve l'équivalent des expressions de Calvin et de Bèze, sur l'étincelle qui suffit au salut : « Que ce mouvement [de foi] soit plus ou moins conscient, plus ou moins énergique, pourvu qu’il soit vrai, sincère, réel, et Dieu lui accorde grcduitement la rémission des péchés, la vie, le salut. » Publications diverses sur le fuléisme, Paris, 1900, p. 17 sq., 26 sq., 32. Sans doute, on parle encore des œuvres, non pas condition, mais fruit du salut. Qu’importe si chacun peut avoir l'évidence d’atteindre le minimum de foi et de porter le quod justum de fruits, quelque déplorable que sa conduite paraisse à d’autres juges I Affaire d’appréciation personnelle.

Tout psychologue observera donc que la théorie de la foi sans les æ ivres, ou toute autre basée sur la passivité humaine, laisse l'âme à la merci des illusions des sens, voire des plus grossières, comme il appert des thèses scandaleuses de Molinos, col. 179C. En dehors de toute préoccupation confessionnelle, il reconnaîtra encore ceci : puisque l'école de l’amour effectif et celle de l’amour affectif accusent deux mentalités différentes, les réactions psychiques ne peuvent être identiques de part et d’autre. Poussant un peu plus avant, il notera que si, aux termes du pragmatisme même, toute connaissance, toute émotion est, dans une certaine mesure, fonction de nos états, l'école qui se désintéresse de la purification des appétits ne peut conduire aux expériences spirituelles élevées que l’autre, sans aucun appel au transcendant, a droit de promettre ; il dénoncera ce trichotomisme étrange, installé au cœur des théories qui devaient s’en garder davantage : séparation de la spéculation, de l’affection, de l’action. Comme s’il n’y avait pas interréaction inévitable de l’idée sur le sentiment, du sentiment sur l’activité lilire, de l’expérience née de l’agir sur le sentiment et sur l’idée ; comme si, avec ce morcelage, non des moments de la connaissance, comme on le reproche à l’intellectualisme, mais des facteurs de la connaissance, on pouvait prétendre à une connaissance religieuse, non pas arbitraire, mais %Taiment cohérente et humaine.

On conclura, sauf à revenir sur le détail de la preuve, que, si la terminologie à quelques égards peut être commune aux diverses écoles, leur phénoménologie ne le saurait être.

2. Caractéristiques de chaque voie.

Si nous maintenons l’unité vitale et l’interdépendance des trois termes, idées, sentiments, œuvres, nous devons caractériser chacune des trois voies, purgative, illuminative unitive, sous un triple aspect. Nous le ferons, mais en réservant à plus tard la question de la connaissance, col. 1838.

L'œuvre extérieure traduit le sentiment comme le fruit juge l’arbre, Matth., vii, 16 sq. ; xii, 33 : telle l'énergie de l’amour, tel son effet. En partant de ce résultat apparent, et en supposant acquises la personnalité divine et la conception de la religion comme d’une amitié, col. 1814, on pourrait décrire les trois voies comme il suit.

a) La voie purgative est spécifiée par l’effort pour passer de l’indifférence ou de la haine à l’amour ou