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EXPERIENCE RELIGIEUSE


gique s’ideuti fient pour lui, en quelque sorte, dans l’impression d’une nécessité subie.

La perception du beau a le même caractère. On insiste souvent sur ses normes objectives, sans noter suffisamment l'élément subjectif qu’il requiert : une certaine excellence d’harmonie entre l’objet et la faculté. Le charme qui en résulte s'éprouve donc, avant qu’on soit en mesure de l’analyser et de le définir.

Ainsi en va-t-il dans l’ordre de la bonté : elle est expérimentée dans la satisfaction qu’elle apporte.

De même, si la moralité, de quelque façon qu’on explique ses derniers fondements, s’appuie certainement sur la convenance des actes avec la nature raisonnable, ne voit-on pas que ce rapport, au moins dans les cas rudimentaires qui forment la trame de la vie, est moins conçu que senti ? La légitimité de certaines actions se perçoit d’instinct dans le besoin qui les appelle ; l’illégitimité de certaines autres dans l’entorse violente que la volonté se donne en prenant à leur occasion le contre-pied d’une attitude jugée légitime ailleurs. Le nier, ce serait oublier que les connaissances ne sont pas des abstractions qui se succèdent sans lien dans l’intelligence, mais des états de conscience dont chacun laisse sa trace, engendrant dans la faculté un commencement d’habitude.

Il est aisé de comprendre, dès lors, comment de ces expériences l'âme passe irrésistiblement, non à la perception directe du Vrai, du Beau, du Bon, du Bien absolus, mais à la conception confuse de ces réalités et à leur recherche inconsciente.

Dès que la répétition d’impressions analogues est venue l’orienter vers les idées générales, avant même que ces notions abstraites ne soient explicitement formulées, elle conçoit — mieux vaudrait dire, tant cette connaissance est fatale et immédiate, elle sent — qu’aucun des êtres qui l’entourent n'épuise la notion d'être, de grandeur, de beauté, de bonté, de moralité, et elle se sent attirée par le meilleur et le mieux, indépendamment de tout acte réflexe, par le seul fait que, vaguement mais nécessairement, elle l’entrevoit comme possible et qu’elle subit son influence. L’organe visuel, après avoir passé par divers degrés de lumière, éprouve, s’il est placé dans une semi-obscurité, qu’il n’a pas toute la clarté dont il peut jouir et qu’il l’appelle invinciblement. Il ne perçoit pas la lumière parfaite dans l’imparfaite, mais comme toute faculté s’atteint elle-même dans son acte, il expérimente le besoin et la recherche de ce surcroît dans la sensation simultanée de son énergie inassouvie. Ainsi en va-t-il de l’intelligence.

Placée, par la simplicité de sa nature, en dehors de l’ordre quantitatif, elle n’a plus rien à sa mesure, comme terme de connaissance ou comme terme de son appétit, que l’Infini, parcc que l’intellectualité lui permet de le concevoir, et que l’amour du mieux ou du parfait — quoi qu’il en soit des actes réfléchis — n’est pas plus affaire de choix, pour les tendances spontanées de l'àme, que ne l’est pour l'œil l’amour de la lumière.

Inutile de parler d’innéisme strict avec Descartes, de perception immédiate de l’Infini dans le fini, avec Max Millier, ou bien avec Gratry, de sens divin, passant d’un bond du fini à l’Infini ; il suffit d’un innéisme large, tel que l’ont entendu les scolastiques ; ejus cognilio nobis innala dicitur esse, in quantum per principia nobis innala de jacili percipere possumus Dcuni esse. S. Thomas, In Boet., De Trinit., q. i, a. 3, ad G'"" ; Sum. theol., 1% q. ii, a. 1, ad l'"".

Le divin est donc pressenti, dès l’aurore de la vie raisonnable, sous les traits vagues du plus grand et du meilleur. Subconscientes à quelques égards, ces perceptions préparent de loin l’intellection des notions

les plus hautes. Lorsque se posent, devant la conscience claire, des degrés de vérité, de beauté ou de bonté, encore inéprouvés, l’effort d’intelligence qu’ils provoquent réveille sympathiquement les émotions antérieures ; ces aperceptions obscures se fondent avec la perception présente dans une synthèse lumineuse : l'âme tressaille, comme à la solution d’une énigme inexprimée qui la tourmentait. Mais ces intuitions de réalités supérieures n’apaisent pas son mal : en confirmant les tendances instinctives, elles les désespèrent et les excitent à la fois : inhorresco in quantum dissimilis ei sum ; inardesco in quantum similis ei sum. S. Augustin, Confess., 1. XI, c. ix, P. L., t. xxxii, col. 813. En voyant ce qu’elles sont et ce qui leur manque, le cœur s'éprend d’un « mieux « plus accompli.

Ce « mieux » , la raison théorique le nomme Dieu et, puisqu’il est au terme de toutes les voies où nous cherchons quelque satisfaction, puisqu’il donne à chaque être la participation de son être qui le rend aimable, les scolastiques n’ont pas craint de dire qu’il était implicitement recherché et connu dans tout objet. S. Bonaventure, Opéra, édit. Quaracchi, t. v, p. 315. Le nom qu’on lui donne suppose une décision libre, non l’idée qu’on s’en fait, ni l’amour qu’on lui porte : Non dubia scd certa conscienda. Domine amo te… Quid autem amo, cum te amo ? Non speciem corporis, nec decus temporis, nec candorem lueis… et tamen amo quamdam lucem, et quamdam vocem, et quemdam odorem. On l’objective sous toutes les formes qui répondent à un appel de la nature, sans l’imperfection qui rebute en elles. Hoc est quod cmio, cum Deum meum amo. S. Augustin, Confess., 1. X, c. vi, n. 8, P. L., t. xxxii, col. 782 sq. ; c. xxii, n. 32, col. 793.

Ce qui est vrai de l’idée de Dieu, l’est aussi de l’idée de moralité ou de béatitude. A voir comment tous la cherchent, on dirait que, dans quelque vie antérieure, tous l’ont connue : Ubi noverunt eam, quod sic volant eam ? Le mécanisme de ces perceptions confuses, enregistrées dans la subconscience, suffit à en rendre compte : Habemus eam nescio quomodo. S. Augustin, Confess., 1. X, c. xx, n. 29, col. 792 ; cf. c. xxi sq., col. 792 sq.

Si les premières connaissances (in communi, in confuso) et les premières tendances sont imposées par la nature, les déviations qui résultent soit de l’erreur, soit du libre choi., entraînent, au lieu de la jouissance qui s'épanouit spontanément sur l’acte normal, le malaise et la souffrance. Constatation de psychologie élémentaire, presque de physiologie, qu’Augustin a traduite par le mot connu : Fecisli nos ad te, [Domine], et inquietum est cor nostrum donec rcquiescat in te. Confess., 1. I, c. i, n. 1, P. L., t. xxxii, col. 661. Mot admirablement choisi, puisque « l’inquiétude » correspond aux appréhensions vagues, cꝟ. 1. IV, c. x, n. 15, col. G69 sq. ; 1. VI, c. xvi, n. 26, col. 732 ; nam in ipsa misera inquietudine… salis ostendis quam magnam creaturam rationalem feceris, cui nullo modo sufficit ad beatcun requiem quidquid te minus est, ac per hoc nec ipsa sibi, 1. XIII, c. viii, n. 9, col. 848. Cf. De Trinit., 1. X, c. V, t. XLii, col. 977.

Ainsi s’expliquent par une analogie de nature entre l’homme et Dieu les expériences fondamentales de la vie religieuse. Voir col. 1808.

2. Assimilation progressive.

Cette similitude est susceptible de progrès, non qu’il soit possible de perdre ou d’augmenter la simplicité substantielle de l'âme, mais parce qu’il dépend de nous de réformer la vie animale, qui prédomine pendant l’enfance, et de spiritualiser des habitudes qui engendrent, si elles se règlent sur les sens, une « seconde nature » , toute sensuelle.

En dépendance de l'école pythagoricienne, Platon, Philon et Plotin ont donc inculqué la nécessité pour le sage de se reconquérir : qui n’imite point la pureté