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EXPERIENCE RELIGIEUSE


Ces thèses manquanl d’originalité, il nous paraît plus important de marquer nettement de quelles sources elles dérivent et quelle est leur place dans le grand mouvement agnostique issu de la Réforme, que d’analyser longuement leur contenu.

Pragmatisme.

 Quand l’agnosticisme a désespéré tout effort pour connaître la vérité, quand l’habitude des compromis dogmatiques et le principe de

l’universelle tolérance a bien souligné le subjectivisme de la croyance, la tentation est forte — appuyée par la logique instinctive que l’esprit ne peut dépouiller — de réduire à cette utilité subjective l’essentiel de la foi : c’est le pragmatisme. Deux de ses formes méritent d'être signalées.

La » philosophie nouvelle » de M. Bergson, dont MM. E. Le Roy et Wilbois se sont fait spécialement les champions parmi les catholiques, s’appuie sur un idéalisme qui rappelle à quelques égards le panthéisme de Spinoza. Tout est pensée ; la matière même n’est que de la pensée ralentie. La forme originale et parfaite de l'être, c’est le devenir.La pensée spéculative qui découpe des stades de repos dans ce mouvement est donc déformante par son morcelage ; r « action » est plus proche du réel, dont elle respecte l’intégrité. Se replonger dans l’action est donc le meilleur moyen de connaître sans déformation. Toute la vérité des dogmes est de chiffrer des attitudes qui permettent de trouver dans l’action religieuse les expériences vraiment révélatrices. Le Roy, Dogme et critique, 2e édit., Paris, 1907.

Le pragmatisme de W. James s’est inspiré de ces thèses, surtout pour sa critique de l’intellectualisme et sa conception utilitaire des idées abstraites. A p/Hra/istic univcrse, Londres, 1909, lect. v, p. 214 ; lect. vi, p. 225 sq. A cet égard, il dépend aussi des idées émises par Pierce, dès 1878, Popular science monthly, janvier 1878 ; Revue philosophique, décembre 1878, janvier 1879, et des théories de MM. Schiller et Dewey.

Le grand intérêt de ses études est d’avoir analysé de plus près le contenu des expériences religieuses et leur mécanisme psychologique.

Les prédilections de l’auteur vont à la conception luthérienne d’une expérience salvifique indépendante de la moralité personnelle. A pluralistic univcrse, leci. VIII, p. 304 ; The vctrielirs of religious expérience, Londres, 1902 ; trad. franc, par Fr. Abauzit, 2e édit., Paris, 1908, p. 207 sq., 211, et aux conversions où domine la passivité et « l’abandon » . Ibid., p. 177 sq. Analysant ces crises, il observe avec Leuba que la conversion ne requiert nullement la croyance à un Dieu personnel, que le sentiment de régénération et de délivrance n’exige pas la foi au (Christ et peut se produire par une voie qui ne soit nullement intellectuelle, p. 209 sq., bref, que le sentiment mystique d’expansion, de libre épanouissement, n’a pas de contenu intellectuel propre, p. 360.

Quant à l’explication de ces phénomènes, il fait siennes les observations de Myers sur la conscience subliminale, rappelant et complétant celles de Leibnitz sur les « petites perceptions » . L’incubation prolongée de notions subconscientes, leur explosion inopinée, dans le champ de la conscience claire, surtout quand la détente de l’activité, aux heures d’abandon, laisse place à l’automatisme psychologique, suffirait à rendre compte d’un grand nombre, sinon de tous. Ibid., p. 398-405 ; cf. Journal of phiL, psych. und scientific methods, 1910, p. 85 sq. Il n’est besoin que d’observer la multitude des problèmes que W. James pense résoudre par cette voie, pour sentir l’exagération et prévoir une réaction prochaine.

En tous cas, il est difficile de porter un coup plus grave au fidéisme pseudo-expérimental des sectes protestantes : l’imalyse de James dénonce et les facteurs

tout naturels de ces phénomènes, et Varbilraire du lien qui les unit à une dogmatique définie.

Que reste-t-il donc de la religion ? I-'incoercible besoin qui en fait « une fonction éternelle de l’esprit humain, » Expérience religieuse, 2^ édit., p. 423 ; et l’utilité pratique qui fait toute sa vérité. Les déclarations sont précises : les attributs métaphysiques de Dieu, erîs a se, neccssarium, unum infinité perfeclum, … n’ont pas de sens. Ils ne prennent une signification que dans et par les ressources d’action que nous trouvons en eux. « Dieu est dans son ciel 1 Tout va bien pour le monde ! Voilà le vrai cœur de votre théologie. » Prngmatism, lect. iv, p. 121, 122. C’est aussi la pensée de Leuba : « Il ne faut pas dire que l’on connait Dieu… il faut dire que l’on s’en sert… Le but de la religion n’est pas Dieu, mais… une vie plus large, plus riche, plus satisfaisante, » cité par W. James, L’expérience religieuse, 2e édit., p. 422. La vie religieuse est donc réduite à une sorte de thérapeutique par l’idée religieuse, indépendamment de sa vérité.

En fait, tel est le but poursuivi par les sectes ou associations américaines de la mind-cure et de la c/.ristian science, ibid., p. 80 sq., et l’on ne doit pas oublier pour comprendre James qu’il est lui-même un converti de la première.

Conclusion. — Un écrivain autorisé, J. Kcestlin, observe le désaccord absolu qui règne, dans tous les camps du protestantisme, entre théoriciens de l’expérience religieuse, même sur les points essentiels, Realencyklopàdie, t. iv, p. 743 sq. Le lecteur peut apprécier par ce qui précède si la remarque est exagérée.

Sur un seul point l’accord est unanime de Luther à James : sur la prétention de maintenir à tout prix, comme règle de foi, le critère de l’expérience. Luther l’opposait « à toute autorité extérieure, » col. 1786 sq., et pratiquement même aux textes de l'Écriture qui le gênaient, col. 1787 ; pendant quatre siècles, le sens individuel a ainsi éliminé toute contrainte de l’autorité, du dogme, puis de la raison spéculative.

Sur cette pente, les Églises et les individus marchent d’un pas très inégal. Il y aurait injustice souvent à nier leur sincérité, erreur à les imaginer rendus au même point. Mais l’identité du principe garantit l’aboutissement nécessaire de leur évolution. Au dernier stade, il n’y a plus rien, rien que le besoin du divin affirmé malgré tout dans ces hymnes à l’idéal que font retentir, dans des temples vides, la libre-pensée, le libéralisme, le symbolofidéisme, le pragmatisme : c’est l’agnosticisme et l’athéisme mystiques.

III. Question de méthode ; division. — Le problème de l’expérience religieuse peut être abordé, soit du point de vue positif, au nom de l’histoire, de la phénoménologie, de la physiologie, ou de la psychologie, cf. J. Segond, La prière, Paris, 1911, Introd., 1, p. 1-13 ; soit du point de vue spéculatif, si nous prétendons traiter de son explication transcendante.

Il ne peut exister de doute sur la méthode qui convient à ce dictionnaire : dogmatique, par articulation des points de foi, théologique, par la justification rationnelle de leur contenu et de leurs connexions. Toutefois le sujet présent commande une réserve sjiéciale.

Les thèses que nous avons à étudier procèdent, en effet, de l’agnosticisme. Bien que la réfutation fournie par les art. Agnosticisme et Dieu, nous donne le droit d’en appeler à l’action d’un Dieu persoimcl, il y aura avantage à ne point heurter de front, par un dogmatisme croyant, le dogmatisme négatif des théoriciens adverses.

De plus, la méthode comparative qu’ils emploient, imprégnée trop souvent d'à priori positivistes, encore mal définie dans des questions où l’observation est plus délicate et la déformation systématique moins