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EXPERIENCE RELIGIEUSE


1. Théorie de la passivité.

Si consolante que fût la thèse de la passivité, si intimement liée qu’elle fût au dogme capital de la corruption foncière après la chute, elle est abandonnée, du vivant même du maître, par Mélanchthon et son école. Des assertions comme celles-ci trahissent un changement profond. Considerandus est modus procedendi contrarius in physica et in rébus spiritualibns. Medicus videt prias et experitur… Sequitur igitur assensio experientiani. Sed in Ecclesia experienlia seqnitur asscnsionem. Tiidebes audirevocem Evangclii et ei assentiri. Posiea sequitur pax et gaudium in Spiritu Sancto. Mélanchthon, In domin. Penlec, Corpus, t. XXIV, p. 899. L’expérience, au lieu de rester le déterminant de la foi, en devient l’adjuvant, sinon la conséquence. Cum hœc quatuor argumenta (absurdité des erreurs païennes, antiquité de la vraie religion, miracles, excellence de la doctrine) sinnd conjunguntur, écrit le même auteur, movent homines non cyclopicos. El cum postea accedit sensus judicii Dci in agnitione pecatorum, et consolatio et vivificatio in corde, agnito Filio Dei, in his molibus Spiritus Sanclus trahit et confirmai corda, ut jam convinci se faleantur et Evangelio assentiri firmius incipiant. In I Cor., c. xiv, ibid., t. XV, col. 1169. Cf. In Joa., c. viii, col. 179 sq. Les théologiens protestants le disent avec justice : « Ce n’est plus la Réforme, c’est du scolasticisme I »

On sait comment, après de longues querelles, Dollinger, op. cit., t. iii, p. 409 sq., 462 sq., le « synergisme » parvint à prévaloir dans la formule élaborée à Bergen, mais fut éliminé ou du moins adouci dans la rédaction de Torgau. La célèbre Fornmle de concorde édulcorait les formules de Luther : quod D. Lutherus scripsit hominis voluntatem in conversione pure passive se habere, id recle et dexlre est accipiendum. Formula concordiæ, Epitome, c. ii, § 9, dans J. Miiller, Die symbolischen Biicher der evangelisch-lutherischen Kirche, 10^ édit., Gutersloh, 1907, p. 526. Elle enseignait qu’avec le mépris de la parole ou de l'Église l’homme ne pouvait espérer de miséricorde, ncque misericordiam apud Deum consequi potest. Ibid., Dcclarulio, c. ii, n. 57, Mûller, p. 602. Elle expliquait en ce sens cette inertie du pécheur, « comme d’une souche ou d’une pierre, » que le réformateur avait enseignée, ibid., n. 59, reconnaissait une certaine collaboration de la volonté, sous l’action sanctifiante de l’Esprit, n. 63 sq., p. 603 sq., et quelque nécessité des œuvres, comme fruits de son influence, n. 65, p. 604.

2. Théorie de V inamissibililé de la justificcdion. — Engagé dans cette voie de réaction, le luthéranisme ne pouvait tolérer la doctrine préchée par Calvin, col. 1791, et par Th. de Bèzc, Tractaliones Iheologicæ, 2^ édit., Paris, 1582, Confessio fidei, c. iv, t. i, p. 16, 17 ; De priedestinationis doctrina, t. iii, p. 435 sq. : l’inamissibilité de la justification pour les élus. Déjà la Confession d’Augsbourg avait condamné cette thèse chez les anabaptistes. Mûller, op. cit., p. 41. Les discussions soulevées par l’enseignement de Zanchi amenèrent la Formule de concorde à renouveler la proscription. Part. II, c. iii, n. 64, Mûller, op. cit., p. 624 ; cf. Dollinger, t. iii, p. 535 sq. Par ailleurs, au sein du Ciilvinisme lui-même, la pratique corrigeait heureusement l’outrance des principes. Ainsi, dans les deux confessions, se rétablissait peu à peu l’union entre la religiosité et la moralité, si gravement compromise par les théories maîtresses des initiateurs.

3. Théorie du témoignage de l’Esprit.

Les mêmes

appréhensions qui avaient soulevé contre les anabaptistes tant de colères portaient les deux Églises à préciser leurs dogmes : remède à quelques égards pire que le mal, puisqu’on ne se mettait d’accord sur l’obligation de croire et son étendue, qu’au prix de transactions doctrinales qui faisaient saigner les consciences. Le libre examen recevait une atteinte plus grave

DICT. DE TIIÉOL. CATIIOL.

encore, quand on substituait pour les laïques, au contact direct avec la parole de Dieu, l'étude assidue des catéchismes de Luther : quodeos quasi laicorum biblica esse ccnseamus (Inicnbibel), in quibus omnia illa brcvilcr comprehenduntur, quic in sacra Scriptura fusius traclantur et quorum cognitio… ad œlernam salutem est necess(u-ia. Formula concordiæ, præf., § '.', Mûller, op. cit., p. 518.

La théorie du témoignage de l’Esprit pour la distinction des Écritures canoniques, après un moment de faveur qui la fit agréer des luthériens, en vint rapidement, même parmi les calvinistes, à perdre en crédit. Cf. J. Pannier, Le témoignage du Saint-Esprit, Paris, 1893, p. 139 sq. Le ministre du Moulin ira jusqu'à écrire : « Afin que nul ne nous attribue ce que nous ne croyons pas, nous ne disons pas que tous ceux qui sont de nostre Eglise sentent ceste efficace de la parole de Dieu : mais seulement que Dieu la donne à qui il veut… Quant à ceux qui ont receu de Dieu plus de grâces, jamais ne se vantent d’inspirations ni de révélation, et ne se disent point juges des doutes de la foy, ni du sens de l’Escriture, comme calomnieusement on leur impose… Faut aussi remarquer que ce que nous disons de ce mouvement intérieur n’est pas pour exclure l’entremise des pasteurs, desquels Dieu se sert ordinairement pour l’instruction des ignorans. » Juge des controverses, p. 292, dans J. Pannier, op. cit., p. 151. Jurieu et Claude, selon la thèse des articles fondamentaux, ne défendent plus l'évidence de l'Écriture que dans les « choses essentielles » et Jurieu avoue : « Nous avons la voye de l’authorité de direction de l'Église, et c’est une grande ayde à trouver la vérité… les simples sont conduits par les sçavants, les disciples par les docteurs. » Le vray système de l'Église et la véritable analyse de la foy, 1. III, c. ii, p. 450, d’après J. Pannier, op. cit., p. 166. Breꝟ. 1a maîtrise de l’homme, ou peu s’en faut, se substitue à la « maîtrise de l’Esprit » .

Toutefois ce recul théorique ne pouvait arrêter la maturation pratique des principes au fond des cœurs. L’intransigeance des orthodoxies de chaque Église était devenue d’autant plus rigoureuse que ses adhérents étaient moins nombreux, ses juges sans appel, ses articles, après élimination des éléments adventices, tenus pour plus nécessaires, et qu’au lieu et place d’une autorité spirituelle qui veillât à leur conservation, le prince temporel « de qui était la terre » surveillait leur évolution. Dans de telles conditions, la vie affective ne se trouvait pas moins menacée que par le « scolasticisme » . Comment éviter, dès lors, que le sentiment ne prît un jour sa revanche et ne tentât de faire valoir à son profit les principes libérateurs qui restaient comme lettre morte dans la dogmatique des premiers maîtres"?

D’autre part, il est malaisé de ne pas reconnaître le tort fait aux droits de l’intelligence, soit par les assertions de Calvin et de Luther, cf. A.Baudrillart, L’jÉ'ff/ive catholique, la renaissance, le protestantisme, 10e édit., Paris, 1908, c. ix, p. 357 sq., soit par la multiplication troublante des confessions, des églises et des sectes, soit par le concessionnisme au prix duquel s'établissaient provisoirement les « formules de concorde » . Si l’on observe de plus que la critique va revendiquer ses droits, soit par réaction contre le caractère miraculeux des Livres saints, indûment majoré au début de la Réforme, soit par suite du progrès des sciences archéologiques, philologiques et historiques, on comprendra mieux la tentation des écoles protestantes de justifier l’individualisme doctrinal et de débouter toutes les attaques de la science en établissant la foi hors des prises de la dialectique et de l'érudition, dans un domaine à part, celui de l'émotion religieuse et de la mystique.

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