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EVE


liberté morale, prise par riuinianil.é, dans le mythe psychologique du passage de l'état d’innocence à l'état de la connaissance du bien et du mal ; il donne la solution du problème de l’origine du mal moral et du péché. Le premier homme et la première femme n'étaient pas des enfants, inconscients de la liberté morale. Ils étaient adultes, intelligents ; ils avaient reçu de Dieu un précepte à observer. Le péché s’est introduit dans le monde malgré Dieu, à l’instigation d’un esprit méchant, qui a séduit la femme, et celle-ci a entraîné l’homme dans sa prévarication. Le récit biblique, réfractaire au mythe philosophique, est-il un récit historique ou une allégorie ?

2. Ce n’est pas une allégorie pure.

Philon a expliqué allégoriquement plusieurs détails du récit de la chute dans la Genèse. Il reconnaît, dans le premier péché, un péché de la chair et il voit dans le serpent la volupté. De mundi opificio, dans Opéra, Paris, 1640, p. 35 ; 36. Ailleurs, il voit dans Eve le vo-jç sans ses puissances, le vo-j ; privé de sa vertu et dominé par le plaisir sensible. Legis allegoriarum, p. 70-73 ; De cherabim, p. 117. Clément d’Alexandrie voit aussi, dans le serpent, une allégorie de la volupté. Cohortalio ad génies, c. xi, P. G., t. viii, col. 228. Répondant aux ricanements de Celse, qui tenait le récit de la tentation pour une fable, pour des niaiseries de vieille femme, Origène observe que ce païen refuse de remarquer que le paradis terrestre, et ce qui le suit dans la Genèse, peuvent très convenablement s’expliquer en allégorie, et il renvoie pour cette explication à son commentaire, qui est malheiireusement perdu. Contra Celsum, 1. IV, P. G., t. xi, col. 1090. Il y a lieu de se demander si ces allégoristes alexandrins remplaçaient le sens littéral par l’allégorie ou lui superposaient seulement une explication allégorique. Saint Augustin cependant semble les viser, quand il s'élève contre ceux qui veulent entendre le paradis terrestre spiritualiler iantum. De Genesi ad litteram, 1. VIII, c. I, n. 1. P. L., t. xxxiv, col. 371 ; De civitate Dei, 1. XIII, c. XXI, P. L., t. xLi, col. 394.

Tous les Pères de l'Église et tous les commentateurs catholiques ont toujours regardé ce récit comme le récit d’un fait historique. L’auteur lui-même raconte une histoire, qu’il croit vraie ; il ne compose pas un tableau psychologique de la lutte du bien et du mal dans l’humanité ; il rapporte une histoire, qu’il tient de la tradition de ses pères et qui met en scène le premier couple humain, leur tentation par le serpent, leur désobéissance à Dieu avec sa punition et ses fâcheuses conséquences. Il n’a donc eu en vue aucune allégorie. Du reste, toute interprétation purement allégorique ruinerait le dogme du péché originel, que le concile de Trente a établi sur le fondement du récit génésiaque de la chute de nos premiers parents. Sess. V, can. 1, Denzinger-Bannwart, n. 788. Pour un catholique, ce récit doit donc, nécessairement, être entendu comme une histoire vraie. Reste seulement à discuter si cette histoire doit être prise strictement à la lettre dans tous ses détails, ou s’il n’est pas permis de l’entendre comme une histoire dont quelques traits peuvent être symboliques ou métaphoriques.

3. C’est une histoire vraie, dont quelques traits sont, sinon symboliques, du moins mélaplioriqucs. — Tandis que beaucoup d’exégètes catholiques expliquent le récit biblique selon toute la rigueur de la lettre, quelques-uns, tout en maintenant la vérité du fond, ont entendu métaphoriquement différents détails de la narration, les uns plus, les autres moins. Théoriquement, saint Augustin se rangeait lui-même au nombre de ces derniers. De Genesi ad litteram, I. VIII, c. i, n. 1, P. L., t. xxxiv, col. 371 ; De Genesi contra manichieos, 1. II, c. XII, n. 17, ibid., col. 205-206 ; en fait, il était très réaliste, et il entendait souvent à la lettre des

passages au sujet desquels il s'était demandé s’il fallait les expliquer proprie an figuralc.

Le cardinal Cajctan, qu’on range généralement parmi les tenants de l’allégorie, rentre réellement dans la catégorie des commentateurs qui expliquent métaphoriquement quelques traits du récit biblique. A ses yeux, le serpent notamment ne désigne pas, dans ce récit, un animal matériel de l’espèce des serpents ; c’est ime métaphore qui désigne directement le diable lui-même et non sous l’apparence corporelle du serpent. Les qualités énoncées, Gen., iii, 1, sont fausses, si on les applique au serpent ; elles ne sont vraies que du diable. Ce n’est pas le serpent qui parle à la femme ; c’est un être intelligent, et il n’y a pas parité avec l'ânesse de Balaam. La punition divine atteint le diable, et non le serpent. Du reste, le diable n’a pas parlé à Eve et n’a pas prononcé de sons ; il a agi sur la femme par suggestion, comme lorsqu’il a tenté le Christ, et tout le dialogue avec Eve doit s’entendre de la suggestion. Il a excité son amour de la liberté. Il lui a suggéré de désobéir au précepte de Dieu ; il lui a suggéré qu’en mangeant du fruit défendu elle ne mourrait pas, mais qu’elle connaîtrait comme Dieu le bien et le mal. Sous la suggestion diabolique, Eve a regardé le fruit, l’a cueilli, l’a mangé et en a donné à manger à Adam. La venue de Dieu au jardin ainsi que le discours par lequel il inflige aux coupables les punitions qu’ils ont méritées par leur faute, sont des réalités. Commentarii illustres, Paris, 1539,

p. XXVIII-XXXII. I

Les explications de Cajetan ont été souvent discutées et généralement rejetées. Les uns ont soutenu contre lui que le serpent était un animal réel du genre des serpents, que le démon avait possédé réellement comme il devait plus tard posséder les démoniaques et qu’il avait fait parler et agir. Quelques-uns, par excès de réalisme, ont même prétendu qu’avant la malédiction divine le serpent avait quatre pieds. Plus généralement, les exégètes et les théologiens catholiques ont pensé seulement que le démon s'était montré à Eve sous les apparences réelles et sensibles du serpent, qu’il lui avait parlé dans un langage articulé et que sa tentation avait ainsi été extérieure et non une suggestion intérieure, comme le prétendait Cajetan. C’est le sentiment de Suarez, De opère sex dierum, L IV, c. I, n. '2-12, dans Opéra, Paris, 1856, t. iii, p. 325-329. Tout en se ralliant à l’opinion commune, dom Calmet, au début de son commentaire du c. m de la Genèse, fait cette juste remarque : « La manière dont Moïse raconte cette histoire de la chute de nos premiers pères est tout à fait remarquable. Il se sert d’expressions figurées et énigmatiqucs, et il cache sous une espèce de parabole le récit d’une chose très réelle et d’une histoire la plus sérieuse et la plus importante qui fût jamais. » Commentaire littéral, 2 « édil., Paris, 1724, t. i, p. 34.

Le P. Lagrange a vu dans le récit tout à la fois une histoire et un symbole, il a cherché à déterminer quels en sont les éléments substantiels et les formes symboliques. La substance de l’enseignement de la Genèse correspond exactement, selon lui, au dogme catholique de la chute originelle. Il a fait ressortir aussi le caractère populaire des expressions de la narration et ses anthropomorphismes, que personne ne nie. Allant plus loin, il a vu dans le serpent non pas l’instrument du diable, mais seulement son représentant. Il n’admet pas une apparence de serpent, il regarde le serpent comme le symbole d’un être mauvais qu’il représentait, < le symbole de celui qui attaque à la sourdine et dont on triomphe en lui marchant sur la tête. » Les tuniques de peau seraient aussi le symbole du vêtement, que Dieu veut et qu’il procure à l’homme même, après sa chute. Enfin, le glaive