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EVE


d’Adam du limon de la terre, ad 2°"'. Voir 1. 1, col. 369. Toutefois, les expressions : « former du limon de la terre » , « bâtir une côte en femme » sont anthropomorphiques, et il ne faudrait pas les prendre trop à la lettre et se représenter Dieu comme un potier façonnant un vase d’argile, ou comme un chirurgien extrayant une côte et la manipulant en femme. Sa touteliuissance suffisait à cette double formation, sans c}ue nous ayons ; imaginer comment elle a agi.

Le récit biblique décrit seulement la formation du corps de la première femme ; il ne parle pas, comme il l’avait fait pour l’homme, Gen., ii, 7, de la création de son âme. Il n’y a pas lieu de douter que Dieu, en formant le corps de la femme ex costa viri, n’ait créé son âme et n’ait animé cet os vivant qu’il bâtissait en femme. Le terme de son action créatrice était une femme complète, donc animée d’une âme, une femme semblable à l’homme, donc vivifiée, comme lui, par le souffle de vie, ou l'âme subsistante. Voir t. i, col. 971. La femme ainsi créée, Dieu l’amène à Adam, éveillé, et remplissant le rôle de pai-anymphe, il la lui présente comme son épouse. A la vue de la compagne que Dieu lui donne, le futur père du genre humain, mû par l’inspiration divine, déclare le concile de Trente, sess. XXIV, Doc/nna de sacramento matrimonn, De’azhgerBannwart, n. 969, reconnaît, pour cette fois, en elle l’os de ses os et la chair de sa chair. Au défilé des animaux, il n’avait pas vu un être semblable à lui ; cette fois, il en aperçoit un, qui est tiré de lui, I Cor., xi, 8, qui est de sa substance, sans être né de lui et sans être sa fille. S. Thomas, Sum. IheoL, I^", q. xcii, a. 2, ad 3°°'. Aussi, lui qui avait donné aux animaux un nom conforme à leur nature et à l’usage qu’il pouvait en faire, nomme-t-il ce nouvel être d’un nom qui rappelle à la fois son origine et sa nature. « Elle s’appellera 'isMh, dit-il, parce qu’elle a été tirée de Vis, » faisant ainsi un jeu de mots, intraduisible en notre langue. Il lui donne son nom avec une tenninaison féminine. Le verset 24, que le concile de Trente met dans sa Ijouche, sans en faire toutefois une déclaration absolument formelle, pourrait n'être qu’une remarque de l’auteur de la Genèse. Notre-Seigneur l’a cité seulement comme une parole divine, pour en tirer une conclusion sur l’unité ou l’indissolubilité du mariage. Rlatth., XIX, 4-6. Si cette parole a été dite par Adam, elle exprimait prophétiquement sur ses lèvres les lois des mariages futurs.

Le récit sacré ajoute une indication sur l’une des conditions de l’existence du premier couple humain : « Ils étaient nus tous deux, et ils ne rougissaient pas l’un de l’autre. » Gen., ii, 25. Vêtus seulement de leur innocence, ils n’avaient pas besoin de vêtements pour se préserver du chaud et du froid, et s’ils n'éprouvaient pas la concupiscence, pas plus que des enfants encore innocents, ils n'étaient pourtant pas des enfants, incapables de pudeur ; ils étaient adultes, voir t. i, col. 370, mais dans leur état d’innocence, leur chair était entièrement soumise à l’esprit.

Sur les autres conditions de l'état dans lequel le premier homme et la première femme ont été créés et sur leur élévation à l’ordre surnaturel, voir t. i, col. 370-375.

En interprétant le second récit biblique de la création, nous l’avons constamment considéré comme un récit historique et nous l’avons généralement expliqué au sens littéral. Ce caractère historique est cependant décidément rejeté par les rationalistes contemporains, qui n’y voient qu’un mythe. Ce récit est l’explication mythique, non pas du mariage idéal, mais de l’amour et de l’union des sexes. L’homme et la femme sont attirés l’im vers l’autre et l’amour sexuel a pour but de reformer leur unité première. H. Gunkel, Genesis, 2'^ édit., . Gœttingue, 1902, p. 10-11. Mais ce mythe

ne se trouve pas ailleurs, sinon dans le Banquet de Platon, oîi il est lié à la question des androgynes primitifs. Ce rapprochement justifierait plutôt l’interprétation de F. Lenormant, Les origines de l’hisloire, t. i, p. 52-57. Mais ni l’auteur de ce récit, ni Moïse qui l’insère dans la Genèse, n’admettent que le premier homme ait été androgync. L’auteur du récit et Moïse après lui entendent bien rapporter un fait, ils ne veulent pas expliquer l’attrait sexuel. Ils énoncent ce fait que la femme a été créée, après l’homme, comme sa compagne et son auxiliaire. Si l'œuvre commune de la génération des enfants a été envisagée par Dieu dans la création de la femme, elle n’est pas au premier plan. Il s’agit de toute la vie conjugale, dont les lois sont tracées. L’homme aimera sa femme comme une partie de lui-même et la femme s’attachera à lui comme à son appui naturel, comme au chef dont elle dépend. Le récit biblique est plus, toutefois, qu’une allégorie, signifiant métaphoriquement les relations morales et sociales des deux sexes, comme le dit M. Driver, The book of Genesis, Londres, 1904, p. 4243, 56. C’est plus qu’un symbole.

Cependant, pour répondre aux sarcasmes de Celse, Origène avait déclaré que le récit de la création de la femme ne pouvait être entendu que comme une allégorie, dont il n’indique pas pourtant la nature, sinon en la comparant à l’interprétation allégorique du récit de la chute, donnée parles Juifs d’Alexandrie et quelques chrétiens. Contra Celsum, 1. IV, n. 38, P. G., t. XI, col. 1087. Ailleurs, toutefois, Origène a fait une profession explicite de foi à la vérité historique de ce fait : « Celui qui croit en Dieu et qui admet ses dogmes comme vrais, croit à la formation d’Adam, le premier homme ; il croit aussi que Dieu a pris une côte à Adam et en a construit Eve pour être la femme d’Adam. " Passage d’un commentaire d’Origène sur l'Épître à Philémon, cité par saint Pamphile. Apologia pro Origène, P. G., t. xvii, col. 591-592. Tout en écartant l’interprétation allégorique, le cardinal Cajetan a pensé que le texte et le contexte exigeaient le rejet de l’interprétation strictement littérale et historique, et il les a entendus dans un sens métaphorique, qui est fondé sur l’opinion d’Aristote que la femme est vir lœsiis, qui montre toutefois son infériorité relativement à l’homme, non quant au sexe, mais dans toute la vie morale, Commentarii illustres, Paris, 1539, p, xxxiv-xxxvi. Les arguments de Cajetan sont sans valeur, et s’il était besoin encore de les réfuter, il suffirait de recourir à la réfutation directe de Suarez. De opère sex dierum, 1. III, c. ii, n. 6-24, Opéra, Paris, 1856, t. iii, p. 178-184. Aujourd’hui, on ne peut discuter que le principe de Cajetan : Est-il nécessaire, est-il légitime de recourir à la métaphore pour expliquer le récit de la création de la femme ? S’il est exagéré de faire, avec Alphonse de Castroet Pratéolus, une hérésie de l’interprétation de Cajetan, on peut penser avec Suarez, loc. cit., n. 3, p. 177, que, le récit de la Genèse étant un récit historique, il ne faudrait recourir à la métaphore que si c'était nécessaire ou si c'était admis par l'Église. Or aucune de ces conditions ne s’impose.

Le P. de Hummelauer déclare que le sens parabolique, proposé par Cajetan, a été justement rejeté par tous les exégètes catholiques. Il se demande toutefois si le fait de l’ablation d’une de ses côtes, qu’Adam a contemplé en vision durant son sommeil extatique, se serait réellement produit, ou bien ne se serait passé qu’en vision. Il lui paraît que le texte biblique n’oblige pas à soutenir que Dieu a réellement enlevé une côte à Adam, sinon en vision. La parole de saint Paul, I Cor., xi, 8, dit seulement que la femme vient de l’homme sans dire comment. L’ablation de la côte d’Adam en vision seulement peut donc être sou-