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EUTYCIIÈS ET EUT YCHI ANISME


une inimitié personnelle contre cet liomme et non contre son inipiété. Comme si nous l’avions condamné pour laisser sa doctrine se répandre ! » Ibid.

Les choses en étaient là, quand, le 8 novembre 448, Flavien convoqua en synode permanent (aùvoSo ; Èvor, iJOjTa) les évoques qui se trouvaient alors présents à Constantinople pour examiner un différend entre le métropolitain de Sardes, Florentin, et deux de ses sufïragants, Jean et Cossinius. L’aflaire fut vite expédiée, mais voici qu’au moment où les évêques allaient se séparer, l’un d’entre eux, Eusèbe de Dorylée, celui-là même qui, vingt ans auparavant, alors qu’il était encore laïque, avait le premier élevé la voix contre l’adversaire du tliéolocos, remit à Flavien un mémoire contre Eutychès et en réclama la lecture. Ce fut un coup de théâtre, qui surprit tout le monde et consterna Flavien. Celui-ci autorisa cependant la lecture de l’acte d’accusation. Le favori de Chrysaphe y était accusé de s’écarter de l’orthodoxie et d’avoir du mépris pour des Pères dont la foi était reconnue irréprodiable. Eusèbe était du nombre de ces derniers ; il réclamait qu’on fît comparaître l’archimandrite devant le concile et se déclarait prêt à le convaincre d’erreur. Mansi, op. cit., t. vi, col. 651654. Voir plus haut, col. 1534-1535.

L’évêque de Dorylée avait eu, en efl’et, des entretiens avec Eutychès en présence de plusieurs témoins. Jusque-là il avait été son ami. N’avaient-ils pas combattu ensemble l’hérésie de Nestorius ? Mais, au cours de ces conférences, Eusèbe s’aperçut que l’archimandrite professait sur le mystère de l’incarnation une doctrine erronée. Il essaya, mais en vain, de le ramener à l’orthodo.xie. Mansi, ibid., col. 655.’iCf. Le livre d’IIéraclidc, p. 296-298, où Nestorius met aux prises dans un dialogue Eusèbe et Eutychès. Eusèbe faisait passer l’intérêt de la foi avant toute autre considération. Le timide Flavien eut beau lui conseiller de ne pas pousser plus loin l’accusation portée contre Eutychès et de tenter de nouvelles démarches auprès de lui pour lui faire abandonner ses erreurs. L’évêque de Dorylée s’y refusa et fit valoir le danger de perversion que l’enseignement de l’arcliimandrite faisait courir à plusieurs. Flavien et son concile furent obligés de s’exécuter. On députa vers Eutychès le prêtre Jean et le diacre André pour lui donner lecture du mémoire d’Eusèbe et l’inviter à comparaître devant le concile. Mansi, ibid., col. 655.

Arracher le vieux moine à son couvent ne fut pas ^ chose aisée. A la première délégation qui lui fut envoyée, il répondit qu’il avait fait vœu de réclusion perpétuelle dans son monastère et qu’il ne pouvait en sortir. Il donna en même temps sur sa foi des explications fort compromettantes dont il sera parlé plus loin et s’exprima d’une manière assez leste sur l’autorité des Pères « à qui il faut préférer les saintes Écritures. » Mansi, ibid., col. 697-700. Le concile décida de lui adresser une seconde monition par l’intermédiaire des deux prêtres Mamas et Théoplaile. Cette fois, l’archimandrite prétexta avec son vœu une maladie qui paraissait bien être d’ordre diplomatique. II voulut remettre aux délégués une lettre que ceux-ci refusèrent. Mansi, col. 703-711. Une troisième assignation libellée par écrit lui fut remise par les prêtres Memnon et Épiphane et le diacre Germain. On l’invitait à se rendre au concile le mercredi 17 novembre. Le mardi, 16 novembre, se tint la IV" session. Des délégués d’Eutychès y parurent et mirent de nouveau en avant l’impossibilité où se trouvait l’inculpé d’obéir au concile pour cause de maladie. Le lendemain, Memnon, Épiphane et Germain apportèrent une réponse semblable. Mansi, col. 711-718. Plein de condescendance, Flavien accorda à l’archimandrite un nouveau délai jusqu’au 22 novembre.

Le vieillard retors qu’était Eutychès savait utiliser ces atermoiements. Il envoyait des émissaires dans les monastères de la capitale pour tâcher de les gagner à sa cause. Mansi, ibid., col. 706-707, 719-7’24. Il parut enfin au concile, le 22 novembre, escorté d’un grand nombre de moines, de soldats et de fonctionnaires. Chrysaphe n’avait pas oublié son parrain en ces circonstances diOiciles. Le silentiaire Magnus vint, en qualité d’ambassadeur de l’empereur, lire une lettre de celui-ci par laquelle le patrice Florent était désigné comme devant assister aux séances où il serait question de la foi. Mansi, col. 730-734. La session commença par la lecture des actes des sessions précédentes. Aux questions cjui lui furent posées sur l’union des deux natures dans le Christ, Eutycliès fit des réponses contradictoires, qui témoignent bien de son peu d’instruction et de son esprit borné. Il refusa obstinément de confesser sans détours l’existence de deux natures dans le Christ après l’union et de reconnaître que Jésus-Christ nous est consubstantiel par sa nature humaine. Mansi, ibid., col. 746-754. Flavien finit par prononcer contre lui la sentence suivante, que signèrent les évêques présents et vingt-trois archimandrites : ’Eutychès, jadis prêtre et archimandrite, est pleinement convaincu et par les actes des précédentes sessions et par ses déclarations présentes d’être imbu de l’erreur de Valentin et d’Apollinaire, et de suivre obstinément leurs blasphèmes. Il a méprisé nos admonestations et nos enseignements et a rejeté la saine doctrine. C’est pourquoi, pleurant et gémissant sur sa perte totale, nous déclarons, de la part de Jésus-Christ, qu’il a blaphémé, qu’il est privé de toute dignité sacerdotale, de notre communion et du gouvernement de son monastère. Tous ceux qui désormais étant avertis lui parleront ou le fréquenteront seront eux-mêmes soumis à l’exconnnunication. » Mansi, ibid., col. 748.

Le coup était rude non seulement pour Eutychès, mais pour Chrysaphe, Dioscore et toute la cabale monophysite. Flavien pouvait s’attendre à de terribles représailles. La sentence qu’il venait de porter fit l’elïet d’une déclaration de guerre entre les deux partis monopliysite et dyopbysite. De part et d’autre, on se prépara à la lutte. Au cours de la discussion, Eutychès avait dit à propos des deux natures : « Si mes pères de Rome et d’Alexandrie me l’ordonnent, je suis prêt à les afFirmer. » Mansi, col. 820. A la fin de la séance, alors que les évêques quittaient déjà la salle où ils étaient assemblés, le condamné fit connaître au patrice Florent son intention d’en appeler de la sentence de Flavien à celle des synodes de Rome, d’Alexandrie, de Jérusalem et de Thessalonique. Averti par le patrice de cette intention, Flavien ne pouvait y voir un appel en forme. Aussi n’en fit-on pas mention dans le procès-verbal. Mansi, col. 818. L’appel au pape saint Léon et à plusieurs autres évêques de sièges importants, notamment à Pierre Chrysologue de Ravenne, fut d’ailleurs envoyé sans retard par l’archimandrite déposé, avec le mémoire d’Eusèbe contre lui, sa propre réponse, qu’on n’avait pas voulu entendre, sa profession de foi et enfin un recueil de textes des Pères sur les deux natures. Eutychès, Epist., xxi, ad S. Leonem papam, P. L., t. liv, col. 713 ; cf. Epist., xxv. Pétri Chnjsologi ad Eulychen, P. L., ibid., col. 739.

La lettre au pape Léon était habilement rédigée. Le pape y était salué du titre de défenseur de la religion. Le récit des faits manquait d’impartialité. Sur la question doctrinale Eutychès laissait à peine deviner sa position. II disait entre autres choses qu’il n’avait pu anathématiser les adversaires des deux natures, car Athanase, Grégoire, Jules, Félix avaient rejeté l’expression « deux natures » .