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EUSÈBE DE NICOMEDIE


rattachent, sans prononcer le nom d’Athanase et d’Arius. C’est le triomphe de la réticence et de la circonlocution. » Mgr Duchesne, Hist. anc. de l'Église, t. II, p. 191. Eiisèbe de Nicomédie, lui, n'écrivait pas ; il ne travaillait pas pour la postérité, mais pour ses intérêts immédiats ; la mort de Constantin le privait d’un puissant protecteur, ou plutôt d’un docile instrument de ses rancunes : il y avait donc lieu de le remplacer, en manœuvrant habilement. Or, après la tragédie sanglante qui suivit la mort du grand empereur, l’empire d’Orient échut en partage au jeune Constance, à peine âgé de vingt ans. C’est lui qu’il s’agissait de circonvenir et d’accaparer. Les eusébiens n’y manquèrent pas ; tout ce qui avait une inlluence à la cour à un titre quelconque, les dames de qualité, les ofRciers et les favoris, fut mis à contribution pour maintenir, sous le nouveau règne, la situation acquise, la développer et la rendre prépondérante. Sozomène, H. E., III, 1, P. G., t. Lxvii, col. 1034. Naturellement leur chef, Eusèbe de Nicomédie, ne fut pas des derniers. Il s’arrangea et fit si bien qu’il devint un évêque de cour des plus écoutés. Il fut notamment chargé de l'éducation des deux enfants de la famille impériale, Gallus et Julien, qui avaient échappé au massacre ; et il n’est nullement téméraire de croire qu’il ne fit pas du futur apostat un modèle de parfaite orthodoxie. Mais les soins qu’il consacra à ses nouveaux élèves ne l’empêchèrent pas de poursuivre la satisfaction de ses rancunes intimes et de ses avantages personnels.

IV. Dernières années de sa vie.

1° // se fait nommer évêque de Constanlinople. — La cour demeurant désormais à Constantinople, c’est à Constantinople que devait séjourner l'évêque de Nicomédie. N’en étant pas à une translation près, Eusèbe avait jeté son dévolu sur le siège de la capitale. Celui-ci était occupé par Paul. Il n’y avait donc qu'à saisir le premier prétexte venu, et au besoin à le faire naître, pour rendre le siège vacant. Un synode complaisant, composé d’eusébiens dévoués, s’employa à cette besogne. Il déposa simplement l'évêque Paul, que l’empereur Constance s’empressa d’expédier en exil. Historia arianorum, 7, P. G., t. xxv, col. 702. Et Eusèbe de Nicomédie fut mis à sa place à la fin de l’année 338 ou au commencement de 339 ; quant au siège de Nicomédie. on le rendit àAmphion, à celui qui avait déjà remplacé Eusèbe pendant son exil.

Il reprend sa lutte contre saint Athanase.

 Décidément Eusèbe entendait être le maître de tous dans

l'Église orientale. Seul, le patriarche d’Alexandrie portait ombrage à son ambition. Or, Athanase était rentré d’exil le 23 novembre 337. Eusèbe « ne pouvait souffrir, dit Mgr Duchesne, Hist. anc. de l' Église, t. ii, p. 196, qu’on lui arrachât sa vengeance ni que l’on prît ses aises avec les sentences du concile de Tyr. » Il suscita donc des difficultés à l'évêque d’Alexandrie et lui fit donner pour compétiteur un homme de son parti, l’arien Pistus, ancien prêtre de la Maréotide, jadis déposé avec Arius, qui trouva dans l’ancien évêque de Ptolémaïs, également déposé, un prélat consécrateur. S. Athanase, Apol. cont. arian., 19, 24, P. G., t. xxv, col. 280, 288. En même temps il députa au pape Jules un prêtre et deux diacres pour lui notifier les décisions du concile de Tyr et montrer qu’Athanase, régulièrement déposé, n’avait plus le droit d'être évêque d’Alexandrie. Socrate, H. E., ii, 3, P. G., t. Lxvii, col. 190.

Mais tout ne marchait pas à souhait dans la capitale de l’Egypte. Pendant que les mandataires de l'évêque intrus, Pistus, cherchaient à le faire reconnaître par l'évêque de Rome, d’autres émissaires s'étaient présentés au pape au nom d’Athanase, porteurs d’une relation écrite qui montrait les événements sous un jour bien différent. En attendant,

Eusèbe et les siens, réunis en synode à Antioche auprès de l’empereur Constance, en janvier ou février 339, cf. Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. 688, 694 ; Gwatkin, Sludies, op. cit., p. 116, n. 1, reconnurent l’impossibilité de soutenir leur collègue improvisé, Pistus, et résolurent de lui donner un remplaçant de leur bord, moins compromis et plus apte à seconder leurs desseins. Sur le refus d' Eusèbe d'Édesse, ils fixèrent leur choix sur Grégoire de Cappadoce, sans s’occuper le moins du monde des règles canoniques, qui voulaient qu’un évêque fût élu par son peuple et son clergé, et installé par les évêques de son ressort métropolitain ; ils comptaient surtout sur l’intervention civile du préfet d’Egypte, Philagrius, un ami de l’ancien évêque de Nicomédie. Philagrius, en effet, vers le milieu du mois de mars 339, annonça officiellement qu’Alexandrie avait un nouvel évêque. L’intronisation de l’intrus Grégoire ne se fit pas sans peine ; il y eut un soulèvement où l’on compta des morts et des blessés. S. Athanase, Epist. licort., Clironicon syriacum, P. G., t. XXVI, col. 1353 ; voir t. i, col. 1808 sq., 2147 sq. Athanase dut céder à la force, mais il protesta énergiquement dans une lettre encyclique à l'épiscopat du monde entier, où il raconta les abominables excès auxquels donna lieu une pareille intrusion. Epist. encycl., P. G., t. xxv, col. 221 sq. « Voilà, y disait-il entre autres choses, la comédie que joue Eusèbe 1 Voilà l’intrigue qu’il tramait depuis longtemps, qu’il a fait aboutir, grâce aux calomnies dont il assiège l’empereur. Mais cela ne lui suffit pas ; il lui faut ma tête ; il cherche à effrayer mes amis par des mesures d’exil et de mort. Ce n’est pas une raison pour me plier devant l’iniquité ; au contraire, il faut me défendre et protester contre les monstruosités dont je suis victime. » Saint Athanase ne se trompait pas : il avait vu et il dénonce l’auteur responsable de ces méfaits, le personnage ecclésiastique le plus influent d’alors, Eusèbe de Nicomédie. Ayant réussi à tromper la surveillance dont il était l’objet, il quitte l’Egypte et se rend à Rome, où il arrive peu après Pâques.

Dans le but d’en finir au sujet des récriminations dont les eusébiens accablaient Athanase, le pape Jules envoya des légats pour inviter ces eusébiens à venir discuter contradictoirement devant un concile ; mais ils déclinèrent l’invitation pour divers prétextes et remirent aux légats une lettre, polie dans la forme, mais insolente quant au fond, et signée notamment par Eusèbe, où ils protestaient contre l’idée de faire reviser en Occident des décisions arrêtées conciliairement en Orient. Nonobstant ce refus, Jules tint un concile à Rome et reconnut, à la fin de l’année 340, qu’Athanase, Marcel d’Ancyre et d’autres étaient innocents et victimes de procédés inqualifiables. Il notifia sa sentence aux évêques grecs ; l’adresse de sa lettre mentionne en particulier Eusèbe. Apol. cont. arian., 21-25, P. G., t. xxv, col. 281 sq. Si le pape, était-il dit notamment, a convoqué les Orientaux, c’est sur la demande de leurs envoyés ; il l’aurait fait du reste, de lui-même, car il était naturel de donner suite à la plainte d'évêques qui se disaient injustement déposés. Quant à reviser le jugement d’un concile, ce n’est point chose inouïe, attendu que les Orientaux eux-mêmes, en recevant Arius et les siens, n’avaient pas agi autrement à l'égard du concile de Nicée. D’après les pièces du concile de Tyr, communiquées par les Orientaux eux-mêmes, il juge arbitraire et anticanonique la déposition d’Athanase et blâme l’affaire de l’intrus Grégoire.

L'épiscopat oriental, réuni en 341 à Antioche au concile de la dédicace, in encœniis, répondit à Jules. Sa lettre, inspirée sinon rédigée par Eusèbe, en tout cas signée par lui et les principaux membres de l’as.