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EUNOMIUS


cette pauvre catégorie de l’idée de Dieu, c’est une chose de peu d’importance, et même vulgaire, que de connaître parfaitement un pareil Dieu. » Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. i, p. 888, 892.

Le cardinal Franzelin, Z)eDeo uno, Rome, 1883, th. x, n. 1, p. 129, précise d’une façon aggravante, quand il place la dernière racine de l’erreur eunomienne dans l’idée que les docteurs de la secte se seraient faite de Dieu, comme l'être universel et abstrait qui tombe le premier sous notre conception et reste à la base de toutes nos connaissances ultérieures. De là un rapprochement entre l’eunomianisme et l’ontologisme : des deux côtés on affirme une connaissance propre et une intuition immédiate de Dieu, par opposition à la connaissance abstraite et analogique que des idées puisées ailleurs peuvent fournir. Le docte cardinal appuie son interprétation sur un passage de saint Épiphane, Hær., Lxxvi, P. G., t. xui, col. 633, où ce Père dit d’Aétius, en réfutant son 36" argument : 'KaavTâo6/)…o-Jx ÈTtl T(o EÎoÉvai tôv 0£bv xai-à Ttc(TTiv, iXXà çûuei y.aTa eïor|( ; iv…, toç Èàv yviûnjY.-rj tu ; Ttàv ôpaTÔv -/al X^P'""' aj-oj ' ! />- ;) a ?(ij|x£vov. Aétius s’attribuait donc, par rapport à Dieu, une connaissance non de foi, mais de science, semblable à celle qu’on a des objets vus des yeux ou touchés de la main.

Tous n’ont pas acquiescé à ce jugement, entre autres le P. J.-M. Piccirelli, S. J., De Deo uno et trino, Naples, 1902, p. 335. Aux conclusions du cardinal Franzelin, cet auteur oppose l’interprétation très différente de Petau, De Deo Deique proprietatibus, 1. VII, c. I, n. 4-6. II observe que, dans les fragments conservés d’Aétius et d’Eunomius, on ne trouve rien qui prouve cette confusion entre l'être infini et l'être universel ou qui atteste l’intention de fonder notre connaissance de Dieu sur la seule raison ; le contraire ressort plutôt de l’appel aux saintes lettres, fréquent chez les deux hérésiarques. Leur prétention à connaître pleinement Dieu s’explique par leur doctrine sur le terme y.-(vrrr, To ;, nom propre, c’est-à-dire parfaitement expressif de la nature divine.

La question est plus complexe qu’elle ne le paraît au premier abord, car la conception et la terminologie d’Eunomius dilîèrent notablement de la conception et de la terminologie scolastique dont s’inspirent la plupart des auteurs cités. L’hérésiarque a vraiment prétendu posséder une connaissance de Dieu distincte de la connaissance abstraite et analogique que, suivant l’opinion commune, la raison et la foi nous fournissent ici-bas. Cette connaissance, atteignant ou représentant l’objet dans sa nature propre, peut, sous ce rapport, s’appeler intuitiue. Mais rien n’autorise à supposer qu’elle emportait, dans la théorie anoméenne, une vue directe de l'Être divin ; cette supposition paraît même diamétralement opposée à la thèse fondamentale d’Eunomius sur l’origine des noms substantifs et vraiment objectifs ; on verra, en effet, plus loin qu’il déclarait notre esprit absolument impuissant à trouver de lui-même ces noms, et qu’il avait recours, pour les expliquer, à une action ou révélation primitive de Dieu.

Le texte cité de saint Épiphane ne tranche pas la <Iuestioii. Les mots, cp j<jjt y.arà eiooTiv, ne signifient pas nécessairement une vue naturelle et directe ; ils signifient plutôt, suivant la remarque de Petau, loc. cit., n. 4, une connaissance réelle ou propre. D’ailleurs, il faudrait prouver que l'évêque de Salamine rapporte les paroles mêmes d’Aétius ; en réalité, il interprète la doctrine de l’hérétique d’après ses conséquences : Aétius prétend connaître Dieu comme il se connaît soi-même, ou connue nous connaissons les choses que nous voyons et que nous touchons ; c’est donc qu’il s’attribue, par rapport à Dieu, une véritable science ou connaissance intime et propre, et non pas

une simple connaissance de foi. Conclusion légitime, mais qui ne nous renseigne pas sur la manière dont Aétius lui-même expliquait cette connaissance dans ses relations avec le sujet connaissant et l’objet connu.

Comme les néoplatoniciens de son temps, Eunomius nous présente Dieu d’une façon abstraite, soit qu’il l’envisage dans sa simplicité transcendante et exclusive de toute distinction même virtuelle, soit qu’il l’envisage comme l'Être, to ov. Apolog., n. 17, col. 852 ; S. Grégoire de Nysse, Contra Eunom., 1. X, col. 852 sq. Mais il ne va pas jusqu'à le confondre avec l'Être universel. Il nie qu’il y ait rien de commun entre l’essence suprême et les essences inférieures, même celle du Fils ; et, c’est précisément sous la raison d'être qu’il oppose Dieu à tout ce qui n’est pas Dieu, 1. X, col. 841. S’il emploie le terme t"o ô'v, il connaît aussi celui dont Dieu s’est servi, Exod., iii, 14 : 6 (ov, Celui qui est, 1. XI, col. 869. Ailleurs, il nous montre Dieu comme le plus éminent des biens et de tous le meilleur, ib Ttâvxtov tio-/ûiTa.To^/ i, - ; ci.fl6'/, xa’i uâvrwv xpâr ; c7Tov, 1. IX, col. 801 ; seul bon, 1. XI, col. 856 ; infiniment infini, à.TivjT-qz6 ; Io-tiv kxsU-jrr^xMc, 1. XII, col. 1089. Pour lui, ràYevvY)(Tta comprend la divinité, la puissance, l’incorruptibilité et tout le reste, I. XII, col. 929. Enfin, il ne rejette pas absolument les perfections positives que la sainte Écriture attribue à Dieu, par exemple, celles de lumière, de vie, de puissance, etc. ; il les ramène seulement à sa propre conception par l’adjonction de son épithète favorite : lumière ineréée, vie incréée, puissance incréée, etc. Apolog., n. 19, col. 854.

Où donc chercher la confusion d’Eunomius, si confusion il y eut ? Non pas précisément entre l'être divin et l'être en général, mais entre l’essence divine considérée physiquement et considérée d’une manière abstraite, ce qui a donné lieu, chez les philosophes scolastiques, à l’expression d’essence métaphysique.

Prise physiquement, l’essence divine dit tout ce que Dieu est réellement, car rien d’accidentel ne iicut exister en Dieu ; mais ceci n’empêche pas qu’on ne puisse concevoir une notion première qui soit comme caractéristique de la divinité et transcendante par rapport aux autres notions, en tant que toutes découlent pour ainsi dire logiquement de cette première et en même temps la renferment. Que Vàf^wr^'yloi. puisse s’a|)peler l’essence divine, en ce sens abstrait et métaphysiqu., c’est ce que disent équivalemnient tous ceux qui font de Vaséité le constitutif formel de cette essence. Mais il ne suit nullement de là que l'àyîvv^TT.a OU l’aséité constitue, en fait, l’essence divine indépendannnent des autres attributs, et il ne s’ensuit pas davantage que l’aséité nous donne l’idée proiu’e et adéquate de cette essence ; car, telle que nous la possédons ici-bas, cette notion n’est pas moins abstraite et analogique que nos autres notions sur Dieu. Saint Basile sait fort bien que Dieu s’est appelé Celui qui est, ô d)v ; mais il se refuse à voir dans cette notion l’expression propre et adéquate de la nature divine ; il la tient seulement pour une dénomination que Dieu s’est attribuée en propre et qui convient, en efl’et, à son essentielle éternité. Saint Grégoire de Nysse ne reconnaît pas davantage dans cette notion un nom propre, au sens d’Eunomius, mais bien un nom spécialement caractéristique de la divinité et exprimant l’existence essenlielle de l'Être suprême avec tout ce qui l’accompagne, éternité, infinité, immutabilité, etc. Voir Dieu (.S' « nature d’après les Pères), t. IV, col. 1086, 1088.

La confusion entre l’essence divine, prise physiquement ou objectivement, et cette même essence, envisagée sous un aspect abstrait et métaphysique, est un facteur dont il faut tenir compte pour expliquer la