Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée
1413
1414
DISCERNEMENT DES ESPRITS


portées à entreprendre des choses qui paraissent excellentes, mais sont fort insolites. Devant les impuissances du discernement acquis, Dieu apporte parfois le secours du discernement uifus.

2° Il en est parlé dans ce texte de saint Paul, I Cor., xii, 4-11, que nous avons rapporté au début de cet article. Il existait donc du temps des apôtres, on dut même alors en voir de fréquentes manifestations. 11 n’était pas ignoré dans l’Ancien Testament et saint Jérôme nous assure qu’il y avait, chez le peuple juif, un ordre sacerdotal établi pour discerner les prophètes « des faux prophètes, c’est-à-dire pour reconnaître ceux quel’Esprit de Dieu faisait parler et ceux qui avaient un esprit tout opposé. » In Isaiam, 1. II, c. iii, P. L., t. xxiv, col. 62. Il n’est pas douteux que, dans le cours des siècles qui se sont écoulés depuis que saint Paul nous a révélé l’existence de ce charisme, le don du discernement des esprits fut accordé à bien des saints. Les uns, à l’exemple du Sauveur qui voyait les pensées secrètes de ses disciples, Matth., ix, 47, ou des Pharisiens, vi, 8, savaient dire à leurs interlocuteurs les idées conçues par leur esprit ou les mouvements dont leur cœur était agité ; les autres découvraient à des pénitents trop muets des fautes oubliées ou cachées par eux ; d’autres avaient sous forme de parfums ou autrement la perception de l’état de grâce ou de péché dans lequel se trouvaient les hommes. On pourrait emplir des colonnes du récit de ces faits de discernement miraculeux. Cf. Scaramelli, qui en cite quelques exemples, n. 28, p. 47 ; voir aussi n. 20, p. 31.

3° D’après ce qui vient d’être dit, on voit que l’ac<e du discernement est double : l’un rare et qui appartient moins proprement à ce don et plus proprement au don de prophète, consiste à connaître les secrets des cœurs. Cf. S. Thomas, Sum. theul., I « IIe, q. cxi, a. 4. L’autre plus fréquent et qui est proprement le discernement des esprits, consiste, les secrets des cœurs étant connus normalement ou miraculeusement, à discerner par un juste jugement de quel principe bon ou mauvais ils procèdent. Le premier acte découvre donc Yexistence des mouvements de l’une ; le second dévoile leur source et c’est ceci qui est à vrai dire du discernement. Ce second acle est comme un instinct et une lumière particulière, qui s’exerce sous forme de suavité et de goût, quand il a pour objet de discerner la source divine des mouvements personnels. Quand, au contraire, il s’agit de voir chez les autres, voici comment saint Jean de la Croix décrit les procédés de ce don divin : « Il faut savoir que ceux qui ont ainsi dégagé leur esprit de toute impureté, obtiennent plus facilement la connaissance des secrets du cœur, des sentiments cachés, de tout l’intérieur des autres, de leurs inclinations et de leurs talents, et il les connaissent ordinairement par des signes extérieurs quoique fort légers ; par exemple, une parole, un tour d’œil, un mouvement de tête ou quelque autre geste sera capable de les faire pénétrer dans le fond de l’âme. En effet, comme le démon peut connaître de cette sorte notre intérieur parce qu’il est tout esprit, de même l’homme spirituel y peut avoir accès par ces moyens, puisque selon le langage de l’Apôtre : F homme spirituel juge de toutes choses et que l’esprit divin sonde ce qu’il y a de plus caché, juqu’aux plus profonds secrets de Dieu. Il est vrai que ces signes extérieurs ne peuvent les conduire naturellement â la connaissance des pensées et de tout l’intérieur des hommes, mais ils le peuvent surnaturellement pâlies lumières que les spirituels reçoivent d’en haut en cette occasion. » Montée du Carmel, 1. ii, c. xxvii, trad. Maillard, Paris, p. 327.

4 » Cet instinct surnaturel, basé sur des signes extérieurs aussi naturellement disproportionnés, est une sorte de divination qui ne confère aucune infail libilité formelle. Le don de discernement ne jouit d’une telle infaillibilité que s’il se produit par une révélation expresse de Dieu manifestant au prophète, d’une façon précise, les secrets d’une âme. On peut dire de ce don, ce que saint Thomas enseigne de la prophétie : celle-ci, dit-il, est parfaite, c’est-à-dire par révélation expresse, ou imparfaite, c’est-à-dire par un instinct très mystérieux. La première porte avec elle la certitude, la seconde a moins d’assurance, non pas qu’elle puisse se tromper, mais elle est telle qu’on ne sait pas d’une façon évidente qu’elle vient de Dieu. Mens prophetæ dupliciler a Deo instruitur, uno modo per expressam revelationem, alio modo per quemdam instinctum occultissinvum « quem nescientes humanae mentes patiuntur » ut Augustinus dicit (Sup. Gen. ad litt., 1. II, c. xvii, vers. tin.). De his ergo quse expresse per spirilum prophetiæ proplteta cognoscit, maximam certitudinem habet et pro certo habet quod hœc sunt divinitus sibi revelata… Sed ad ea quai cognoscit per instinctum aliquando sic se habet ut non plene dis-Cernere possit utrum hœc cogitaverit aliquo divino instinctu, vel per spiritum proprium. Sum. theol., IL’II*, q. clxxi, a. 5. Toutes les fois que le don de discernement éclaire un homme, il l’éclairé infailliblement et les choses qu’il inspire sont toujours et matériellement vraies ; mais il manque la certitude ou infaillibilité formelle quand celui que Dieu inspire et qui est ainsi nécessairement dans le vrai, ignore qu’il est inspiré de Dieu et doute ainsi (subjectivement de choses objectivement certaines. Cf. Suarez, De gratia, part. I, proleg. III, c. v, n. 43, Paris, 1857, t. vii, p. 164 ; S. Bernard, Serm., xvii, super Cautic, P. L., t. CLXXXin, col. 855.

5° Le discernement infus est parfois un phénomène de lecture de la pensée. Il se fait par une faculté ou un acte transitoire d’origine surnaturelle et ne peut par conséquent être confondu avec les faits naturels, étudiés dans ces derniers temps, sous le nom de « transmission de la pensée » , de « suggestion mentale » ou de « perspicacité télépalhique » . Ces derniers faits sont parfois de la lecture de la pensée avec contact, comme dans le cumberlandisme. Dans ces cas, la transmission de la pensée de l’un à l’autre est facilement explicable et ne peut se confondre avec le discernement infus qui s’opère à distance. D’autres fois, si l’on en croit certains auteurs, on arriverait à connaître naturellement, sans contact et à distance, la pensée d’autrui. N’y aurait-il pas là une objection efficace contre la théorie théologique du discernement infus et du caractère surnaturel du charisme affirmé par saint Paul ? Cf. Ochorowicz, De la suggestion mentale, avec une préface de Ch. Riche t, Paris, 1887 ; Géraud-Bonnet, Transmission de la pensée, Paris, 1906 ; D r Paul Joire, Revue de l’hypnotisme, 1897, 1898 ; lloirac, La psychologie inconnue, Paris, 1908, etc. A ce sujet, le D’Grasset, L’occultisme hier et aujourd’hui, c. xi, Paris-Montpellier, 1907, p. 357, n’hésite pas à écrire de tous les expérimentateurs : « Je ne crois pas qu’aucun ait linalement réussi. » Les faits sont donc pour le moins douteux. A supposer qu’on démontre un jour la réalité de quelques-uns, ils se produiraient sûrement par quelques agents naturels, par quelque conductibilité magnétique, cf. Boirac, op. cit., c. xx, p. 307 sq., ou autre, qui, découverte par la science, permettra de les distinguer des faits surnaturels et produits par la grâce divine, comme on arrive à distinguer la guérison naturelle de la rage par la méthode Pasleur, de la guérison miraculeuse par l’intercession de saint Hubert. Enfin la lecture de la pensée dont s’occupe l’occultisme ne porte que sur la découverte de l’existence de pensées cachées et non sur la source naturelle, ou supranaturelle divine ou diabolique ;