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DISCERNEMENT DES ESPRITS


directeur : « Choisir des frères est une matière plus digne de réflexion que tous les accidents de ce monde, parce que les frères selon la vérité sont des aides dans les choses de ce inonde et de l’autre. Ils sont plus précieux que la pierre philosophale ; quand vous en avez trouvé un, attachez-vous-y ; qu’il soit comme la prunelle de voire œil. Les frères selon la pureté et la sincérité sont le secours contre l’ennemi, la parure de la vie, l’appui dans les soullrances… L’un des plus grands bonheurs est encore de rencontrer un maître droit, connaisseur des réalités des choses, croyant à l’autre vie et qui vous guide vers elle. Ce maître devient le père de votre âme, la cause de sa croissance, la cause de sa vie. Comme votre père vous a donné la forme corporelle, ce maître vous donne la forme spirituelle ; il nourrit votre âme de science et de connaissance, et il la mène dans le chemin des demeures éternelles. « Carra de Vaux, ibid., p. 193-194. Comment le directeur dirigera-t-il, sinon par le discernement des esprits ou des mouvements de l’âme ?

Enfin les mystiques arabes se demandent « quel est le but de la retraite ? Suhrawerdi le définit comme le ferait un directeur chrétien. Certains religieux, remarque-t-il, embrassent la solitude dans de mauvaises conditions ; ils ont entendu dire que les cheikhs et les soulis avaient dans leurs retraites des révélations en lesquelles ils entrevoyaient des secrets et des merveilles ; c’est pour chercher cela qu’ils sont entrés dans la solitude ; mais ils se trompent. Le véritable ascète ne choisit la vie solitaire que pour le bien de la religion, l’avancement de son âme et la pratique de la dévotion ; celui qui recherche la solitude doit être libre de toute pensée autre que celle de Dieu, dégagé de toute préoccupation personnelle ; autrement sa retraite n’aboutit qu’à la révolte et à la tentation ; ce solitaire qui n’a point de bonnes dispositions, croit être dans un état meilleur que celui des autres hommes ; en réalité, il est rempli d’erreurs et d’illusions folles. Il croit que tout le but de la piété est le souvenir de Dieu ; et il oublie la soumission à sa loi et à ses prophètes. » Ici encore il y a un réel discernement entre le véritable ascétisme qui ne cherche que « le bien de la religion, l’avancement de l’âme et la pratique de la religion » et le faux ascétisme qui aspire à des « révélations », est « rempli d’illusions folles » et « aboutit à la révolte et à la tentation. »

X. Étude psychologique.

Nous avons rapporté jusqu’ici les témoignages rendus au cours des siècles en faveur du discernement des esprits, et qui en constituent la théologie positive, nous abordons maintenant la mise au point de la question et nous allons donner les conclusions de la doctrine, à l’heure actuelle. Que faut-il entendre par esprit, par ces esprits dont il s’agit de faire le discernement ? Ils sont trinitéel unité en même temps. Ils sont trois, si on considère les points de départ ; mais linalement ils se fondent ou se rejoignent en un phénomène d’une seule nature psychologique. Dans son sermon De discrelionc spirituum (ou De septem spiritibus), P. L., t. ci.xxxiii, col. tîOO, saint ISernard réduit à six le nombre des esprits qui mènent l’homme dans ses opérations : l’esprit divin, l’esprit angélique, l’esprit diabolique, l’esprit charnel, l’esprit du monde et l’esprit humain. Mais il est facile de voir que les anges étant les instruments de Dieu et n’agissant que d’après ses inspirations, on doit ranger sous une même dénomination l’esprit divin et l’esprit angélique. En outre, on comprend que l’esprit du monde et l’esprit charnel ne sont que des formes de l’esprit diabolique. Il reste donc l’esprit divin, l’esprit diabolique, l’esprit humain. — Nous avons dit qu’on pouvait sous un certain aspect les réduire à l’unité. En effet, par esprit il faut entendre proprement i< une impulsion, un mouvement

ou une inclination intérieure de notre âme vers quelque chose qui, quant à l’entendement, est vrai ou faux, et, quant à la volonté, est bon ou mauvais. » Scaramelli, op. cit., c. I, p. 8. L’homme a des inclinations, des orientations de sa volonté et de ses appétits ; psychologiquement, elles ont toutes la même nature : ce sont ces motions qui partent de la liberté et commandent une opération. Originairement, elles partent ou de la spontanéité de l’homme ou d’une excitation spéciale venant de Dieu ou du démon. Le discernement des esprits consistera donc à démêler, dans ces motions de la volonté, les différents principes et à dire celles qui ont été provoquées directement ou indirectement, médiatementou immédiatement, par Dieu, ou par l’esprit mauvais, et celles qui ont jailli du jeu ordinaire des puissances humaines.

liien que le nom d’esprit soit attribué aux motions volontaires actuelles considérées dan s leur rapport avec leur origine, cependant il convient plus spécialement aux dispositions ordinaires, aux pentes, aux habitudes qui se trahissent le plus souvent dans ces motions. Dans le premier cas, on dit qu’wn acte obéit à tel esprit, et dans le second cas, qu’une personne a tel esprit, et c’est cette dernière acception qui est la plus fréquente, et la plus importante en spiritualité. Elle dépasse l’autre de toute la distance qui sépare les habitudes des actes, les vertus ou les vices de leurs manifestations transitoires. « Ainsi, si quelqu’un est porté à mentir, nous disons qu’il a l’esprit de mensonge ; s’il est porté intérieurement à mortifier son corps, nous disons qu’il a l’esprit de pénitence ; s’il est incliné à s’élever au-dessus des autres, nous disons qu’il a l’esprit d’orgueil ; s’il est dominé par une certaine envie de paraître bon, beau, spirituel, aux yeux du public, nous disons qu’il a l’esprit de vanité ou de vaine gloire. » Scaramelli, ibid.

Il importe, dans cette question des mouvements de l’âme, de distinguer trois moments : nos décisions de volonté par lesquelles nous choisissons une voie plutôt qu’une autre, sont en eiret précédées de phénomènes agis ou subis dans lesquels les motifs se pressent pour fléchir la volonté à leur profit, et suivies de mouvements corrélatifs aux choix faits : paix ou trouble, joie ou tristesse, consolation ou désolation, vertu ou vice, etc. En d’autres termes, il y a les mouvements antécédents, les mouvements constitutifs de l’élection, les mouvements subséquents.

Les seconds ne sont pas, à proprement parler, objet de discernement, pour la raison bien simple qu’ils sont toujours humains, c’est l’homme seul qui choisit ou qui se décide ; l’élection est essentiellement un acte vital et donc immanent. Ni Dieu, ni à plus forte raison le démon ne peuvent se substituer à la volonté pour produire à sa place un acte libre. Il n’y a donc pas lieu de se demander ici qui a décidé ceci ou cela ; la volonté libre seule a décidé et s’est prononcée. — Cependant lorsqu’il s’agit de choix surnaturels, la grâce et, en elle, Dieu intervient, mais pour coopérer avec le libre arbitre, non pour le supprimer et le remplacer.

Le discernement n’a pas non plus, du moins d’une façon principale, à porter sur les mouvements subséquents. Etant lesetfets normaux de l’élection décidée par l’homme, ils doivent donc, ainsi que leur cause, être considérés comme essentiellement d’ordre humain. Mais s’ils sont humains par nature, ils peuvent, par signification, servir au discernement. Dieu ou le démon n’agissent, en effet, sur l’homme qu’en vue d’une fin bonne ou mauvaise, c’est-à-dire en vue des résultats. Ces résultats sont la raison de leurintervention. Quand ils sont salutaires, ils découvrent la main de Dieu ; détestables, ils dénoncent Satan. Le discernement ne cherche donc pas s’ils ont Dieu ou le dé-