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DISCERNEMENT DES ESPRITS


la cause efficiente est l’esprit mauvais ou leur esprit propre doublé d’imposture ; pour les vrais prophètes l’inspirateur est Dieu qui leur parle directement ou par le moyen des bons anges. Pour ceux-là, la cause finale est leur cupidité personnelle ou le désir qu’a le démon de décevoir le genre humain ; pour ceux-ci, le but est toujours le bien et la vertu. La cause formelle de la prophétie pour les seconds est l’infaillibilité de la prescience divine ; pour les premiers, c’est la science conjecturale du démon ; d’où il suit que ceux-ci ont pour matière ou cause matérielle de leurs prophéties un mélange de vrai et de faux ou le faux pur, et ceuxlà le vrai seul sans aucune ombre de faux ou d’erreur. Or, observe Pierre d’Ailly, sur tous ces points il est impossible d’arriver à l’évidence dans la distinction entre les causes de vraies prophéties et les causes de fausses prophéties. De plus, ce qui est très grave sous la plume de ce théologien et ce qui ne peut être admis, de plus, dit-il, « s’il était possible de réaliser l’évidence sur le caractère des vraies et des fausses prophéties, il s’ensuivrait que la foi ou la loi du Christ pourrait être prouvée évidemment, ce qui est faux. On voit la conséquence : comme les saints prophètes ont prédit la loi du Christ et sa vérité, s’il pouvait être évident que ce sont de vrais prophètes, il serait par là même évident que la loi du Christ est vraie, » p. 577, 578. Aujourd’hui Pierre d’Ailly ne pourrait plus écrire de telles choses sous peine de se mettre en désaccord avec cette proposition imposée à la signature de l’abbé Bautain, qui dut, le 20 avril 18li, promettre « de ne jamais enseigner que la religion ne puisse acquérir une vraie et pleine certitude des motifs de crédibilité, c’est-à-dire de ces motifs qui rendent la révélation divine évidemment croyable, tels que sont spécialement les miracles et les prophéties, et particulièrement la résurrection de Jésus-Christ. » Voir Bautain, t. il, col. 483. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1(527, note.

2° Pierre d’Ailly enseigne ensuite que, s’il s’agit de connaître seulement avec probabilité (il oppose ici la « probabilité » à « l’évidence », ce qui montre bien que par évidence, il entendait la certitude ; les faux prophètes, et si l’on se contente de vraisemblance dans la distinction des vrais et des faux prophètes, on peut trouver dans la sainte Ecriture un art ou une doctrine suffisante. D se base, pour établir cette conclusion, sur la distinction rapportée plus haut des quatre causes des prophéties, et sur ce qu’il compte dire plus loin et qu’il n’a pas dit, relativement aux vrais et aux faux miracles. Ad probabililer cognoscendum falsos prop /ietas et ad verisimiliter distinguendum veras et falsas prophetias, ars seu dovtrina sufficiens tradita est per Scripturas sacras, p. 578.

3° Enfin, Pierre d’Ailly dit que, pour connaître les faux prophètes, et discerner entre les vraies et fis fausses prophéties, la raison n’a pas encore établi d’art évident (et certain) et a seulement constitué une doctrine probable et conjecturale, probabililer ad cognoscendum falsos propltelas et distinguendum inter veras et falsas prophetias ralionabiliter, non est ars evidens tradita, sed solum doctrina probabilis et conjecturativa, p. 578. Et il revient sur la raison erronée déjà alléguée plus haut ; l’évidence, dit-il, fait s’évanouir la foi et le mérite de celle-ci, au contraire, grandit avec les efforts de la recherche conjecturale et probable, ut scilicet /ides non evacuetur per evidentiam cognitionis, sed utmerilum fidei augeatur per exercitium inquisitionis conjectura : probabilis. Ibid. Il oublie de distinguer entre l’évidence interne des vérités de foi et l’évidence de leur crédibilité. La première n’est pas nécessaire, la seconde est indispensable et confère la certitude aux vérités de foi.

Cette doctrine de Pierre d’Ailly touche un aspect particulier de la théorie du discernement des esprits.

Jusqu’ici on s’était occupé de dire quelles sont les règles de ce discernement, le cardinal de Cambrai cherche à déterminer la valeur logique et le degré de certitude de ces règles.

VIL D’après Gerson. — Le chancelierGerson apporte une importante contribution au problème du discernement par plusieurs de ses traités ou sermons, en particulier par ses traités, De examinatione doclrinarum, Opéra, Anvers, 1706, t. i, p. 7-19 ; De probalione spiritituni, Opéra, t. i, p. 38-13 ; De distinctione verarum visionum a falsis, Opéra, 1. 1, p. 43-59.

Après avoir reconnu que l’homme peut être le jouet d’illusions et croire qu’il est favorisé de révélations divines quand il est seulement victime de manifestations de l’esprit mauvais, transformé pour la circonstance en ange de lumière ; après avoir conclu la nécessité de règles pour discerner les phénomènes d’ordre diabolique des faits d’ordre divin, Gerson observe qu’il est impossible à l’homme d’établir des règles générales certaines et de constituer l’art spirituel qui permettrait de distinguer d’une manière infaillible les fausses révélations de celles qui sont vraies. La raison est tirée aussi d’une erreur théologique. Il pense, à la suite de Pierre d’Ailly, que si l’on possédait un moyen évident et certain de s’assurer du caractère vrai ou faux des révélations, c’en serait fail de la foi. Il oublie de distinguer entre l’évidence de la crédibilité d’une révélation et l’évidence de son contenu, qui sciret évidentes aliquid esse a Deo vel ejus angelo revelatum, sciret profeclo aliter quam per solum (idem illud esse verum, p. 44. Il est donc, conclut-il, impossible d’établir un critérium rigoureux. Et pourtant, rien ne serait plus opportun. Le monde est sur son déclin, l’Antéchrist approche et les imaginations malsaines, les illusions dangereuses pullulent. In hue hora novissima in prnecursione Anlicliristi, mundus tanquam senex delirus phanlasias plures et illusiones soniniis similes » « ii habel, p. 44. Il faut considérer la révélation comme une monnaie. De même qu’il y a la monnaie authentique et la fausse monnaie, ainsi, il y a de vraies et de fausses révélations qui se reconnaîtront par la présence ou l’absence des caractères de la vraie monnaie. Or, celle-ci doit avoir cinq qualités : le poids légal, la malléabilité, la solidité qui la rend durable, l’effigie, la couleur. Dans les révélations, le poids est donne’1 par l’humilité ; la malléabilité par le discernement et la prudence ; la solidité parla patience ; l’effigie par la charité ; la couleur par la charité, p. 45. Tout le traité De distinctione verarum revelationum a falsis est consacré à l’examen de ces cinq caractères. Les deux autres œuvres, citées plus haut, de Gerson examinent la question d’une fæon plus logique et plus complète. Dans son De examinatione doctrinaram, Gerson rappelle d’abord les vers mnémotechniques suivants, qui seront tout le canevas de sa doctrine :

Concilium, papa, pr.rsul, doctor b<’ » e dodus, Discretur quoque spirituum de dogmate censent. Qualis sit doctrina, docens finis, quique sodales, Si finis sit fastus, quwstusque, sive libido.

En premier lieu donc, il examine quels sont ceux qui ont autorité pour discerner les doctrines. Et par le discernement des doctrines ou par sa méthode on arrive au discernement des esprits. Il distingue plusieurs modes : le mode authentique ou officiel, le mode doctrinal, le mode expérimental, enfin celui qui procède d’un charisme spécial. Le concile général est l’autorité supérieure qui, à titre officiel, authentique et définitif, peut juger des esprits et des doctrines. Après le concile ou avec lui — on reconnaît ici la vieille erreur de la primauté du concile général par rapport au pape — le souverain pontife examine juridiquement et aulhentiquement esprits, doctrines et révéla-