Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée
1385
1386
DISCERNEMENT DES ESPRITS


se coloribus, adhæret sonis, infundit se saporibus. Liber lxxxiii quæstionum, q. xii, P. L., t. xl, col. 14. L’action du démon n’est cependant pas universelle, et il y a des fautes commises par l’homme et la concupiscence, sans autre intervention du diable que son influence lointaine et originelle dans la faute de nos premiers parents. Il y a donc lieu à discerner les fautes qui viennent de l’homme, des fautes suggérées au pécheur par le démon. Suni. theol., II a 11*, q. lxxx, a. 1-4.

2° Une des manifestations les plus graves du démon se produit par les faux prophètes. Saint Thomas nous met en garde contre elle par ses questions sur la prophétie, IIa-IIæ, q. clxxi-clxxiv, plus particulièrement ixxxiv, a. 3 ad 4um ; clxxii, a. 5, ad 3um ; a. 5, ad 2um. De son enseignement nous pouvons déduire les signes suivants auxquels se reconnaissent les prophètes conduits ou inspirés par l’esprit mauvais. 1. Les organes du démon apparaissent comme esclaves, et assujettis absolument à l’action de Satan ; les vrais prophètes, au contraire, gardent la liberté de leur langage et restent maîtres de ce qu’ils taisent et de ce qu’ils disent, comme de la manière de l’exprimer. 2. Les premiers ont horreur du nom de Jésus, les seconds l’invoquent et s’en couvrent volontiers. 3. Les vrais prophètes disent vrai et leurs prophéties se réalisent ; la vérité manque aux paroles des faux prophètes et leurs prédictions ne se vérilient pas, au moins entièrement. 4. Les vrais prophètes ont une mission légitime, les faux pro phèles sont des intrus qui tirent d’eux-mêmes leurmandat. 5. Enlin ceux-là sont désintéressés et ne cherchent que le bien et le salut de leurs frères, ceux-ci sont égoïstes et cupides. Cf. Vallgornera, Mystica theologia divi Thomse, q. iii, dis. V, a. 4, Turin, 1890, p. 522.

3° Dans son commentaire suri Cor., xii ; II Cor., xi, saint Thomas traite des visions, rappelle que Satan se transfigure parfois en ange de lumière et indique les moyens par lesquels il est possible de dépister son astuce. Les vrais bons anges, dit-il, commencent par exhorter au bien et ne se départent jamais de cette attitude ; les faux bons anges, c’est-à-dire les démons, s’ils débutent par des excitations au bien, modifient bientôt leur langage et mènent rapidement au mal. Les vrais bons anges éliraient parfois par leur venue, mais leur présence devient bien vite un principe de consolation et de force ; la présence des faux bons anges ne cause que déception, trouble et tristesse ; les uns rassérènent l’âme, les autres la déconcertent et la paralysent. Cf. Vallgornera, op. cit., a. 4, p. 523 sq.

V. Selon l’Imita tion de Jésvs-Cbrist. — L’auteur de l’Imitation apporta son importante contribution au problème du discernement par lesc. liv et lv du 1.111 Au c. lv, il distingue à la suite de saint Paul, Rom., vii, 22, 23, dans la nature déchue, la loi du péché et la loi de l’esprit, la première s’opposant à la seconde. La loi de l’esprit a été mise m nous par Dieu quand il nous a créés à son image et ressemblance. La seconde est venue en nous par le péché originel et elle est en nous le principe de mouvements mauvais et de décisions coupables. « Car, depuis qu’elle est tombée par Adam le premier homme et a été corrompue par le péché, la peine de cette chute est passée dans tous les hommes, de manière que cette même nature, que vous avez créée bonne et droite, se prend maintenant pour le vice et la faiblesse de la nature corrompue, parce que les mouvements dont elle est demeurée maîtresse entraînent au mal et aux choses basses. » Nam per primum hominem Adam lajsa et vilialaper peccalum, in omnes homines pana hujus maculse descendit, ut ipsa natura, quæ bona et recta a le condila fuit, pro vilio jam et in/irmitate corruptæ naturse ponatur, eo quod motus ejus sibi relictus ad malum et inferiora

trahit, c. LV, S 2, Paris, 1870, p. 423. Les mouvements mauvais sont tellement puissants que la loi de l’esprit en est devenue à peu près impuissante et « le peu de vertu qui lui est restée n’est proprement qu’une étincelle cachée sous la cendre. » Modica vis quæ remansit est tanquam scintilla quædam latens in cinere. lbid. La raison naturelle, abandonnée à elle-même, chez qui la loi de l’esprit n’est qu’une étincelle sourde et la loi du péché un principe de mouvements tentateurs, cette raison est encore capable d’un certain discernement naturel qui théoriquement lui fait voir dans une certaine mesure le bien et le mal et vouloir le bien, mais pratiquement n’a pas la force de retenir sur la pente du mal. Hœc est ipsa ratio naturalis, circumfusa magna caligine, adhuc judicium habens boni et mali, veri falsique dislanliam, licet impotens s’il adiniplere cmne quod approbat, nec pleno jam lumine veritatis nec sanilale ajjectionum suarum potiatur.

Ce discernement naturel étant environné d’épaisses ténèbres d’une part, et imj uissant, d’autre part, à provoquer efficacement la fuite du mal et la pratique du bien, il nous faut la grâce dont l’eiîet sera double, susciter en nous les mouvements du bien, donner à notre esprit la lumière qui discernera entre les mouvements de la nature dont nous avons parlé et qui obéissent à « la loi du péché » et les mouvements de la grâce qui réveillent et surnaturalisent « la loi de l’esprit ». quant maxime est milti necessaria, Domine, tua gratia ad inchoandum bonum, ad proficiendum et ad per/iciendum. .. Ipsa fortitudo mea, ipsa consilium confert et auxilium. lbid., § 5, (i, p. 424, 426.

Le discernement surnaturel demande une attention soutenue, car les mouvements de la nature et de la grâce s-onl extrêmement contraires et si subtils que difficilement sont-ils bien connus, sinon par les personnes spirituelles et intérieurement éclairées. Fili, diligenter adverte motus naturse et gratiæ, quia valde contrarie ei subtiliter moventur, et vix, nisi a spirituali et intimo illuminato /tontine, discernuntur, c. i.iv, § 1, p. 412.

Ce qui augmente encore la difficulté, c’est que « tous les homines à la vérité cherchent le bien et ont en vue quelque chose de bien dans tout ce qu’ils disent et ce qu’ils font, aussi la fausse apparence du bien en trompe plusieurs. » lbid., >. ili. Donc il y a du bien, réel ou apparent au terme de lous les mouvements humains, qu’ils viennent de la nature ou de la grâce, et le rôle du discernement sera de distinguer, parmi les biens que la volonté choisit et poursuit, ceux qui sont vrais et ceux qui sont faux, ou plutôt ceux qui sont opportuns et ceux qui ne conviennent pas à l’humaine nature.

Après avoir ainsi montré qu’il y a un discernement naturel et un discernement surnaturel, combien celui-ci est nécessaire et difficile, le saintauteur nous denne le principe, puis les règles du discernement surnaturel.

Le principe gît dans ce fait de constatation quotidienne qu’il y a une opposition profonde entre les fins poursuivies par la nature et par la grâce. La nature se recherche elle-même et n’est jamais sincèrement désintéressée, « elle n’a jamais en vue qu’elle-même ; » la grâce « agit toujours purement pour Dieu dansqui elle trouve sa fin et son repos, » £ 2, p. 414. La nature rapporte tout à elle, elle combat et elle dispute pour elle ; la grâce rapporte tout à Dieu, de qui toutes choses viennent ; elle ne s’attribue aucun bien, §16, p. 418.

De ce principe vont découler facilement les règles du discernement. Elles se ramèneront à deux séries logiques : premièrement, la nature dans ses mouvements s’écarte de tout ce qui n’aboutit pas à elle comme fin ; deuxièmement, elle tend vers tout ce qui seconde sa finalité personnelle et égoïste. Quant aux mouvements de la grâce, ils s’écartent de la nature et vont vers