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ELECTION DES PAPES

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traça la voie à ses successeurs, et fut le modèle, auquel se conformèrent plus tard les rudes Césars allemands. 3° Troubles et schismes.

Encore, si cette mainmise de l’empereur sur les élections pontificales avait empêché les troubles et les schismes, on y aurait peutêtre vu un moindre mal. Mais il n’en fut pas toujours ainsi, même quand le choix se portait sur des hommes éminents et recommandables, comme le fut le successeur immédiat de Vigile, le pape saint Pelage ! « (556561).

Déjà, au moment de ses démêlés avec Vigile, au sujet du patriarche eutychien de Constantinopïe, Justinien qui avait connu et apprécié saint Pelage, alors archidiacre, avait proposé au clergé romain de l'élire à la place de Vigile. Ni le clergé, ni Pelage n’avaient accepté de se prêter à cette tentative schismatique. Cf. P. L., t. cxxviii, col. 578. Mais quand Vigile fut mort, Justinien reprit son projet, et voulut que Pelage fût pape. Il le fut, en effet ; mais cette protection impériale lui nuisit dans l’esprit de beaucoup, malgré ses qualités remarquables. On crut y voir une preuve qu’il avait approuvé, en quelque façon, les persécutions auxquelles Vigile avait été en butte, et qui avaient hâté sa mort. Une partie considérable du peuple, des notables et du clergé se sépara de sa communion. On ne trouva pour le sacrer que deux évêques, Juan de Pérouse et llonus de Ferentino. Les autres refusèrent tous. Cependant, la vacance avait duré plus de trois mois. A la fin, la sainteté de Pelage triompha de ces résistances, et, par l'éclat des vertus, dissipa ces injustes et odieux soupçons. Les Romains l’acclamèrent et l’acceptèrent avec joie, comme le vrai vicaire de Jésus-Christ. Mais s’il en fut ainsi à Rome, il en fut bien différemment, au loin, dans plusieurs Églises d’Italie, des Gaules, de la Grande-Bretagne et de l’Afrique. Là, Pelage était moins connu personnellement ; la sainteté de sa vie ne le défendait pas aussi bien contre les doutes que faisait naître le zèle déployé en sa faveur par les fonctionnaires impériaux, obéissant aux ordres venus de Byzance. On persistait donc à le regarder comme un intrus, imposé par Justinien, partisan d’Eutychès. Plusieurs évêques crurent de leur devoir d'écrire eh ce sens à l’empereur lui-même, et de lui dire ouvertement, avec une liberté tout apostolique, qu’ils préféraient les fers et l’exil dont on les menaçait, au schisme et à l’apostasie. Un certain nombre furent, pour ce motif, envoyés en exil, et soumis à de mauvais traitements par les officiers de l’empereur irrité, et les fidèles les vénérèrent comme des martyrs. De ce nombre furent Facundius, évéque d’Hermiane, Reparatus, métropolitain de Carthage, et Victor, évéque de Tunnunum. Cf. Facundus d’Hermiane, De defensione trium capiudorum concilii chalcedonensis, ad Justinianumimperaiorem, 1. XII, P. L., t. lxvii, col. 5-27 sq. ; Victor, evèque de Tunnunum, Chronicon continuant ubi Prosper desinit, an. 555, P. L., t. lxviii, col. 960 ; Libérât de Carthage, Breviarium causse nestorianorum et eutychianorum, c. xxiv, P. L., t. lxviii, col. 969, 1050 ; S. Pelage I", Epist., i-iv, ail Narcensem patricium ; Epist., v, ad episcopos Tuscise ; Epist., ix, ad Childebertum regem, P. L., t. lxix, col. 394-398, 399, 402 sq. 4° Efforts des souverains pontifes pour recouvrer l’indépendance des élections. — Le pape dont tant d'évêques se séparaient si ostensiblement, et au risque de s’exposer aux foudres impériales, était cependant un saint. Qu’on juge par là du danger que présentait pour l’unité de l'Église la mainmise des empereurs sur les élections pontificales ! Aussi, rien d'étonnant que les vicaires de Jésus-Christ aient protesté contre cette usurpation sacrilège, et, plusieurs fois, aient essayé de la faire cesser complètement. Il fallut, cependant, plusieurs siècles, pour remporter cette victoire du droit sur l’oppression. Le premier succès n’eut lieu

que cent vingt ans après le pontificat de saint Pelage. C’est alors que le pape saint Agathon (678-681) fut assez heureux pour obtenir de l’empereur Constantin Pogonat remise de l’impôt des trois mille sous d’or sur les élections pontificales. Cf. P. L., t. cxxviii, col. 811. Mais ce ne fut là qu’un demi-triomphe : il restait toujours l’obligation de solliciter l’agrément impérial, avant la consécration du nouveau pontife et sa prise de possession de la chaire apostolique. Cette entrave ne fut enlevée que quelques années plus tard, par le même prince, à la requête du deuxième successeur de saint Agathon, saint Benoit II (684 685), que Constantin Pogonat avait en vénération singulière. Cf. P. L., t. cxxviii, col. 866. Aussi l'élection de son successeur Jean V (685-686) ne souffrit-elle aucun retard.

Grâce à l’ascendant et au mérite de saint Benoit II, l’indépendance de l'Église eût, dès lors, été assurée' sans l’ambition de quelques membres du clergé, indignes d'être comptés parmi les ministres du sanctuaire. A la mort de Jean V, des divisions profondes éclatèrent à Borne, au sujet de l'élection de son successeur. Le clergé voulut, dans la basilique de Saint-.Iean-de-Latran, élire l’archiprêtre Pierre. De son eût, ., l’armée, réunie dans l'église de Saint-Étienne in Rolundo, élut Théodore. Ce fut une source de conflits et de troubles. Enfin, après de nombreuses tentatives de conciliation, on prit le parti d'écarter les deux compétiteurs, et l’accord se fit sur le nom de Conon, vieillard d’une vie exemplaire. Pour affermir la paix et rendre plus incontestable cette élection, on commit la faute d’envoyer unedélégation à l’exarque de Bavenne, représentant de l’empereur, afin d’obtenir son adhésion à ce qui avait été' l’ait. Les inconvénients des élections populaires et les excès de la démocratie rejetaient de nouveau l’iiglise sous la dominaliondes autocrates d’Orient. Justinien II, fils de Constantin Pogonat, fut très heureux de cette occasion qui se présentait à lui, de reprendre ce que son père avait donné. Il n’eut garde de la laisser échapper, et s’arrogea le droit abusif de confirmation des élections papales. C'était là le fruit mauvais des factions populaires et de l’ambition de quelques clercs.

Ces inconvénients résultant de l'élection papale par le suffrage universel du clergé, de l’armée, des magistrats et du peuple, firent sentir davantage combien il était urgent de modifier ce mode d'élection adopté, et de le remplacer par un autre, qui. tout en sauvegardant les droits de chacun, serait, à la fois, plus paisible, plus canonique et plus régulier. Pour l'Église, en vertu de la providence spéciale qui veille à sa marche à travers les siècles, les fautes de ses enfants deviennent de salutaires leçons, et les défaites apparentes sont le prélude de victoires définitives.

Malgré cette reculade causée par les factions rivales, l'énergie des pontifes suivants atténua le mal. Ils obtinrent qu’on n’aurait plus besoin d’envoyer des légats à Constantinopïe pour solliciter le placet de l’empereur, mais qu’il suffirait de le demander aux exarques de Bavenne, ses représentants. De ce chef, les vacances du saint-siège devinrent beaucoup moins longues que précédemment. Pendant le VIIIe siècle, elles dépassèrent rarement un mois ; souvent même, elles ne furent que de huit à dix jours.

D’ailleurs, l’autorité des empereurs s’affaiblissait de plus en plus en Italie, soit à cause des défaites infligées aux armées impériales, en Orient, par les Bulgares (688), et en Afrique par les Sarrasins (689) ; soit à cause des succès croissants des Lombards en Italie. Vu l’impuissance de la cour de Constantinopïe à défendre la péninsule contre ces nouveaux envahisseurs, on s’habituait à se passer d’elle, et on craignait moins de s’exposer à son ressentiment. Bien plus, les populations se groupaient instinctivement autour du pontife romain, comme autour du centre naturel et politique