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encore élevé, eductvs, ductus extra causas, il ne répond pas à la définition de l’homme, tant que son art et sa science ne l’ont pas élevé jusqu’à Dieu. C’est là le niveau humain ; qui ne l’atteint pas n’est pas un homme. « M. Grivet conclut avec une ironie que justifie pleinement la logique : « Education neutre ou laïque, il y en aura une, mais le jour où, à un prix élevé, vous prendrez chez l’horloger une montre neutre, fabriquée en dehors de toute idée de mesure du temps ; le jour où, à la tombée de la nuit, vous placerez sur votre table une lampe neutre, qui n’aura pas été construite pour éclairer ; en attendant votre repas qui, par un dernier scrupule ou raffinement de neutralité, n’aura pas été fait pour être mangé. » Ibid., p. 471. « On ne dira jamais en termes assez clairs, que l’éducateur laïque ou neutre froisse, fausse ou défigure des êtres faits pour Dieu, comme l’horloge pour marquer l’heure, ou la lampe pour verser sa lumière. Il n’y a qu’une éducation humaine, formant l’homme à être un homme, celle qui montre à l’enfant Dieu, au point de départ, qui le lance ; Dieu, au-dessus de la vie, qui veille ; Dieu au terme, qui l’attend. » Ibid., p. 472. L’éducation neutre se condamne elle-même.

Du reste, l’expérience atteste qu’on se tient difficilement à la neutralité. L’histoire de la législation scolaire en France, depuis trente ans, n’est que l’histoire des hésitations et des contradictions entre lesquelles l’enseignement laïque oscille, sans pouvoir trouver de position ferme et logique. La loi du 28 mars 1882 établissait l’enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque, laïque signifiant alors : non confessionnel. Cependant Jules Simon s’était efforcé (séance du Sénat du 4 juillet 1881) de conserver l’enseignement de la religion naturelle, et il avait obtenu un amendement dans ce sens. La Chambre le repoussa sans débat. Ainsi fut-il décidé qu’à l’article 23 de la loi Falloux : « L’enseignement primaire comprend l’enseignement moral et religieux », on substituerait un autre texte : « L’enseignement primaire comprend l’instruction morale et civique. » Entre la pensée du Sénat et celle de la Chambre, l’enseignement primaire hésita quelque temps, les programmes maintenant le souvenir de ce Dieu que la loi proscrivait. Les rédacteurs de la Revue de l’enseignement primaire signalent, en termes d’une singulière âpreté, l’hésitation des promoteurs de l’enseignement laïque » Ceux-ci voulaient séparer l’école de l’église, mais ils n’étaient pas décidés à bannir de l’enseignement toute idée religieuse et chrétienne. C’est l’attitude que raille ce rédacteur de la Revue, lorsqu’il parle de « l’esprit des programmes que le spiritualisme et le protestantisme attachèrent à la loi laïque de 1882, comme une casserole », 8 novembre 1903, p. 64. Loi de combat contre le catholicisme, la loi de 1882 voulait être, en même temps, une loi de circonstance et de transition. Les défenseurs les plus circonspects de la neutralité scolaire doivent convenir que cette notion est « un peu subtile, sujette à controverse et à variations ». L’aveu est de M. Dessoye, président de la Ligue de l’enseignement. Revue de l’enseignement primaire, 11 avril 1909, p. 325. Aussi se lasse-t-on de inainlenir le principe de la neutralité, et de s’évertuer à trouver des explications introuvables. « L’hypocrisie de ses origines, écrit M. Jaurès, suffirait à condamner la campagne pour la neutralité scolaire. » Ibid., Il octobre 1908, p. 21. Depuis que les évêques de France invoquent le principe de la neutralité, non pas certes pour l’approuver, mais pour le montrer en contradiclion avec la teneurde l’enseignement donné’par nombre d’instituteurs, on estime délinilivement minée « la fragile théorie » de la neutralité. Ainsi parle M. Dufrenne, syndicaliste, inspecteur primaire à Clerrnont (Oise). Revue, 14 novembre 1909, p. 53. M. Buisson lutte contre un tel abandon de la formule

chère à Ferry. Mais ses explications, ses exclamations, ses distinctions, qu’il consignait déjà dans le Manuel général quillet-août 1906), et qu’il reproduit dans la Grande Revue, le 10 novembre 1909, puis à la Chambre, le 19 janvier 1910, témoignent de son embarras. Kn vain déclare-t-il que la neutralité n’est pas une chimère. Grande Revue, 10 novembre 1909, p. 27. Parlant de l’enfant, il demande : « De quel droit exigerez-vous que le père vous permette de lui inculquer des opinions historiques, religieuses, sociales, morales, contraires aux siennes ? » Puis, il faut ménager et respecter la liberté de jugement du futur citoyen. D’autre part, comment s’abstenir de prêcher les principaux dogmes de la doctrine républicaine ? M. Buisson conclut que le problème est insoluble, bien qu’il se défende de regarder la neutralité comme une chimère. Aux distinctions proposées par M. Buisson, M. Gasquet en ajoute une autre. Il ne faut pas confondre la neutralité élémentaire, toujoursobligatoire, etla neutralité rigoureuse, qui n’est ni légitime ni possible. Revue de l’enseignement primaire, 15 avril 1906, p. 263. M. Aulard ne prend pas tant de détours. « La neutralité, écrit-il, dans Le Matin du 15 septembre 1908, est une blague, un trompel’œil, un mot vide de sens. Je défie bien le plus ingénieux de nos philosophes politiques d’en formuler une définition même médiocre. » Non moins clairement M. Viviani l’appelle une « tartufferie de circonstance ». Cf. J. Maxe, Neutralité et impartialité, dans LaCroix, 30 et 31 mars, 3, 5, 7, 12, 13, 20 et 23 avril 1910. Nous ne voulions pas dire autre chose, et nous nous exprimions moins énergiqnement, lorsque nous disions que la neutralité scolaire, formule presque nécessaire d’un enseignement d’Etat, risque fort d’aboutir soit à une doctrine officielle, soit à l’incohérence, et, dans les deux cas, se contredit. Quels que soient les bienfaisants résultats d’efforts individuels, nous constatons, dans l’exemple de notre législation scolaire, la valeur et l’esprit du système.

Notre enseignement secondaire public provoque des critiques semblables, sinon égales ; c’est-à-dire que, partant, lui aussi, du principe irrationnel de la neutralité religieuse, il tend, lui aussi, en pratique, et souvent aboutit à l’hostilité. Les efforts mêmes de M. Georges Lyon, recteur de l’université de Lille, pour démontrer que la neutralité religieuse, moins stricte, d’après lui, au lycée qu’à l’école, est cependant, au lycée comme à l’école, légitime en théorie et vraiment réalisable, témoignent de la fausseté de l’une et l’autre thèse. Au père de famille catholique qui se demande comment on respectera au lycée les croyances de son fils, voici ce que répond l’auteur d’Enseignement et Religion, Paris, 1907. Bien que les membres de l’enseignement secondaire ne soient pas tenus à la neutralité que doivent observer les professeurs de l’enseignement primaire, M. Lyon promet cependant que les premiers, comme les seconds, traiteront « avec respect la pensée religieuse ». Cet engagement n’implique aucune doctrine uniforme. L’Université n’a pas de doctrine officielle. Elle possède quelque chose de mieux : une méthode, la méthode du libre examen. On apprend aux élèves à juger par eux-mêmes. Le professeur a cependant le droit et le devoir de prendre parti dans les questions historiques ou psychologiques où il s’agit de prononcer des jugements existentiels ou de relation, mais il s’abstiendra de formuler des jugements de transcendance ou de valeur sur les dogmes religieux. Il est vrai que parfois le dogme implique un fait historique, et que la dissociation est impossible. Il faut qu’il y ait accord ou conflit. Comment observer la neutralité’.’M. Lyon pense que la difficulté pourra pratiquement être éludée, ces dogmes historiques supposant des faits qu’on ne saurait nier ou affirmer avec certitude. Ainsi le professeur observera la neulralitéen