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DROIT CANONIQUE — DROUIN


l’aider dans son œuvre. Les confusions les plus regrettables régnent sur cetle matière, et souvent l’appel au droit civil qui pourrait être si utile ne fait que rendre plus obscures les questions.

Ouvrons nos anciens canonisles ou lisons une de ces décisions de la Rôle qui discutent la question en litige avec l’ampleur que chacun sait (voir Décision), nous constaterons que les textes du droit romain, les appels à la grande glose du Corpus jiiris avilis, s’y rencontrent à côté des textes canoniques parfois avec une égale abondance. En poussant plus loin notre observation, nous verrons que les canonistes demandent aux textes séculiers et des explications et des compléments. On peut résumer ainsi les rapports entre les deux législations : 1. Le droit canonique et le droit civil se prêtent mutuellement aide et assistance, comme les deux puissances dont ils émanent se le doivent en principe. Elles poursuivent des fins différentes, mais non contradictoires. La constitution Rex pacifiais qui promulgue les Décrétâtes donne au droit canonique le même but que Justinien prétend poursuivre : Honeste virere, alterum non Isedere, jus suum cuique tribuere. L’autorité civile légitime tire son autorité de Dieu. Les lois civiles sur beaucoup de points ne font que promulguer à nouveau la loi naturelle et souvent dans des termes que rien ne’peut remplacer. 2. En matière ecclésiastique, si la loi civile contredit la loi canonique, cette dernière ne reconnaît aucune valeur au droit séculier, mais quand la loi civile vient renforcer la loi canonique, cette dernière s’appuie volontiers sur elle. 3. Quand les deux droits se trouvent ainsi conformes, les canonistes citent la loi civile au même titre que la loi canonique. Les juristes anciens citaient d’ailleurs de même les canons pour renforcer leurs arguments. Ceci n’était pas une simple habitude d’école résultant du fait que l’étude des deux droits marchait autrefois de pair. La décrétale lntellexirnus, 1. V, xxxii, pose le principe d’une façon formelle : Quia vero, sicut leges nondedignantur sacras canones imita/ri, ita sacrornm slalula canonum princij )iim constilutionibus adjuvant ur, j raternilati tu ; v mandamus… negolium secundum legum et canonum statu la nondifferas lerminare Ceque laglose interprète au mot adjuvantur : Et ita in causa ecclesiastica leges possumus allegare ut etiamsi canones deficiant, jiossii secundum legeni judicari.. Donc comme il est dit au c. 3 du même titre, causa Ecclesise decidi potesi per jus civile in ilefeclti canonum. De là la conclusion de Fagnan : t’bicumejue non reperitur alii/ua dispositio jiivis civilis expresse irnmulala a jure canonico, non debemus inducere discrepantiam inter jus canonicurn et jus civile : inio lexcivilis servari débet in foro Ecclesise. Cum esses t De lestamenlis, n. 18. Par exemple, la loi canonique n’a pas fixé en détail les droits du bénéficier, elle le considère seulement comme un usufruitier. On applique à la jouissance et à l’administration du bénéfice les règles qui régissent l’usufruit dans le droit civil. 5. Cette compénélration des deux droits était tellement passée en pratique que, pour éviter les erreurs, on avait dressé la liste limitative des exceptions à la règle générale. On peut voir dans Reilfenstuel, Jus canonicurn universunt, proœmium, § 11, la liste de ces cinquante discordances.

.Mais que faut-il entendre ici par droit civil ? S’agit-il du droit romain ou des législations modernes ?

Que nos anciens canonistes aient recouru au droit romain, c’est un fait, mais cela n’engage ni le présent ni l’avenir. Les raisons que les textes nous donnent de l’emploi simultané ou supplétoire du droit civil ne sont pas propres au droit romain ; le droit moderne émane, comme au temps des anciens canonistes, de l’autorité séculière légitime. Les textes de la loi romaine sont dus pour la plupart à des jurisconsultes païens ou à des empereurs idolâtres ou hérétiques,

aussi nulle part les canons ne recommandent les lois à cause de la piété de leurs auteurs. Il est même remarquable que, dans le texte que nous avons cité sicut leges non dedignantrir, etc., et qui est de Lucius III, saint Raymond a pris soin de supprimer un mot qui aurait pu accorder un privilège aux lois du code au détriment des lois contemporaines. Il y avait dans la suite du texte : lia et sacrovum slatuta canonum PRiORUil princijium constilutionibus adjuvaiitur. Le mot souligné a pris place parmi les parles decisse. Il faut donc dire que si les anciens canonistes en appellent à la loi romaine, c’est parce qu’elle est la loi civile de leur temps. Nous pouvons raisonner de même avec nos lois civiles modernes. Si elles se trouvent en opposition avec la loi naturelle ou canonique, sur ce point là elles ne lient pas en conscience. Si elles sont en conformité avec la loi canonique, on ne voit pas pourquoi on ne s’appuierait pas sur les lois de Napoléon, puisque nos anciens appelaient à leur secours à l’occasion les constitutions de Dioclétien. Si la loi canonique a besoin d’être suppléée, on ne voit pas pourquoi on irait demander à la loi romaine de déterminer quels sont, par exemple, les droits de l’usufruitier, alors que le pouvoir romain n’est plus qu’un souvenir et que le Code civil régit la matière d’une façon tout aussi rationnelle, bien qu’un peu différente, par exemple, en ce qui concerne les mines ou carrières.

Cependant il est deux points où le recours au droit romain s’impose à l’exclusion des prescriptions du droit civil. Mais ce ne sont pas des exceptions à proprement parler. Il est des textes du droit romain qui ont été insérés dans les collections canoniques, ils sont devenus de véritables canons et restent tels. De plus, les canonistes du moyen âge étaient en même temps romanistes, les deux langages juridiques n’en faisaient qu’un, en sorte que, pour comprendre le sens que nos anciens attachaient à telle expression, il faudra voir souvent ce que les juristes de l’époque entendaient par là ; c’est une règle élémentaire de l’exégèse des textes qui nous amène à cetle conclusion. Mais qui ne voit que ceci n’est pas un appel au droit romain ? Ce serait certainement une faute lourde de recourir aux découvertes modernes des romanistes pour déterminer le sens exact des textes du Corpus juris civilis invoqués par nos anciens. Ils les invoquent dans le sens qu’on leur attribuait à leur époque et qui pouvait être fort différent de la pensée de Tribonien : c’est leur pensée qu’il faut chercher et non celle des premiers auteurs.

Nous devons renoncer à donner une bibliographie de la science canonique. Qu’il nous suffise d’indiquer les ouvrages spéciaux, dont plusieurs considérables, qui contiennent les renseignements que nous ne pouvons donner ici : A. Tardif, Histoire des sources du droit canonique, Paris, 1887 ; cet ouvrage, destiné aux élèves de l’École des chartes, contient une liste des principaux canonistes avec de courtes notes biographiques ; Maassen, Geschiclde der Quelten und Litteratur des l.anon. [ledits, etc., 1890 ; Schulte, Geschichle der Quelten und Lit. des kan. Redits, etc., 1875.

P. FOURNERET.


DROUIN Hyacinthe-René, dominicain français, né à Toulon vers 1680. Il était Je neveu du célèbre théologien Hyacinthe Serry, également dominicain. Drouin entra au couvent, à Toulon. Il fut ensuite envoyé à Paris pour y achever ses études et y prendre les grades. Licencié en 1714-1715, il reçut le bonnet de docteur que lui conféra le chancelier de l’université en l’appelant dans son discours Aller Aquinas. Il débuta dans l’enseignement au fameux collège dominicain de Saint-Jacques ; peu après il fut fait premier régent du couvent de Saint-Honoré. En 1719, il fut nommé par le roi professeur royal de théologie à l’université de Cæn, où il remplit la charge de syndic. Ses succès ne tardèrent pas à lui susciter des ennemis, surtout après qu’il eut fait censurer par l’Académie dix-sept propo-