Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/283

Cette page n’a pas encore été corrigée
1833
1834
DROIT


individuel qui est devenu : 1e pouvoir d’imposer sa personalité comme telle à d’autres personnes, quelle que soit d’ailleurs la personne sujet du droit : individu ou État, les positivistes en sont venus à nier l’existence de tout droit subjectif et à ne plus connaître que le droit objectif. Cf. Auguste Comte, Système de poliliijue positive, 1890, t. I, p. 361 ; Duguit, Le droit social, le droit individuel et la transformation de l’État, HI08, les premières conférences. Hauriou, Les principes du droit public, essaie de rétablir l’équilibre en présentant la notion du droit comme une synthèse de l’objectif et du subjectif, ce qui, du point de vue où il se place, lui apparaît comme le social et l’individuel. Les théologiens reprennent peu à peu leur ancienne position.

II. Fondement du droit.

Il est objectif. Même ceux des théologiens et des canonistes qui définissent le droit objectif par le droit subjectif, prennent soin dénoter que le droit pouvoir est justifié par le droit loi, qui détermine le debitun), but poursuivi par celui qui exerce son droit subjectif. La loi seule, en effet, orditiatio rationis ad bonum commune ab eo qui curam ltabet communilatis promidgala, peut imposer au nom d’une volonté supérieure à celle des individus l’obligation de respecter chez le sujet du droit sa facultas moralis agendi inviolabilis. Et si on répond que c’est alors le droit subjectif du législateur qui est la source du droit objectif formulé et imposé parla loi, cette constatation amène simplement à conclure que, pour trouver la source de tout droit, il faut nécessairement remonter à celui dont la raison et la volonté dominent tout.

C’est jusque-là qu’il faut aller si on ne veut pas remplacer la notion d’obligation par celle de contrainte et confondre le droit avec la force. Qu’on mette la source du droit dans le sujet du droit et non dans la loi et on aboutit logiquement à la tyrannie. Que le sujet du droit soit l’Etat ou l’individu, le résultat est le même. Dans le second cas, on a seulement la peine de passer par le circuit du contrat social, en revanche l’opprimé peut se consoler à la pensée qu’il n’est tyrannisé que par lui-même.

Le recours à la notion d’ordre, de solidarité, d’interdépendance sociale ne fait que reculer la difficulté sans la résoudre. Tous ces postulats se ramènent en dernière analyse à celui de l’ordre ; or l’ordre, de quelque nom qu’on le décore, ne s’impose à personne par sa seule autorité. On me dira bien qu’il est dans l’ordre de faire telle chose ou de m’abstenir de telle autre. Je suppose qu’on ait Uni par m’en convaincre, pourquoi serais-je tenu d’observer l’ordre’.' Si je n’ai pas la manie de l’ordre pour l’ordre, que l’ordre ne m’intéresse pas comme tel, que j’aime, au contraire, le désordre, pourquoi sacrifierais-je ce qui me plaît à ce qui m’indiffère ou à ce qui me gène ? Mais les individus qui détiennent la force auront le pouvoir d’organiser une réaction sociale contre moi, répond-on. Duguit, op. cit., p. 11. Cela veut dire sans aucun doute que la force me contraindra à faire ce qui me déplaira et à ne pas faire ce qui me plairait. Est-ce donc là le dernier mot du droit ? Est-il conforme à la notion de justice qui naît avec chacun de nous, que les doctrines n’ont pas faite, et à laquelle elles doivent toutes s’adapter ?

La source du droit est dans la volonté du législateur suprême. La loi est ordinatio rationis. L’ordre rationnel est exprimé par la loi naturelle qui n’est que la projection ad extra de la loi éternelle.

La loi éternelle, c’est en effet, d’après saint Augustin, Contra Fauslum, l. XXII, c. xxvii, P. L., t.xui, col. 418 : Ratio diviria vel volunlas Dei, ordinem naturalem conservari jubens et perturbari vetans. D’après saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. xciii, a. 1, c’est ratio divinse sapientise secundum quod est directiva

omnium actuum et motionum. Comme tout ce qui concerne Dieu, cette loi éternelle ne peut être connue naturellement que par l’étude des créatures : lnvisibilia enim ipsius a creatura mundi per ea quiv fada sunt intellecta conspiciuntur, Rom., I, 20, et la loi naturelle est précisément la parlicipatio legis œlernsc in rationali creatura, Ia-IIæ, q. xci, a. 27.

La droite raison formule dans la loi naturelle la règle tracée par l’intelligence divine, en tant qu’elle régit les actes humains. Tout acte contraire à cette règle est non seulement contraire à la morale, mais contraire au droit. L’adage romain : Non omne quod licet lionesium est, ne doit donc pas s’entendre dans le sens que la loi peut rendre morales des choses immorales, ni qu’elle peut justifier des manquements à la morale. Une loi quelconque doit être ordinatio ratio nis. En opposition avec la loi naturelle, elle serait en opposition avec la raison, cela impliquerait contradiction.

Ce qui est vrai, c’est que le droit positif ne s’étend pas à tout ce qui intéresse la morale. Les actes extérieurs sont seuls de son domaine. II ne touche pas au for interne. Ceci s’applique au droit ecclésiastique comme au droit civil.

Mais le droit positif travaillesur les données du droit naturel. Il ne peut rien changer à la nature des choses ni à leurs relations nécessaires. Il doit fortifier la loi naturelle en trouvant les solutions rationnelles qui répondent aux circonstances diverses suivant les temps, les lieux et les races. De là des divergences profondes entre les législations des différents pays. De là, dans chaque groupe capax legis, les évolutions législatives auxquelles personne n’échappe et dont l’Eglise a, plus que tout autre groupe, l’intelligence, puisqu’elle admet la force législative de la coutume sur tous les points qui ne touchent pas au droit naturel et au droit positif divin.

On voit que la facultas moialis agendi inviolabilis, qui constitue le droit subjectif, ne se présente ni comme quelque chose d’essentiellement absolu, ni comme ayant sa source dans le sujet du droit. Ces deux points sont essentiels à noter et les auteurs modernes qui attaquent notre notion classique du droit ne semblent pas s’en faire une idée exacte.

1° C’est la loi qui est à la base de tout droit et de toute obligation, parce qu’elle est ordinatio rationis et que l’ordre s’impose au nom de l’auteur de l’ordre : Dieu. 2° Le droit et le devoir ne sont pas dans une relation de cause à effet, ni le droit n’engendre le devoir ni le devoir n’engendre le droit à proprement parler. 3° Sans doute, puisque mon droit est inviolable, il en résulte chez autrui le devoir, négatif au moins, de ne pas en troubler l’exercice. Mais mon droit lui-même n’est respectable que parce qu’il est dans l’ordre établi par la loi, en sorte que tout le principe obligatoire découle comme de sa source de cette loi et non de mon droit. Chacun a l’obligation de ne pas troubler l’ordre et même de travailler à le maintenir. Voilà pourquoi il faut que chacun respecte mon droit. Il fait partie d’un système qui s’impose à tous ; y toucher, c’est toucher à un ensemble intangible.

La hiérarchie des droits et des devoirs doit donc s’établir ainsi : 1° Les droits de Dieu au sens strict qui comprennent, au sens large, ceux de toutes les créatures à être laissées à leur place dans le plan divin. 2° Le devoir de chaque homme envers Dieu qui l’oblige à respecter le plan divin. 3° Le droit de chaque homme à employer les moyens dont il dispose pour accomplir son devoir comme nous venons de le définir. 4° Enfin le devoir pour chaque homme de ne pas entraver l’exercice des droits de son prochain et j arfois aussi le devoir positif de l’aider dans l’exercice de son droit.