Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 3.djvu/598

Cette page n’a pas encore été corrigée
1173
1174
CONSCIENCE — CONSCIENCIEUX


fort diverses, mêlée à plus d’une erreur et enveloppée dans plus d’une hypothèse ; de même que c’est cette vérité une qui sert de mesure à nos concepts, lesquels ont une valeur scientifique proportionnée au degré où ils s’approchent d’elle ; ainsi, il n’y a qu’une bonté, qu’une loi morale, hien que les consciences humaines la formulent de façons inégales et diverses, mêlée à plus d’une défaillance ; ainsi encore, cette loi morale sert de critérium pour déterminer la valeur intrinsèque des mœurs des individus et des sociétés.

2° La conscience commune ne peut donc être un critère moral ni une loi ; peut-elle être une force et jouir d’une autorité suffisante pour obliger et lier ? Pour sauver le caractère impératif de la conscience commune — tentative indispensable puisque, quoi qu’on en ait dit, il n’y a pas et il ne saurait y avoir de morale sans obligation — on a recouru à l’impératif de la conscience individuelle et à la pression de la conscience commune. Mais : 1. la conscience individuelle n’affirme, nousassure-t-on, le caractère sacré, inviolable, immuable, divin, du devoir, et sa force obligatoire, que par un instinct aveugle souvent, inspiré par la passion et par un commandement antiscientifique, et à mesure qu’on avance, l’opposition s’accentue, nous dit-on, entre la science et la conscience. Dès lors, si celle-là dit vrai, celle-ci se trompe et son impératif illusoire est de nulle valeur.

— 2. Quant à la pression de la conscience commune, c’est-à-dire à l’inlluence de l’opinion publique, il sera fort difficile d’y voir le principe obligatoire essentiel à toute loi morale. On y trouvera bien la source d’un respect humain désormais rigoureusement prescrit, la nécessité pour chacun d’écouter la voix de l’opinion ; mais cette nécessité, qui la légitimera, et ce respect humain, qui l’absoudra ? Et quand il y aura conflit entre l’impératif catégorique de la conscience privée et la pression de l’opinion publique, où sera l’arbitre, et qui décidera entre ces deux autorités contradictoires ? La conscience commune, chose flottante, indécise et souvent imprécise, formée de consciences individuelles, n’a pas plus d’autorité, ni de force obligatoire que celles-ci. L’homme n’est pas son propre législateur.

3° Que dire des sanctions de la conscience individuelle ou commune ? — 1, Dans tout système de morale il faut une sanction. Celle-ci n’est pas seulement, par sa réalité, une vengeance de l’ordre violé, une restitution de cet ordre, mais elle est encore, par sa menace, un moyen préventif. Elle agit sur les volontés pour leur donner la crainte du mal et les en détourner. Enfin, elle doit être universelle et proportionnée, c’est-à-dire atteindre toutes les fautes et les châtier dans la mesure de leur culpabilité.

2. Écoutons la conscience individuelle. Il y a longtemps que les moralistes chrétiens ont montré — et c’en est devenu une vérité banale — que les joies de la vertu et les remords du péché en sont des récompenses et des châtiments très disproportionnés. Nous ne nous étendrons donc pas sur ce sujet. Le suicidé n’a aucune sanction temporelle de sa désertion, et telle morale seule sera suffisante en face de ce crime qui possédera dans son organisme la certitude d’un au-delà où s’exercera la justice de Dieu. La vertu produit souvent d’autant plus de joies qu’elle est moindre : l’orgueilleux n’a-t-il pas de grandes satisfactions du plus modeste acte noble ; elle est accompagnée parfois de craintes d’autant plus vives qu’elle est plus héroïque et le fait d’une âme plus délicate ? Certains saints puisaient peu de joies dans leur vertu, tant ils étaient sensibles aux moindres imperfections qui pouvaient l’atténuer ou la menacer. Et ainsi de graves préoccupations les assaillaient. Les fautes les plus légères leur font verser des larmes amères, et dans l’âme insensible de plus d’un odieux criminel, c’est à peine si l’on aperçoit quelque ombre de remords. Il faut donc chercher ailleurs une sanction adéquate et proportionnée.

3. Chacun voit qu’on ne peut la trouver dans l’opinion publique ou la conscience commune. La sanction ne peut venir que du législateur qui punit la violation des lois qu’il a portées lui-même. Le pouvoir législatif et le pouvoir coercitif reposent entre les mêmes mains. Nous avons dit que la conscience commune n’avait ni l’autorité, ni la compétence, ni les autres qualités requises pour légiférer, elle ne réalise donc pas davantage les conditions nécessaires pour réprimer les délits. Du reste, comment connaîtrait-elle les délits secrets, et de combien d’erreurs et de flottements ne se rend-elle pas journellement coupable ?

X. Les maladies de la conscience.

La conscience morale, comme toutes les activités humaines spirituelles, a ses défaillances et ses infirmités. Elle est une appréciation de la loi et de son application concrète à la personne et à des cas particuliers : opération délicate et difficile ; car la vérité est d’autant plus cachée et imprécise qu’elle est plus mêlée à la contingence des faits concrets. Il est donc facile de douter et d’errer.

Certes, toutes les fois que l’homme cherche sincèrement et prudemment, les jugements qu’il porte, fussent-ils erronés, sont valables, et obligent en conscience. Ils puisent leur force d’obligation, non dans la loi qui n’existe pas dans cette hypothèse de l’erreur ; non en eux-mêmes, nous avons dit que la conscience est l’organe qui traduit, non l’autorité qui crée la loi ; mais dans la volonté de Dieu qui nous oblige à agir conformément à la raison, et qui, ayant fait cette raison faillible, veut que nous la suivions même quand, inconsciemment, elle se trompe. Mais il arrive que l’homme pressé et imprudent ne considère pas suffisamment et se prononce avec précipitation. Son jugement est imprudent et inconsidéré, l’action qui suivra, fût-elle par hasard conforme à la loi, sera néanmoins imprudente.

Le plus souvent, la précipitation engendrera l’erreur. On appréciera mal ; on verra une obligation où il n’y en a pas, on n’en verra pas où il y en a. Voir Erreur.

Une double tendance se remarque chez les consciences erronées ou fausses : les unes sont portées à élargir le champ de la liberté et à diminuer les exigences de la loi : ce sont les consciences larges. Voir Laxisme. Les autres restreignent au contraire la liberté, voient des obligations partout, se croient toujours sur le point de pécher, trouvant une prohibition dans l’affirmative et dans la négative. Ce sont les consciences inquiètes. Elles doivent chercher à s’éclairer, et si elles n’y arrivent pas, comme il faut nécessairement toujours se décider pour le oui ou le non, choisir entre les deux alternatives celle qui paraît contenir le moindre mal.

La conscience scrupuleuse, voir Scrupule, appartient d’ordinaire à la catégorie de la conscience large et de la conscience étroite et perplexe. Elle est saisie par une crainte exagérée sur quelque point particulier, y voit des montagnes de difficultés, des fautes à chaque pas, et la concentration de son attention et de ses craintes sur ce point lui fait oublier les préceptes relalif’s aux autres devoirs moraux et négliger ceux-ci.

Tous les auteurs de théologie morale parlent de la conscience, le plus souvent dans un traité spécial. Ébauché par saint Thomas. Sum. theol., [" II", q. xix, a. 5 (voir ses commentateurs à cet endroit), ce traité n’a été achevé qu’au XVIe siècle. On y trouve d’autres questions que celles qui ont été abordées dans cet article. Il est inutile de les indiquer tons. Après saint Alphonse et Brocart, dans le Theulogix cursus completus, de Migne, t. xi, col. 65-310, il suffit de nommer Gury, Bouquillon, Mûller, Marc, Lehmkuhl, Tepe. Génicot, etc.

A. Chollet.

CONSCIENCIEUX (CONSC1ENTIARII), secte de libres-penseurs du XVIIe siècle. Elle fut fondée par Matthias Knutsen, appelé encore Kunt/.en, né à Oldensworth (Schleswig). En 1674, il vint à léna et répandit, à un grand nombre d’exemplaires, une lettre latine dans laquelle il exposait ses idées. Elles se réduisaient