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CONSCIENCE


qu’elle s’adresse a un ensemble de subordonnés, la loi devient générale ou universelle. Son objectif est donc de lier des volontés inférieures à une volonté supérieure.

2° Mais le moyen d’atteindre ces volontés inférieures ? Elles sont des tendances, des forces intelligentes et conscientes, il est donc impossible de les aborder autrement que par la voie de la connaissance. Le supérieur ne peut mouvoir une volonté qu’en l’éclairant de ses desseins, et il ne peut l’éclairer qu’en lui parlant, qu’en lui manifestant par le langage ses décisions. D’où la nécessité, de la part du cbef, d’une promulgation qui extériorise et proclame ses décrets ; et la nécessité, chez le subordonné, de connaître cette promulgation et ces décrets, et de les connaître comme l’atteignant en propre et comme obligeant sa volonté. Cette connaissance est la conscience morale. Elle est un des anneaux de la chaîne qui va de la volonté qui commande à la volonté qui est commandée : supprimez-le et la chaîneest rompue : toute l’obligation s’effondre dans le néant.

IV. Éléments intellectuels de la conscience morale. — La conscience morale implique donc une double connaissance, celle de la volonté supérieure manifestée, et celle des actions personnelles dans leur rapport avec cette volonté. Il serait vain de savoir ce que veut le supérieur, si l’on ignorait à quoi s’appliquent ses ordres ; il serait inutile de connaître le moi vivant, si l’on ne savait l’ordre suivant lequel sa vie doit se développer et être orientée. Mais si la conscience joint à la connaissance de l’obligation l’aperception des actes personnels, elle ne le fait pas toujours de la même manière. Saint Thomas, Sum. tlteol., I a, q. lxxix, a. 13, l’explique avec une précision qui n’a pas été dépassée.

1° La conscience, écrit-il, agit de différentes façons. En effet, on dit tantôt qu’elle témoigne, qu’elle lie ou qu’elle excite, tantôt qu’elle accuse, prend de remords ou réprimande. Dicitur enim conscientia testificari, ligare vel instigare, vel eliam accusare, vel etiani renwrdere sire reprehendere. Dans ces différentes interventions de la conscience, il y a des éléments intellectuels, il y en a d’affectifs.

2° Voyons d’abord les intellectuels. Bsec omnia consequuntur applicationem alicujus noslrse cognitionis vel scienlise (la conscience est donc une lumière) ad ea quse agimus. C’est une lumière d’ordre pratique et concret, puisque c’est l’application particulière des choses que nous savons à celles que nous faisons. Quse quidem applicatio fit tripliciter. Uno modo secundum quod recognoscimits aliquid nos fecisse vel non fecisse secundum illud, Eccle., vii, 23 : Scit conscientia tua, te crebro maledixisse aliis ; et secundum hoc conscientia dicitur testi/irari. C’est la conscience psychologique. Elle est indispensable à la conscience morale dont elle constitue la première démarche. Avant de guider ou de juger ce qui se passe, va se passer ou s’est passé en nous, il faut en être informé. Le juge se renseigne sur les faits avant de les apprécier. Ainsi l’âme observe ses mouvements intérieurs, et la conscience qu’elle acquiert, dans cette observation, est un témoignage, une attestation des faits. Mais ces mouvements sont, ou des tendances qui demandent à se donner libre cours, ou des inclinations satisfaites ; en d’autres termes, la conscience se trouve en face d’un avenir à orienter (conscience antécédente), ou bien d’un passé à juger (conscience

—’/Ill’lllr’.

3° Dans le premier cas, elle paralyse on excite. Alio modo applicatur secundum quod per nostram conscientiam judicamus aliquid esse faciendum vel mm faciendum, ei secundum hoc dicitur conscientia ligare vel instigare. Judicamus, nous jugeons ; en effet, c’est un jugement et un double jugement que la conscience prononce alors. Le premier est un jugement deconformité. L’esprit humain possède la notion de l’ordre général dont il est un élément, de la marche universelle

du monde, dont il est un des agents. Il compare cet ordre avec l’action qu’il s’agit de faire ou d’omettre, il constate que celle-ci est conforme ou opposée au susdit ordre et prononce alors son jugement : cette action est ordonnée ou elle est désordonnée. D’autre part, la notion d’ordre l’amène à un principe qui fonde cet ordre, l’a créé, le maintient et en exige le respect et l’observation, de la part de tous ; d’où le concept d’obligation et le jugement : cet acte n’est pas seulement conforme à l’ordre, mais il lui est utile ou nécessaire, dès lors il est conseillé ou commandé. Cet acte n’est pas seulement opposé à l’ordre, dont il est la diminution ou la négation, mais il est déconseillé ou proscrit. Ce jugement d’obligation est bien une excitation ou un lien.

4° S’il s’agit d’un passé à juger, la conscience intervient sous une autre forme, elle excuse ou accuse, elle réprimande, elle remplit de remords. Tertio modo applicatur secundum quod per conscientiam judicamus quod aliquid quod est faction sit bene factum vel non bene factumet secundum hoc conscientia dicitur excusare vel accusare seu remordere. Ici encore il y a jugement, judicamus, et double jugement : l’un de conformité comme précédemment ; l’autre de responsabilité encourue, et donc de mérite ou de démérite acquis. L’esprit compare l’acte accompli dont il a conscience avec l’ordre moral dont il a la science (c’est bien applicatio alicujus nostrse cognitionis ad ea quai agimus, comme dit saint Thomas), et voit, dans cette comparaison, si l’acte accompli observe ou viole l’ordre moral ; comme, en même temps, par la conscience, l’homme se reconnaît l’auteur de l’acte, il est amené dans un second jugement à peser la responsabilité qui lui incombe et la récompense à laquelle il a droit pour le concours apporté à l’ordre, ou les réparations et châtiments mérités pour entrave à l’ordre. Voir dans la Morale scientifique, Paris, 1905, p. 177, par Albert Bayet, les menaces contre l’idée de responsabilité dont « il appartient à l’art moral de hâter la disparition » .

5° La conscience antécédente est la seule qui réponde vraiment à l’idée de norme et de règle morale : c’est elle, en effet, qui dirige la vie de l’homme et lui donne sa valeur, qui rend les actes bons ou mauvais ; la conscience conséquente, ne venant qu’après coup, ne peut que constater le bien ou le mal. Elle n’a aucune inlluence sur sa production. Seule, elle ne fait ni la culpabilité ni l’innocence. C’est donc en vain que des chrétiens qui vont s’approcher du tribunal de la pénitence cherchent dans les livres ou demandent à leur confesseur si les actes qu’ils ont accomplis étaient, de leur nature, coupables ou non. La conscience qu’ils essayent de se former maintenant, ne peut avoir d’effet rétroactif, ni faire que leurs actes passés aient été formellement bons ou mauvais ; elle servira, en tant qu’antécédente, à éclairer et à diriger les actes futurs. Pour les actes passés, il suffit et il est nécessaire de rechercher quelle idée on s’en faisait, quelle intention l’on avait quand on les a produits, et c’est cette conscience antécédente qui seule peut donner la mesure de la culpabilité. Cf. Konings, Theologia moralis, tr. De conscientia, n. 32, New-York, Cincinnati, Chicago, 1889, p. 17.

V. L’analyse de l’acte de conscience. — La conscience morale enveloppe toute une série d’opérations intellectuelles dont le schéma est assez exactement représenté par ce qu’on appelle en logique le prosyllogisme ou le polysyllogisme. Les facteurs en sont indiqués par l’Ange de l’École dans les termes suivants : Per conscientiam applicatur notitia syndercsis et ralionis superioris et inferioris ad actum particularem e.raminandum. De veritate, q. XVII, a. 2. Cf. Sporer, tr. I, proa ; m., c. i, n. 7.

1° A la base de ce prosyllogisme se trouve la notitia syndercsis. La syndérese est, dans l’ordre pratique, ce