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CLÉMENT V


pape disjoignit la cause de l’ordre du Temple de celle di s personnes des templiers. Alin de régler la première, il convoqua un concile général dans la ville de Vienne en Dauphiné pour le mois d’octobre 1310, et en attendant, la seconde allait être instruite dans les cours épiscopales de tous les pays chrétiens.

Une commission pontificale, présidée par l’archevêque de Narbonne, prépara la besogne du concile en recueillant les témoignages. Les hommes qui la composaient et que protégeait l’autorité du saint-siège étaient hostiles à l’emploi des tortures, de sorte que les chevaliers interrogés pouvaient se promettre plus de liberté pour confirmer ou révoquer leurs précédents aveux. Si quelques frères persistèrent dans leurs aveux, si d’autres hésitèrent et recoururent à des faux-fuyants, d’autres en grand nombre dirent nettement que leurs aveux arrachés par la torture étaient contraires à la vérité. Des chevaliers, par centaines, soutinrent l’innocence du Temple, dès qu’ils crurent pouvoir parler en sécurité. Mais les conseillers du roi, Guillaume de Nogaret, Guillaume de Plaisians, avaient trouvé moyen d’assister aux audiences ; lorsqu’ils virent la tournure que prenait le procès d’ensemble intenté à l’ordre, ils précipitèrent le jugement individuel des templiers par les évêques et inquisiteurs. C’est ainsi que le concile de la province de Sens lut convoqué brusquement par l’archevêque de Sens, frère du ministre Enguerrand de Marigny, et comme il faisait fonction du tribunal d’inquisition pour Paris, il usa cruellement de la procédure inquisitoriale pour condamner comme relaps sans les entendre cinquante-quatre chevaliers qui venaient de déposer comme témoins devant la commission pontificale, et qui avaient naïvement révoqué leurs aveux. Ils furent condamnés, puis brûlés publiquement hors de la porte Saint-Antoine, le même jour 12 mai 1310. A la suite de ce tragique événement qui rendait illusoire la liberté du témoignage et de la défense, la commission d’enquête suspendit pendant six mois ses recherches et ne vit plus d’ailleurs comparaître devant elle que les templiers « confès » de tous les crimes et réconciliés par les inquisiteurs.

Dans les pays étrangers, la torture ayant été moins employée, les aveux se firent aussi plus rares. Il est regrettable pour la mémoire de Clément V qu’il ait incité les rois d’Angleterre, d’Aragon, de Portugal à user de la torture. Il semble qu’il ait voulu avoir sous la main le plus d’arguments pour légitimer une suppression résolue dans son esprit. Mais les évêques d’Allemagne, d’Aragon et de Castille, d’Italie avaient montré moins de complaisance que ceux de France et acquitté en masse les templiers.

Le concile de Vienne se réunit seulement au mois d’octobre de l’an 1311. L’épiscopat assemblé dans la ville comptait trois cents membres, qui avaient eu le temps d’étudier cette affaire et qui apportaient de différants pays des convictions favorables à l’ordre des templiers. Il devint bientôt (’vident qu’on n’obtiendrait pas du concile une pure et simple ratification de la procédure française, ni une parodie de justice comme celle qui s’était déroulée devant les inquisiteurs et le France. De Lyon, où il surveillait le concile, le roi Philippe le Bel se rendit à Vienne avec un grand cortège et ce fut en sa présence et en celle du concile, que le pape Clément V lit lire la bulle Vox. in excelso, du 22 mars 1312 et qui est une image fidèle des iversations de son auteur. Il dit n’avoir point de motifs pour condamner à proprement parler les templiers ; mais ceux-ci sont odieux au roi de France, leur procès > fail scandale, il importe de ne pas laisser dilapider des biens considérables. En conséquence, Clément V ne rend aucune sentence définitive et ne condamne pas l’ordre du Temple, mais, par sollicitude pour le bien de l’Église et par voie apostolique, il le

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supprime et l’éteint dans tous les pays de la chrétienté,

Une bulle ultérieure, du 2 mai, adjuge les biens du Temple aux frères hospitaliers. Philippe le Bel bien à regret dut se dessaisir : il exigea l’apuration des comptes de la trésorerie qui avait eu jadis son siège au Temple et reçut de ce chef 200000 livres tournois ; il se fit payer 00000 livres à titre de remboursement pour les irais du procès, bien qu’il eût touché déjà les revenus des biens mis sous séquestre. Ce ne fut, d’ailleurs, que Louis le Hutin qui remit enfin à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem les possessions des templiers, non sans se faire encore attribuer la moitié des meubles et ornements d’église. Malgré ces rançons considérables prélevées par le roi, les hospitaliers reçurent en biens-fonds de grandes richesses, et l’on ne conçoit guère par quelles preuves se soutient l’opinion de saint Antonin qu’ils furent non enrichis mais appauvris par le don fait à leur ordre.

Les templiers qui persistèrent dans leurs aveux après la publication de la bulle Vox in excelso reçurent la liberté ; ceux qui les rétractèrent furent condamnés comme relaps par les tribunaux d’inquisition. Legrandmaitre Jacques de Molay et Geofïroy de Charnay, le précepteur de Normandie, réservés au jugement du pape, ne furent définitivement jugés qu’en 1314. Condamnés à la détention perpétuelle, ils s’accusèrent d’avoir trahi l’ordre par lâcheté pour sauver leur vie et proclamèrent hautement leur innocence. Ils furent aussitôt remis à la justice du roi et brûlés le même jour sur un échafaud (18 mars 1314).

Les templiers étaient-ils coupables ? Les historiens sont depuis longtemps divisés, mais les recherches les plus récentes sont de plus en plus favorables à leur innocence. De preuve matérielle contre eux on n’en a aucune, non plus que de document réel. Tout l’échafaudage du procès repose sur les dépositions de témoins. Or, il est vrai que les charges contre l’ordre sont considérables et résultent d’un ensemble d’aveux qui peuvent faire impression et qui ont dérouté le jugement des contemporains et des historiens. Toutefois ces aveux d’ensemble n’ont été obtenus qu’en France où la justice inquisitoriale et celle des synodes a obéi au roi et généralisé l’emploi de la torture ; la plupart des chevaliers ont rétracté leurs aveux dès qu’ils se sont crus en présence de la justice du saint-siège moins cruelle en ses moyens d’instruction. Au pied de l’échafaud, la plupart des templiers brûlés ont courageusement soutenu leur innocence. Enfin, le mépris des formes de la justice et la fourberie qui annulait savamment et férocement la liberté de la défense suffisent à démontrer l’iniquité des sentences dont les templiers furent victimes. Les désordres réels de leur ordre offraient matière à réforme, mais non à une répression aussi sauvage, poussée jusqu’à l’entière destruction.

Il est assez difficile de préciser la part de responsabilité qui revient à Clé ni V dans cette tragédie. Dans

quelle mesure a-t-il été trompé par le roi ? Dans quelle mesure les templiers confès qu’on laissait arriver jusqu’à lui et les aveux qu’on lui relatait l’ont-ils convaincu de la culpabilité de l’ordre ? Malheureusement pour lui, diverses circonstances de ce procès contribuent à charger lourdement sa mémoire. S’il avait pu faire devant la chrétienté la preuve d’affreux désordres chez les templiers, il n’aurait pas hésité à les frapper, sans même juger nécessaire de les traîner devant un concile général. Ce n’est pas seulement la pitié pour de pauvres gens qui fait tant hésiter le pontife et le fait recourir à de perpétuels moyens dilatoires, c’est aussi le sentiment que des innocents sont poursuivis par une haine injuste. Toutes les mesures favorables à la justice dans l’affaire des templiers sont dues à l’intervention du pape, mais aucune n’estsoulenueparluiaveclermetéetpersévérance. L’on ne peut se défendre du sentiment qu’il a craint

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