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CONCOURS DIVIN


Dieu peut exercer sur ses créatures. On dira peut-être que la prédétermination physique est du moins exigée par ce fait que Dieu doit appliquer ces causes d’une manière spéciale et non pas seulement par le concours général. Mais cet unique argument ne conclut pas. Car, comme le remarque saint Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. XLV, q. I, a. 3 : In omnibus quorum potentia activa determinata est ad unum efféctum, ffmiL REQVIRITVR

EX PARTE AGENTIS AD AGENDUM SUPRA POTENTIAM

complet au, ditmmodo non sit impedimentum ex defectu recipientis ad hoc quod sequatxir effeclus, sicut patet in omnibus agenlibus ex necessitate naturse.

2. S’il s’agit des actes libres, la prédétermination physique est non seulement superflue, mais elle entraîne logiquement des conséquences absolument inadmissibles.

a) Elle est superflue, car rien ne l’exige, ni le domaine de Dieu sur la volonté libre de la créature, ni la nécessité d’enlever à cette dernière son indétermination naturelle. En fait, Dieu a sous la main toute élection de la volonté par cela même que son concours est nécessaire. La créature ne peut donc rien sans Dieu. Dieu, au contraire, peut, à son gré, obtenir de la créature toute décision positive, comme nous l’avons suffisamment montré plus haut en répondant au 4e argument des thomistes. La nécessité d’enlever à la volonté son indétermination ne justifie pas davantage l’hypothèse prédéterministe. Douée du plein pouvoir d’agir ou de ne pas agir, de vouloir ceci ou de vouloir cela, la volonté peut se déterminer librement à un bien particulier ; car de l’inclination naturelle au bien en général résulte dans la volonté une certaine tendance au bien particulier, et la volonté par sa vertu active peut correspondre à cette tendance. Par contre, si l’indétermination ne pouvait être levée que par la prédétermination physique, il ne resterait plus d’acte libre, puisque la détermination du sujet par lui-même est essentielle à la liberté de son acte et le sujet n’est plus susceptible de détermination, s’il est déjà infailliblement déterminé à un acte par un autre. Cf. De veritate, q. xxii, a. 6, ad l um ; a. 4, etc.

b) Les conséquences de laprédétermination physique sont inadmissibles. — Et d’abord, elle détruit la liberté de nos actions. Car si Dieu nous prédétermine physiquement à un acte, infailliblement et de nécessité métaphysique, nous poserons cet acte, étant donnée l’efficacité intrinsèque de la prédétermination physique ; et nous ne pourrons pas en poser un autre. Que si, au contraire, Dieu nous refuse cette prédétermination, nous ne pouvons rien faire pour l’obtenir. Pour cet acte encore il faut être physiquement prédéterminé. Cf. Alvarez, De auxiliis, disp. XIX, concl. 3 a. Donc, puisque notre liberté consiste essentiellement en ce que, à l’instant où nous nous déterminons, nous pouvons vouloir ou ne pas vouloir, vouloir ceci ou vouloir autre chose, dans l’hypothèse de la prédétermination physique, notre liberté n’existe plus. Voici où nous en sommes : si Dieu ne nous prédétermine pas, il nous est impossible de poser l’acte ; si Dieu nous prédétermine, il nous est impossible de l’omettre.

La distinction classique du scnsus compositus et du sensus rlirisus ne résout pas cette difficulté. L’homme prédéterminé à agir, nous dit-on, pourrait ne pas agir et celui qui n’est pas prédéterminé à agir pourrait agir ; entende/ m sensu divUo a non actu pour le premier, ab actu pour le second. Mais en fait cetle possibilité dont on nous parle revient à dire : l’homme, en raison d’un principe d’aclion qui ne dépend pas de lui — la prédétermination physique — n’a en réalité le pouvoir ni d’omettre l’acte ni de le poser ; prédéterminé, il faut qu’il agisse ; non prédéterminé, il ne peut pas en ré ilité agir. Or, qu’es) ce que ma liberté, si toul en ayant le pouvoir physique d’agir, je ne suis pas en état de poser

un acte libre ? Les néo-thomistes répondent que Dieu prédétermine physiquement la volonté de telle sorte qu’elle agisse librement à cause même de cette prédétermination. Il faut observer que saint Thomas, dans les passages dont cette réponse prétend s’inspirer, ne parle pas de la prédétermination physique, mais d’une motion de Dieu dans les créatures. De cette motion, il dit qu’elle consiste en ceci que Dieu meutes créatures de manière à ce que leurs opérations correspondent à leur nature, qu’elles soient libres dans les causes libres, nécessaires dans les causes nécessaires. Et il en explique le comment avec clarté. Suni. theol., I a, q. XIX, a. 8 ; Ia-IIæ, q. x, a. 4, etc. Or, dans tous ces passages, il n’est pas question de la prédétermination physique.

En même temps qu’elles cessent d’être libres, nos actions cessent de nous être imputables. Elles ne peuvent pas être objet soit de louange soit de reproche ou moyen de mériter et de démériter. Ce qui va encore contre le système de la prédétermination physique.

De plus, pour expliquer que Dieu n’a aucune part à la malice de nos mauvaises actions et n’en est pas responsable, nous avons dit que le concours simultané n’est qu’un moyen indifférent, que ce moyen nous est offert de telle sorte qu’il dépend de nous d’en user ou de n’en pas user, et que Dieu ne nous le donne pas sans raisons. Or on ne peut rien dire de tout cela dans le système de la prédétermination physique, puisque celle-ci incline irrésistiblement la volonté à l’acte mauvais. Plus exactement, la prédétermination physique est la cause de l’action humaine tout entière, dans tous ses éléments et sous tous ses rapports ; d’où il suit qu’elle fait véritablement de Dieu la cause physique et morale de l’action mauvaise dans son entier. Voilà Dieu cause du mal moral plus que ne le serait un simple conseil ou même un suborneur. Cf. De malo, q. ii, a. 1.

Nous ne saurions comprendre que Dieu puisse prédéterminer physiquement à un acte mauvais un homme jusqu’alors innocent, surtout si nous réfléchissons aux terribles suites du péché mortel. On nous dit que Dieu peut prédéterminer à l’acte mauvais dans le but de manifester ses attributs et spécialement sa justice vindicative. Mais agir ainsi, n’est-ce pas tout simplement employer un moyen déshonnète pour une bonne fin ? Et comment parler de juslice, quand la cause de l’acte incriminé n’est pas libre ?

Le mystère de la prescience divine, si fortement affirmée dans la sainte Écriture, est détruit par la prédétermination physique. Quel mystère y a-t-il à ce que Dieu connaisse très exactement les actes auxquels il nous prédétermine physiquement ?

Enfin, pour toucher encore à un point important, si la grâce efficace est une prédétermination physique de l’ordre surnaturel, la grâce vraiment et purement suffisante cesse d’exister. Car quand il est question d’agir réellement, un moyen est insuffisant, si à ce moyen, pour que je sois en état d’agir, doit nécessairement s’en ajouter un autre d’essence différente. Dans le système de la prédétermination physique, la grâce efficace est quelque chose qui dill’ère entièrement, toto génère, de la grâce suffisante et qui est absolument nécessaire pour que l’action suive. Il en est tout autrement, si la grâce tire son efficacité non de sa propre entité, natura sua, mais de la prescience divine. Une grâce physiquement la même peut alors être tantôt efficace, tantôt inefficace, suivant l’attitude que prend l’homme à son égard. C’est ainsi que saint Augustin concevait l’efficacité de la grâce. Voir les passages allégués plus haut, col. 790. Cependant, il reste vrai de dire : Quid habes quod mm accepistil Car Dieu, même en ce cas, donne la grâce qu’il sait être efficace et qu’il veut être efficace, et, par conséquent il donne, comme cause première, absolument toul. Les thomistes ne peuvent pas prétendre qu’après réception de la grâce