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COMMUNISME

raisonnement, que le travail humain féconde les terres incultes, améliore les productives, et que ces transformations leur deviennent tellement inhérentes qu’on ne pourrait priver le travailleur de posséder le sol où elles se trouvent incorporées, sans lui ôter la maîtrise de son œuvre et de sa chose. Cette observation est de Léon XIII, auquel d’ailleurs Henry George tenta de répondre dans une Lettre ouverte au souverain pontife, trad. franç., Bordeaux.

Il est d’ailleurs une forme de la propriété collective que Léon XIII recommande comme fondée sur le droit naturel. Celui-ci autorise les ouvriers à se grouper spontanément, pour sauvegarder leurs intérêts professionnels par l’entente collective, soit entre eux, soit en regard du patron ; afin de se garantir aussi des secours mutuels en cas de chômage, maladie, accident, vieillesse, décès dans la famille, et autres crises de l’existence ; conséquemment, il est juste que l’association ouvrière possède une caisse commune. Mais cette propriété collective demeure l’appoint de la propriété, soit individuelle, soit familiale, dont elle subventionne les détenteurs ouvriers. § Est profecto temperatio ac disciplina prudens, etc. Voir Corporations.

L’anti-communisme de l’Église comporte ainsi des nuances diverses, dont il importe de tenir compte pour établir le bilan des oppositions réelles et des ententes possibles entre catholicisme et socialisme. Il y a, dans ce bilan, des condamnations acquises, des accords établis, des questions pendantes.

Condamnations acquises. — D’après les Actes pontificaux de Léon XIII et de Pie IX : 1. Le communisme strict est condamné, et ceci renouvelle simplement, à un point de vue moderne, une très ancienne morale des Pères de l’Église. 2. D’après l’encyclique De conditione opificum, le collectivisme agraire est également réprouvé en tant qu’il se présente comme un principe de justice absolue, interdisant à tout individu de posséder le sol en particulier. 3. D’après la même encyclique de Léon XIII, la propriété corporative est recommandée. 4. La propriété ouvrière, soit individuelle, soit familiale, est revendiquée comme de droit naturel pour les fruits du travail, pour les objets de l’épargne, pour les réserves d’héritage en ligne directe. Des enseignements positifs complètent ainsi les oppositions de l’Église aux doctrines communistes.

Mais ces enseignements ne se présentent pas sous forme de définitions de foi rendues ex cathedra ; ni ces oppositions, sous forme d’anathèmes dont serait frappée une hérésie. On l’a peut-être oublié, dans une réaction, d’ailleurs juste en principe, contre des publicistes qui méconnaissaient la compétence de la papauté en matière sociale. G. de Pascal, L’Église et la question sociale, Paris, p. 1, 8. Les réprobations de Pie IX et les exposés de Léon XIII sont des actes publics et doctrinaux du pontife romain ; et ils résument, continuent ou mettent au point des problèmes nouveaux les enseignements traditionnels de l’Église. Encyclique De conditione opificum, Exorde, § Genus hoc arguments Cf. § Confidenter ad argumentum aggredimur.

Existe-t-il quelque censure canonique portée contre les communistes ? Mgr Haine le pense, à cause de la constitution Apostolicæ sedis, promulguée par Pie IX, le 12 octobre 1869. Selon le savant prélat belge, la 4e excommunication (simplement réservée au pape) frapperait par voie de conséquence. Elle ne vise en termes formels que ceux « donnant leur nom à la secte maçonnique, à la charbonnerie, ou autres sectes de même genre qui complotent contre l’Église ou les puissances légitimes, soit publiquement soit en secret » . Mais Léon XIII ayant écrit ce qu’on a lu plus haut contre le communisme, le socialisme et le nihilisme, ces paroles autorisent l’application de la censure aux communistes. Haine, Theologiæ moralis elementa, Rome et Louvain, 1899, t. iv, p. 454. D’autres prudents moralistes s’abstiennent totalement de cette assimilation. Clément Marc, Institutiones morales alphonsianæ, t. i, n. 1331, p. 864. Cette abstention nous semble juste. En dehors de sectes nommément désignées par le Saint-Office à diverses époques, comme les Old-Fellows ou les Fénians, la censure vise d’une manière générale les sectes où l’on se lie par un serment d’obéissance aveugle — c’est le genre des francs-maçons — dans un but anticatholique ou révolutionnaire ; mais, tout socialiste ne présente pas ces traits de sectaire : le socialisme est un parti politique plutôt qu’une secte assermentée ; et il y a des socialistes de réforme et de gouvernement, en très grand nombre, qui ne veulent pas des moyens révolutionnaires.

Des accords partiels, amenés ces dernières années par l’évolution du socialisme, atténuent sensiblement son opposition aux doctrines catholiques. Dans un complexe mouvement de bon sens pratique, d’intérêt électoral bien entendu, et de progrès scientifique, les doctrinaires et les meneurs du socialisme s’éloignent considérablement du communisme absolu et naïf des temps anciens. Ils maintiennent toujours en principe que l’appropriation collective doit l’emporter sur l’autre ; mais ils concèdent celle-ci expressément, pour les produits du travail individuel et les objets acquis en échange de ces produits : meubles, tableaux, chevaux, maison bâtie par le travailleur ou à ses frais. Georges Renard, Le régime socialiste, 2e édit., Paris, 1901, p. 34, 35. De ce chef, les collectivistes actuels ne prêchent rien de contraire à la doctrine catholique ; ils reconnaissent même comme Léon XIII le droit propre du travailleur sur la chose qui est son œuvre.

M. Georges Renard admet encore que les objets d’usage personnel, comme vêtements, livres et mobilier, « doivent rester propriété personnelle ; » de même, les moyens ou instruments de travail qui sont proprement ouvriers, et non capitalistes, comme « la brouette du paysan ou l’aiguille de la ménagère » . Schæflle allait même jusqu’à reconnaître que le maintien du droit d’héritage ne lésait aucunement le principe du collectivisme ; mais M. Georges Renard ne le concède que pour les objets d’usage personnel : en dehors de cette exception le travailleur n’aurait pas la capacité de léguer même les produits de son travail. Op. cit., p. 34, 35. Il est quand même juste de le constater : sur plusieurs points d’enseignement et de revendication, les socialistes contemporains atténuent la rigueur de l’ancien communisme : on dit qu’ils s’embourgeoisent ; le fait est qu’ils obéissent à un mouvement de prudent et honnête bon sens. Gayraud, Un catholique peut-il être socialiste ? dans la Revue du clergé fiançais, 1er août 1904, p. 552.

Ces atténuations du socialisme assagi ne vont pas néanmoins, sans maintenir le principe de l’appropriation collective, que M. Georges Renard déclare être la base principale du régime socialiste : il ne concède en somme le droit de propriété individuelle que pour des objets à son avis secondaires. Le sol et le sous-sol, dans les grandes entreprises de culture, de mines, de fabrication, de transports, doivent s’attribuer à la nation ou à des collectivités fermières, ainsi que les bâtiments d’exploitation et tout le matériel. Ces immenses ressources deviennent, en effet, des moyens d’oppression pour le patron capitaliste en face de l’ouvrier. De ces conclusions, les socialistes apportent une raison d’évolution historique — à discuter par les économistes — et une raison morale : il est injuste que des produits collectivement élaborés dans le régime du machinisme industriel soient possédés par des individus : le patron, ou les actionnaires qui en tiennent lieu, possèdent au détriment des producteurs, qui sont les ouvriers. G. Renard, p. 34.

3° Ici, des questions demeurent pendantes, que discu-